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L’identité de Némo est fortement influencée par la personnalité de son fondateur et directeur artistique. Le parcours de Gilles Alvarez éclaire ainsi la genèse et l’évolution de la manifestation. Diplômé de Sciences-Po Grenoble, Gilles Alvarez débute comme attaché de presse pour les Rencontres chorégraphiques de Bobigny (danse contemporaine) avant de se tourner vers le cinéma. Après une année d’étude cinématographique à Paris, il devient programmateur du Cinéma 220 de Brétigny-sur-Orge, en charge des animations autours des projections, puis réalisateur intervenant à la Maison du geste et de l’Image. Fort de cette expérience et de sa pratique cinématographique – il a une demie douzaine de courts métrages à son actif – il est nommé Responsable cinéma et responsable de l’édition à Thécif (Théâtre et cinéma en Île-de-France) en 1996. Après les soirées Némo (1996) et « A vous de voir » (1997), Gilles Alvarez crée le festival en 1998 et en assume la direction artistique jusqu'à aujourd'hui.

Il s'associe à Nicolas Schmerkin – directeur du magazine Repérages – puis José-Manuel Gonçalvès – directeur du Centquatre. Le premier a collaboré à tous les programmes de nouvelles images jusqu'à la fin des projections à Némo. Le second co-signe les expositions monumentales qui se tiennent dans les espaces de son établissement prêtés pour l’occasion. Le directeur de Némo a aussi su prendre en compte une partie les conseils et remarques de ses collègues d’Arcadi en charge de la logistique de la manifestation (récupérer les films, s’occuper du logement et du voyage des artistes, réaliser les budgets, etc.), Anne-Cécile Tirifays, Karen Benarouch, Irem Couchouron, Marie Geoffroy et Sandra Caffin (aujourd’hui chargée de production de la biennale) ainsi que du responsable de la relation avec les publics, assistant technique, conseiller multimédia puis conseiller artistique, Julien Taïb.

Dans un contexte de précarité économique, défendre ces projets à l’esthétique inhabituelle, voire dérangeante, accompagner les artistes, trouver des financements et des compromis avec des

171Marie-Pierre DE LA GONTRIE, PN, No. 5, 2003, p. 3 172Ibid.

partenaires pour assurer leur diffusion demande une endurance remarquable. Seul le sentiment subjectif de la nécessité d’aider à faire exister tel ou tel projet serait assez fort pour résister aux pressions extérieures. Némo comme une grande partie des manifestations consacrées aux pratiques alternatives partage la situation de précarité économique des artistes. « Faire un film dans la marge, c'est démontrer qu'on est capable d'exprimer des idées qui nous tiennent à cœur, coûte que coûte », disait Laurent Bouhnik, cinéaste dont le travail est particulièrement représenté dans la revue Némo et les premières éditions du festival173. De la même manière, Nicolas Schmerkin déclarait que « la

clé, c’est d’abord d’être convaincu par le projet. […] Le moteur du projet, c’est l’envie, le désir, et le projet en lui-même. Et pas une subvention. »174.

Toutefois, le mode de direction « en équipe réduite » – qui correspondait aux premières éditions d'un festival produit par une association (Thécif) et d'envergure plus réduite – semble problématique maintenant que la manifestation est soutenue par un établissement public de coopération culturelle porté par la Région. Pour plusieurs de mes interlocuteurs, Némo ne présenterait en conséquence qu’une fraction de la création numérique contemporaine, des « partis pris »175 correspondant aux goûts personnels de ses programmateurs. Gilles Alvarez l'a reconnu au

temps des nouvelles images : « C'est un aperçu et c'est pour ça qu'il n'y a pas de compétition, ni le meilleur film de l'année. Le grand prix de Némo ça n'existe pas et ça n'existera jamais, en tout cas sous ma direction. Et d'ailleurs aucun autre festival international invité ne fait de palmarès, à quelques exceptions près, Onedotzero, Bitfilms, ne sont pas des festivals compétitifs non plus. »176.

Historiquement marginalisé, le milieu de l’art numérique favorise une forme d'entre-soi. Si de nouveaux noms apparaissent chaque année dans le programme du festival, les artistes invités en sont rarement à leur première exposition. La tendance à rester dans son cercle de connaissances est largement partagée dans l’événementiel contemporain. La forte injonction au succès de la manifestation incite à utiliser des recettes et techniques ayant fait leurs preuves auprès des autorités politiques et du public. Catherine Francblin remarque que les biennales « présentent souvent les mêmes noms, qu’il s’agisse des artistes ou de leurs sélectionneurs, super-animateurs culturels

173Laurent BOUHNIK, Revue Némo No.1, 1996, p. 9

174Nicolas SCHMERKIN, propos recueillis par Katia BAYER pour Format Court, mis en ligne le 03/03/10, URL : http://www.formatcourt.com/2010/03/nicolas-schmerkin-%E2%80%9Cce-n%E2%80%99est-pas-parce- qu%E2%80%99un-film-est-experimental-qu%E2%80%99il-est-chiant-non-regardable-et-qu%E2%80%99il- doit-rester-dans-un-tiroir%E2%80%9D/, consulté le 13/01/16

175Entretien avec X, artiste

176Gilles ALVAREZ, propos recueillis par Nicolas PLAIRE pour filmdeculte.com le 08/4/05 URL :

souvent solidaires les uns des autres »177.

