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Dans La vie intense. Une obsession moderne, Tristan Garcia écrit que « ce sont deux termes relevant du vocabulaire de l'intensité qui ont servi de principe régulateurs à la politique et à l'économie occidentales depuis le XVIIIe siècle : croissance et progrès. […] Ni l'un ni l'autre ne

guidait l'humanité vers le Paradis, la Cité de Dieu ou un au-delà. Ils indiquaient seulement un accroissement, un développement rationnel et l'espoir d'une amélioration perpétuelle du monde ici- bas. »283. Dans cette perspective, le festival puis la Biennale Némo sont un irremplaçable outil

diffusion pour Arcadi. La manifestation donne une raison d'être à son fond de production et prolonge l’accompagnement de son service arts numériques des projets qui lui sont présentés.

Le réseau de la Biennale permet de multiplier les aides envers des artistes alors que les financements publics sont en forte diminution. Le jeune duo Nonotak a ainsi pu profiter : 1. d'un apport en production par Arcadi ; 2. d'une résidence au Générateur, membre du Canif ; 3. d'une commande de la BIAN pour la création in-situ exposé deux mois dans le Château d'eau du Centquatre pendant Prosopopées ; 4. une cession de leur live audiovisuel au Générateur en janvier 2016 ; 5. une nomination au Prix Opline par Gilles Alvarez ; 6. leur insertion dans le pool des trois artistes Shape/Europe Creative 2016 ; 7. un accord avec Mutek pour un live de Shiro à Montréal et un live immersif dans le Satosphère dans le cadre du symposium international « Immersion » de la Société des arts technologiques, S.A.T. ; 8. la commande de deux installations in situ à Manizales dans le cadre de France/Colombie 2017 avec le soutien de l’Institut Français ; 9. une communication devant les professionnels Manizales dans le cadre de l'ISEA 2017 ; 10. un projet de campagne de financement participatif avec ProArti pour leurs nouveaux projets.

La visibilité des projets aidés est considérablement accrue par leur diffusion dans le cadre de la manifestation. Le réseau de lieux de diffusion partenaires permet de multiplier les représentations dans des établissements culturels de proximité ou des établissements renommés et très fréquentés comme le Forum des images, le Centquatre ou la Philharmonie. Dust, de Herman Kolgen, après avoir été programmé au Forum des images en 2010, est présenté dans sa version 2.0 à la Cigale une année suivante. Trois représentations (l’une d’entre elle a été annulée suite aux attentats du 13 novembre 2015) du Pendule de Mara de Mathieu Sanchez furent programmées dans le cadre de la Biennale 2015. Comme l'expliquait Gilles Alvarez avec une note de provocation, le week-end « Turbulences numériques » organisé dans le cadre de la biennale 2015 à la Philharmonie faisait cohabiter « musique électronique et musique savante » pour valoriser les artistes soutenus par Arcadi, favoriser la prise de conscience des proximités entre des univers artistiques pouvant paraître éloignés et aider l'Ensemble intercontemporain à renouveler son public. Cet événement présentait dans des conditions inédites un triptyque de performances mêlant les instruments et les esthétiques numériques et de musique de chambre. Après Karlheinz Stockhausen (Chant des adolescents, musique électronique), Tristan Murail (Treize couleurs du soleil couchant pour ensemble instrumental) et Pierre Jodlowski (Respire, pour onze instruments, vidéo et bande) en première partie, Luigi Nono (... sofferte onde serene... pour piano et bande magnétique), Herman Kolgen (LINK.C, performance audiovisuelle d'après le Quatuor à cordes n°2 de Philip Glass), Andrew

Norman (Try pour orchestre de chambre) et Thierry De Mey (Ripple marks, dispositif de projection interactif pour petit ensemble et électronique (création mondiale)) en deuxième partie, Jeff Mills et Jacques Perconte se sont associé pour un grand final avec Wild Extension (Madeira).

