• Aucun résultat trouvé

« Némo, un jalon pour une offre culturelle différente. […] Il y a un sens pour le Conseil Régional à soutenir tout ce qui permet la diversité grâce à des réalisations alternatives. Alternatives en terme géographique […]. Alternatives au sein des territoires culturels qui peuvent sembler bien balisés, mais qui ont besoin que certains espaces de libertés soient garantis. […] C’est le sens du festival Némo qu’organise Thécif (Théâtre et Cinéma en Île- de-France). »126

Au moins depuis le Salon des Refusés créé en 1863 en marge du Salon officiel, il existe des manifestations publiques proposant, à côté des événements privés, une alternative à l’art dominant. Après les foires internationales spécialisées organisées en parallèle des Expositions universelles, certains festivals de cinéma affirment ouvertement leur caractère dissident. Selon Christel Taillibert, ils contiennent les germes « de la révolte contre l'institution festivalière que représentait le Festival

124 Gilles ALVAREZ, propos recueillis pendant la Rencontre professionnelle : Les réseaux des arts numériques le 15/03/16 à la Philharmonie, Paris

125Entretien avec Herman KOLGEN

international du Film de Cannes. » Jean Cocteau propose par exemple l'organisation du Festival du

film maudit en 1949, « fondé sur le principe d'une opposition radiale aux grands festivals

internationaux, à travers un refus total des mondanités, des stars et du commerce »127.

Le cinéma et les arts néomédiatiques ont longtemps été exclus des institutions officielles. Estimant que « le cinéma expérimental irrigue tout le cinéma », Nicole Brenez constatait en même temps sa marginalisation128. S’emparer d’un secteur réellement expérimental dans le cinéma –

secteur contrôlé par « la classe dominante » – demande de s’engager dans une véritable lutte129.

L’objectif des rubriques « Next », des découvertes et des panoramas internationaux de faire connaître des artistes évoluant dans des domaines souvent peu considérés par les instances de l’art officiel, en première instance la publicité et surtout le clip. Gilles Alvarez rappelait l’insulte que représentait pour certains cinéphiles la programmation de clip dans un festival de cinéma au début du XXIe siècle130. Montrer ces arts de la marge devait contribuer à la leur reconnaissance et à leur

intégration dans les arts « officiels » étant entendu que la culture off et la culture in se renforcent mutuellement131 : « issue le plus souvent de l’underground pour l’happy few, cette marge qui nourrit

la norme et la transforme sera exposée au grand public »132. De fait, les effets spéciaux

caractéristiques des « nouvelles images » ont à tels points intégré les images que nous connaissons aujourd’hui que nous ne les voyons même plus.

« En quoi le cinéma numérique consiste-t-il ? Le cinéma numérique est une animation d’un

type particulier qui utilise, entre autres nombreux éléments, le tournage en vues réelles. [...]

L’histoire de l’image en mouvement revient donc à son point de départ. Issu de l’animation,

le cinéma margina celle-ci pour en devenir finalement un cas particulier. Le rapport entre

la production cinématographique « normale » et les effets spéciaux s’en trouve même inversé. Les effets spéciaux, qui comportaient une intervention humaine sur les séquences enregistrées en direct par une machine et qui étaient depuis le début relégués à la marge du cinéma, deviennent la norme de la production cinématographique numérique. « retour du refoulé du cinéma »133

La majorité des experts et professionnels134 affirment que les arts faisant explicitement appel

127Christel TAILLIBERT, op.cit. p. 25 128Nicole BRENEZ, op.cit., p. 23 129Ibid., p. 26

130Entretien avec Gilles ALVAREZ, 22/04/2016

131Elsa VIVANT, Le rôle des pratiques culturelles dans les dynamiques urbaines. Geography. Université Paris VIII Vincennes-Saint Denis, 2006.

132Gilles ALVAREZ, PN, No. 4, 2002, p. 4 133Lev MANOVICH, op.cit., p. 528

aux techniques numériques sont encore victimes d'un certain mépris de la part du monde de l'art contemporain classique ou « mainstream ».

« C’est un fait, les arts numériques n’ont jamais été vraiment pris en compte par les

institutions françaises contrairement à d’autres pays très proches tels que l’Allemagne ou les Pays-Bas. Ils sont donc passés d’une situation relativement médiocre à l’état catastrophique dans lequel ils se trouvent aujourd’hui avec le désengagement massif de l’État et en attendant toujours de relais d’initiatives privées. »135

Quand Claire Bishop affirme que l'art contemporain « se refuse d'aborder ouvertement la problématique des nouveaux médias, ainsi que les modes de vie qu'ils suscitent et que les arts des nouveaux médias produisent leur « auto-marginalisation », Edward Shanken renchérit en écrivant que « ces deux mondes ne se regardent pas droit dans les yeux »136. Nombreux sont les

universitaires, commissaires d'exposition et artistes qui contredisent cette affirmation, accusant les auteurs jugeant qu'il existe deux mondes d'art contemporain de faire preuve d’un « défaut de vision ou […] d’un « manque de discernement », c'est-à-dire une perception incomplète, défectueuse de la réalité. »137 Si certaines pratiques artistiques intégrant le numérique commencent aujourd’hui à être

diffusées par les canaux officiels – celles qui relèvent de la tendance « postdigitale » en particulier – les grandes institutions ne font toutefois ni preuve d’une réflexion poussée ni d’un enthousiasme marqué à leur égard.

