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Dans le souci de rendre les images expérimentales puis les arts contemporains à composante numérique accessible à tous Némo s'adresse également aux « publics hors-jeu »261. « Convaincu de

l'universalité de l'art et de la spécificité de la médiation »262 le directeur artistique de Némo semblait

vouloir prendre en considération la réalité dans son ensemble et sa diversité. Issue du relativisme moderne, elle trouve ses racines en anthropologie, posant comme principe l'unité de l'homme et de la diversité des cultures. Refusant la pensée ethnocentrée établissant une hiérarchie entre « races », cette nouvelle science de l'humain opère un renversement à quatre-vingt-dix degrés du paradigme précédent et instaure une relation horizontale entre les cultures. Partant de ce postulat, l’art est accessible si le discours est adapté à chacun. Dans une logique inverse à la précédente où l’individu est pensé dans sa singularité, les catégories de publics sont créées pour s’adresser aux mieux au sujet compris comme membre d’un groupe. Une communication efficace reposant sur l'identification de cibles précises, la catégorisation des publics permet d'adapter le discours de l'institution dans l'objectif de répondre au mieux à leurs attentes supposées. Comme dans la majorité des établissements culturels français ces regroupements ne sont pas fondés sur des statistiques et des évaluations solides reposant sur des critères dépassant la simple objectivité (âge, sexe, situation professionnelle, géographique, fréquentation des lieux culturels, etc.), contrairement aux structures canadiennes où les évaluations sont d'usage courant.

Dans le catalogue de la première édition de Némo, l’activité d’Anne Toussaint, responsable

261Gilles ALVAREZ, Éditorial, PN, No. 8, 2006, p. 3 262Ibid.

de l’atelier de programmation audiovisuelle à de la Maison d'Arrêt de la Santé est accompagnée d’un texte présentant l’action menée en 1999 par Thécif et l’association Fenêtre sur cour en faveur de détenus. Une demi douzaine de rendez-vous en prison se succédèrent, prenant majoritairement la forme de visites de réalisateurs et d’acteur en prison. Au cours d’une d’entre elle, Agnès Jaoui, Jean-Pierre Bacri, Anne Alvaro et Gérard Lanvin vinrent présenter Le goût des autres (oscar du meilleur film en langue étrangère en 2000, césar du meilleur film et césar du meilleur scénario en 2001). Une séance de projection et une présentation par la réalisatrice québécoise Sylvie Laliberté de ses cinq court métrages programmés à Némo fut organisée dans le même établissement trois ans plus tard « dans la continuité des actions culturelles entreprises par Thécif en milieu carcéral »263.

Cette action culturelle, une « expérience super forte pour les programmateurs » également très bien reçue par les détenus n’a pas été poursuivie, probablement en raison des difficultés d’organisation qu’elle présentait. Pour éviter une annulation du pénitencier en raison d’une médiation trop importante, elle fait partie du « travail invisible » de Thécif.

Le cinéma expérimental est rarement considéré comme accessible aux enfants, auxquels on réserve plus habituellement des films d’animation spécialisés. Pour initier les jeunes spectateurs à ce qui était considéré comme les « images de demain », un programme spécialement destiné aux enfants, « 3D Kids », est mis en place dès 2006264. Composé d'une dizaine de courts métrages, il est

diffusé à des horaires adaptés au sein des « Panorama internationaux ». Après quatre éditions, il est supprimé en 2010 en même temps que les autres programmes cinématographiques265. Des

workshops leurs sont également dédiés même si « la limite d’âge n’est qu’un strict point de vue »266.

Invitant à bousculer les conventions, les adultes ayant conservés leur âme d’enfant semblent également concernés. Némo s’associe à Paris Mômes (« le guide culturel des enfants de 0 à 12 ans ») en 2011 pour un atelier de scoubidous suivant une projection de films d’animation dont l’apparence des personnages en étaient inspirés. En 2015, l’atelier parent-enfant « Fais le toi- même » organisé au Château Éphémère (Carrières-sous-Poissy, 78) est labélisé par la Biennale.