La juxtaposition de pièces d’artistes connus et celles d'artistes émergents accompagnés par Arcadi est valorisante. La confrontation à la nouveauté est stimulante pour les premiers et la proximité avec des personnalités reconnues participe à la légitimation des derniers. La proximité de films historiques, documentaires sur de grands cinéastes, clips musicaux et vidéos d’étudiants viserait à supprimer la hiérarchie établie entre les genres et à mettre sur un pied d’égalité des réalisateurs renommés et des cinéastes du motion graphic design encore peu considérés. Le discours qui accompagnait cette programmation hybride renforçait cette horizontalité : les œuvres apparentées aux « nouvelles images » régulièrement qualifiées de chef d’œuvre. De la même manière, l’exposition Prosopopées en 2015/2016 établissait des liens entre des œuvres d’artistes reconnus ou émergents. Parmi les objets de l’Appartement fou qui composait le cœur de l’exposition, Bleed de Michel de Broin (une la perceuse-fontaine) et BBot d’Anne Roquigny (un dispositif de webJing consistant à mixer sur le modèle du DJing des contenus trouvés sur le web) – deux personnalités bien identifiées dans le domaine de l’art contemporain et du net.art – cohabitaient avec My answer to Ecology #2 de Charbel-Joseph H. Boutros (un duo radiateur- réfrigérateur) et Art Student et Sex Sells de Marck (les tableaux vivants sur écran) – artistes moins connus mais prometteurs.

L’articulation des actions de diffusion et de production au sein de Némo manifeste la volonté de se constituer en rhizome afin de défendre au mieux les artistes et leurs projets et asseoir la légitimité de l'art numérique par rapport à l'art contemporain institutionnel. Illustrant la parenté des arts néomédiatiques et du cinéma d'avant-garde, l'autogestion et l'expérimentation – technique et sociale – sont primordiales dans les deux cas.

« Dans l'activité rhizomatique, ce qui est fondamental, c'est qu'il n'y a pas de division du travail entre les gens qui font les films, et ceux qui le montent. […] La fonction agrégative de l'amitié est fondamentale. On choisit un rhizome parce qu'on éprouve de l'amitié pour les personnes ou des affinités pour des contenus et, après, on trouve des objets de travail en commun. L’amitié est une donnée essentielle. Et ça c'est expérimental dans le sens où on ne sait pas d'avance ce qui va en résulter, c'est le contraire de l'économie capitaliste. Il ne s'agit pas de la recherche du maximum de profit mais celle du maximum d'intensité. C'est pour ça que les mouvements Dada, Surréaliste et Situationniste ont été et continuent d'avoir tant d'importance. Le rhizome est une forme sociale, expérimentale et, à mon avis, le cinéma

expérimental est expérimental pas seulement de la façon de tourner ou de monter mais surtout pas le vécu expérimental de ceux qui le font. […] il y a des rapports humains expérimentaux, au sens où Deleuze parle de la poésie de Michaux comme étant, avant tout, un protocole d'expérience (scientifique ou artistique, peu importe). »284

Les relations entre l'équipe d'Arcadi et ses partenaires participent de la même logique. Carine Le Malet, responsable de la programmation artistique au centre de création numérique Le Cube, partenaire historique de Némo, en témoigne. Elle décrit une confiance et une écoute réciproque285. S'apportant une aide mutuelle sur leurs événements, chacun sut mettre ses a priori de

côtés pour aider son compère à produire ou diffuser un projet qui lui semblait pertinent. Les déplacements du directeur artistique de Némo participent au renouvellement de la programmation temporaire du Cube, complétant ainsi une programmation annuelle déjà très dynamique. A Détroit pour un concert d'Adult, groupe visé par la responsable du Cube, il proposa à ses membres une date en ce lieu. Le partage des découvertes et coups de cœurs des deux programmateurs enrichissent les deux manifestations et profitent à la visibilité des artistes et de leurs projets. L'artiste montante Holly Herndon, d'abord vue sur scène par Gilles Alvarez, fut invitée au Cube dans le cadre de Némo en 2013 pour un concert audiovisuel286. « L'année suivante, on – Arcadi ou le Cube – ne pouvait plus se l'offrir. », nous disait Carine Le Malet287. De la même manière, Cédric Huchet affirme que

les responsables de la programmation des manifestations de la création orientée vers le numérique « sont tous des prescripteurs les un des autres »288. Il parle de figures référentes et d'amis pouvant

devenir des coproducteurs et codiffuseurs. Parmi d'autres exemples, les Antivj ont beaucoup joué à Scopitone avant d'être invités à Némo. Inversement, Cédric Huchet se rappelle avoir vu pour la première fois Herman Kolgen pour sa performance In/Ject dans le cadre du festival au Centquatre en 2010. Cela déboucha notamment sur une coproduction de son installation monumentale Eotone dans le cadre de la Digital Week de Nantes en septembre 2015.