En France, le rapprochement entre les arts et les technologie est pris en compte par le musée dans les années quatre-vingt avec deux expositions qui feront date : Électra et Les Immatériaux, respectivement organisées par Franck Popper au musée d’Art moderne de la Ville de Paris en 1983 et par Jean-François Lyotard au Centre Georges Pompidou en 1985. Aucune exposition de cette envergure ne s’est tenue depuis dans un musée national français. « Le seul fait qu’une création artistique relève de la technologie ou utilise cette même technologie la rend suspecte pour un certain nombre de tenants de l’art contemporain »138 confie Pierre Bongiovanni, en charge du chantier de

préfiguration de la Gaîté Lyrique, centre parisien dédié aux arts numériques et aux musiques électroniques. Devant ce qu’il faut bien qualifier de vide institutionnel, différents acteurs se

135 Gilles ALVAREZ, Discours d’ouverture de Némo No.10, 2008

136 Pau WAELDER, « Fracture numérique : une question d'habitus » (2013) ArtPress 2. Le numérique. Anthologie et

perspectives, Trimestriel, No.39, Nov./ Déc. 2015 / Jan. 2016, p. 166

137Ibid.

138 Dominique MOULON, « L'art numérique, Gène d'artiste, Spectateur-acteur », Art numérique. Un point d'actu,

p.120, URL : http://webcache.googleusercontent.com/search?

q=cache:v7M6O2rHnO4J:www.moulon.net/pdf/pdfar_03.pdf+&cd=1&hl=fr&ct=clnk&gl=ca&client=firefox-b-ab, consulté le 22/11/15

mobilisent pour produire et diffuser cette forme de la création artistique contemporaine par des moyens spécifiques. Comme le cinéma expérimental, l'art à composante numérique est d'abord produit dans des conditions matérielles extrêmes : « [les cinéastes] n'ont pas besoin de modèles pré- formatés, inventent leur propres règles et se donnent les moyens de produire et de diffuser eux- mêmes leurs films en toute indépendance : ils ont mis sur pied des laboratoires artisanaux, des coopératives de production et de distribution, ils ont investi ou créé des lieux de diffusion, écrit des textes, publiés des revues. »139. Les universités d’abord, les centres d’art et festivals ensuite, font

découvrir au public les travaux de ces artistes plaçant le numérique au cœur de leurs réflexions et leurs pratiques. Refusant à la critique officielle et souvent ignorante des enjeux de leurs pratiques, le privilège de commenter leurs œuvres, les artistes produisent leur auto-critique. Les médias informels, les blogs personnels en particulier sont le réceptacle privilégié de leurs commentaires d’œuvres et réflexions140.

A Némo, l'intérêt pour le numérique découle de celui porté au cinéma expérimental puis aux arts « multimédia » et « numériques » contemporains, installations et performances audiovisuelles. Festival de cinéma indépendant unique en son genre141 au temps des « nouvelles images », il rejoint

les manifestations consacrées à cette branche de la création contemporaine qui fleurissent en France depuis le début du XXIe siècle quand il devient le festival « multimédia » en 2008 et « arts

numériques » d’Arcadi en 2010. Après les avant-gardistes Artifice à Saint-Denis et Exit à Créteil respectivement créés en 1990 et 1994, une première génération de festivals naît autour des années 2000, suivie d’une seconde dix ans plus tard. Aux Nuits électroniques de l’Ososphère142 à

Strasbourg, Accès(s)143 à Pau, Art-Outsiders144 à Paris, Electroni[k]145 à Rennes (rebaptisé festival

Maintenant en 2015) Scopitone146 à Nantes, le Cube Festival147 à Issy-les-Moulineaux, les Bains

numériques148 à Enghien-les-Bains succèdent ainsi la flopée des Seconde Nature149 à Aix-en-

139Nicole BRENEZ, op.cit., p. 23

140Voir les blogs et sites web d'Edmond Couchot, Gregory Chatonsky...

141Gilles ALVAREZ, propos recueillis par Nicolas PLAIRE pour filmdeculte.com le 08/4/05 URL :

http://archive.filmdeculte.com/entretien/gillesalvarez.php, consulté le 03/01/16 142 Créé en 1998 143Créé en 2000 144Créé en 2000 145Créé en 2001 146Créé en 2002 147Créé en 2002 148Créé en 2005 149Créé en 2007

Provence, Interférences150 à Strasbourg, Impetus Festival151 à Lausanne, Electropixel152 et Festival

D153 à Nantes, Mirage Festival154 à Lyon… Némo s’intègre ainsi dans un vaste panorama155 qui

comme celui des festivals de cinéma reproduit « dans leur diversité, leur spécialisation aiguë, dans leur multiplicité156 » l’hétérogénéité des pratiques, des visions et des publics de la création

contemporaine à l’ère du numérique.

Alors que qu'un grand nombre des festivals cités est produit par des associations ou, plus rarement, rattaché à une municipalité (le festival du centre d’art Shadock est par exemple en régie directe de la ville de Strasbourg), Némo émane d’un établissement public, Thécif puis Arcadi, disposant aujourd’hui du statut d’Établissement Public de Coopération Culturelle (EPCC) et d’organisme associé de la Région Île-de-France. En 2001, Marie-Pierre de la Gontrie, vice- présidente du Conseil régional d’Île-de-France présentait la vocation du premier : « Pour le cinéma comme pour le théâtre et désormais pour la chanson, Thécif répond à cette nécessité que nous ressentons tous : bénéficier d'une offre culturelle alternative. »157. Dans la continuité de son

prédécesseur, Arcadi accompagne des projets qui, souvent en raison de leur originalité, peinent à trouver des financements. Cas unique en France, il représente donc à côté de disciplines plus classiques comme le théâtre, l’opéra, la chanson et la danse, une branche d’un art bouté hors des institutions artistiques traditionnelles. Cela fait d’Arcadi une entité paradoxale, une institution à la marge de l’institution.