Alors qu'il a été reproché à Némo un manque d'ouverture, une nouvelle dynamique se met en place depuis les années 2010. Comme une grande partie des institutions culturelles en France, Arcadi ne diffusait pas d'appel à projet en raison de la somme considérable de travail qu’elle demande pour un faible résultat : deux ou trois films sur 1500 reçus pour la première expérience de ce type. Un appel à projet fut en juin 2016 dans le cadre de la série des Rendez-Vous Némo qui précédera la Biennale 2017. Sa thématique « hasard, accident ou sérendipité ? » est l’opportunité pour les programmateurs de la manifestation de se laisser surprendre par les propositions d’artistes émergents ou confirmés évoluant en dehors du réseau d’Arcadi. Tous ceux qui le souhaitent pouvaient soumettre à leur appréciation leur projet sur un document d’une page.

Il n’est pas rare que la personnalité du directeur artistique influe directement sur l’identité du festival178. Parmi les collègues des programmateurs, les partenaires de Némo, les artistes invités et

les visiteurs de Némo, nombreux sont ceux qui font confiance au goût du directeur de la Biennale. Herman Kolgen et Franck Vigroux, régulièrement invités à participer à la manifestation, se retrouvent dans cette programmation. Des visiteurs assidus comme Jean-Christophe Théobalt ou Thomas Siegel ont pu être qualifiés de « spectateurs témoins ». Tous reconnaissent l'ampleur du travail accompli.

Cependant, une manifestation produite par un organisme associé de la Région Île-de-France, avec pour l’objectif de représenter la diversité de la création artistique alternative ne devrait-elle pas être plus représentative ? L’instauration d’un jury en partie composé d’experts extérieurs, la programmation de nouvelles cartes blanches et l’invitation d’un commissaire indépendant permettraient d’insuffler un souffle nouveau dans la programmation et en renforceraient la légitimité :

« Si le directeur artistique participe logiquement à ce travail, il est le plus souvent secondé dans ce cadre par un comité de sélection officiel, composé de spécialistes du cinéma et de l'audiovisuel, et/ou d'officiels et de spécialistes sur la thématique propre au festival […]. Lorsque le festival grandit et que le nombre de ses sections augmente, il peut d'ailleurs être amené à mettre en place plusieurs comités de sélection. […] L'enjeu pour ces comités est de

177Catherine FRANCBLIN, « À quoi servent les biennales d’art ? », Beaux Arts magazine, No.181, juin 1999, p. 90 178« Sa personnalité est souvent primordiale dans le choix des options artistiques d'un festival, et la manifestation revêt

bien souvent le visage très personnalisé de ce maillon central du travail de programmation. », Christel TAILLIBERT, op.cit. p. 139

parvenir à dégager, au-delà des individualités et des goûts personnels, une ligne directrice destinée à orienter les décisions collectives dans l'adoption ou le rejet des œuvres visionnées. […] La programmation naît ainsi de la rencontre entre les choix opérés par le comité de sélection, et les découvertes propres au directeur artistique, qui reste le plus souvent l'unique responsable des sections non compétitives »179

D’autres manifestations consacrées aux arts numériques adoptent une direction artistique plus horizontale. ISEA en Corée, festival international de nouvelles technologies, fait des appels à projet anonymes, diffuse des rapports et met en place des dispositifs permettant d’instaurer un échange avec les artistes et le chairman. Le directeur du festival Mutek à Montréal serait quant à lui très attentif à l’opinion de la majorité180.

Fidèle à lui-même, Némo évolue. Au moment où il est nommé directeur de la biennale et responsable de la coordination des événements d’Arcadi, Gilles Alvarez délègue une plus grande partie de la programmation à ses collaborateurs d’Arcadi et à ses partenaires. Julien Taïb, co-auteur de l’évolution « esthético-professionnelle » de Némo, a participé à la conception des expositions qui sont tenues au Centquatre en 2013 et 2015, Trouble makers : Digital versus Sensations et

Prosopopées : Quand les objets prennent vie. José-Manuel Gonzalvez, directeur artistique du lieu,

assurait le commissariat de cette dernière avec Gilles Alvarez. En proposant de très nombreux événements, produits et programmés par des acteurs tout aussi divers, la diversité de la production artistique francilienne est mieux représentée.

« On pourrait dire […] que c'est ça l'art numérique, mais ce n'est pas que ça. Simplement ce

qu'on montre, c'est ce qui nous paraît intéressant et ce qui est pour le coup très diversifié. Par ailleurs, c'est aussi la raison pour laquelle on s'appuie sur des lieux, et sur d'autres goûts et d'autres esthétiques, pour arriver à faire une manifestation […] qui n'ait pas une seule direction et qui ne soit pas, en gros, mes goûts. […] Ce que je peux revendiquer à 100% c'était l'exposition Prosopopées par exemple, où là j'ai vraiment choisi toutes les pièces et certaines sont des commandes […]. Et là c'est un commissariat totalement assumé de A à Z. Dans la Biennale il y a énormément de choses et je fais confiance à mes partenaires. C'est pour ça que c'est une biennale qui est elle-même un réseau. »181

« Divide et impera ». Adoptant une structure plus proche de celle du réseau numérique, le mode de gestion de la Biennale s'actualise. Le nombre croissant de partenaires de Némo établit un

179« Sa personnalité est souvent primordiale dans le choix des options artistiques d'un festival, et la manifestation revêt bien souvent le visage très personnalisé de ce maillon central du travail de programmation.», Ibid. , p. 139

180Propos recueillis auprès d'un artiste travaillant avec le numérique (actif aujourd'hui) – anonyme

181Gilles ALVAREZ, propos recueillis à la Rencontre professionnelle : Les réseaux du numérique le 15/03/16 à la Philharmonie, Paris

nouveau rapport de force bénéfique pour la manifestation et ses collaborateurs, institutions et artistes accompagnés.