L’action d’Arcadi envers les établissements scolaires est importante. Les activités à destination des enfants prennent aussi la forme d'ateliers et visites guidées pour les jeunes visiteurs issus d'établissements de la maternelle au lycée situés dans des zones d'éducation prioritaires ou dispensant un enseignement technique. L'opération « Némo@Rurart » soutenue par le Ministère de

263 PN, No. 3, 2001, p. 34 264 PN, No. 8, 2006 265 PN, No. 12, 2010 266 PN, No. 8, 2006, p. 4

l'Agriculture est une « vaste opération de diffusion en direction du milieu rural et les établissements d'enseignement agricole » de trois régions, le Poitou-Charente, la Franche-Comté et le Languedoc- Roussillon)267. De nombreuses visites guidées de l’exposition Prosopopées furent organisées par

l’équipe de médiateurs du Centquatre en direction des publics scolaires des quartiers du nord de Paris.

Enfin, Némo s’adresse pour la seconde fois au public handicapé en 2015 dans le cadre d’un partenariat avec le Centre de vie pour le handicap mental La Gabrielle et la Maison des Arts de Créteil, après une première session en 2012 dans le même centre et avec l'aide de l'artiste YroYto. La restitution du projet One Life Remains VS La Gabrielle, résultat d’une résidence de neuf mois d’un collectif de game designer et de plasticiens à La Gabrielle. Expérience née d’une « lutte féconde contre les a priori liés au handicap comme au jeu vidéo », ce travail fit l’objet d’un documentaire réalisé par Cyril Bérard dont le premier montage est présenté en parallèle à la performance proprement dite. Julien Taïb décrit ce projet : « Un travail quasiment sur tout une

année, un travail vraiment humain de coopération avec, non pas un atelier pratique pour handicapés mentaux, mais véritablement une création collective avec les forces et les faiblesses d'un tel public spécialisé. C'est une des choses qui moi me tenaient à cœur et on a essayé de donne les moyens de le faire. […] ça a fait partie des sensibilités de la Biennale »268.

Cependant, aucune action en direction des plus démunis ou « public éloigné » ne sont prévues à l’image des « dérives artistiques » organisées par les membres d'Art Session au Centre Georges Pompidou. Ces dernières, organisées depuis 2011 par des bénévoles de 18 à 25 ans pour de jeunes adultes du même âge dont les conditions de vie précaires (ils sont travailleurs du sexe, primo-migrants, jeunes d’une École de la 2ème chance, etc.) les éloignent de l’institution muséale269.

Très peu de choses également à destination des femmes, largement sous représentées dans les cultures numériques et les musiques électroniques, à l’exception d’une édition (2013) au cours de laquelle Arcadi était engagé dans la Saison égalité femmes-hommes. Cela est peu étonnant au regard de la faible féminisation de la programmation de Némo depuis ses origines et du manque de parité des premiers jury et comités. Cette situation est représentative de la faible proportion de

267 Ibid., p. 62

268 Entretien avec Julien TAÏB

269« Art Session est un groupe de jeunes bénévoles de 18 à 25 ans créé en 2007 par Florence Morat, chargé de programmation au service de l’action éducative, sur le modèle du projet Tate Collective, initiative pionnière de la Tate Liverpool après les émeutes de 1981 au moment desquelles s’est exprimée la colère de la jeunesse désœuvrée des quartiers défavorisés. » URL : https://artsessioncentrepompidou.wordpress.com/2015/08/30/les- derives-artistiques-au-centre-pompidou-le-musee-et-les-publics-eloignes/

femmes dans les milieux du jeu vidéo, de la programmation et des arts numériques en France. Le public de Némo, réunissant les extrêmes, le haut (les professionnels) et le bas (les marginaux), l'indéfini (le grand public) et le fini (les publics cibles) semble donc « impossible ». L'impossible est pour Georges Bataille l'extrême des possibles qui est l'enchevêtrement hasardeux et instable de la vie. Il « annihile tout possible futur »270 en marquant la rupture fondamentale de la

chaîne des possibles271. S'adressant aux personnes possédant un capital culturel très important (qui

fréquentent la Philharmonie) ou plus restreint (les écoliers des établissements de Zone d’Éducation Prioritaire), Némo d'adresse aux deux extrêmes du spectre social.