• Aucun résultat trouvé

iii. Prise en charge de la douleur

Des incertitudes concernent la douleur provoquée par la réalisation de certaines interventions sur les animaux : écornage des bovins ou autres ruminants cornés, coupe des queues des porcelets, épointage du bec des volailles, castration des mâles dans plusieurs filières, etc. Les incertitudes sont ici de deux types : elles portent sur le caractère réellement

94 La mise en œuvre de cette Directive, en France, se heurte à des difficultés d’approvisionnement en litière pour les éleveurs (qui font augmenter leur prix à l’achat) et à des difficultés structurelles (car la fourniture de litière nécessite des investissements lourds pour l’adaptation des bâtiments). Ces difficultés économiques ont conduit des éleveurs à ne fournir que des jouets aux animaux (bâtons, ballon ou chaînes suspendues) tout en gardant le sol en caillebotis (Courboulay, 2014). Mise en œuvre dans de nombreux élevages porcins français, elle est jugée insuffisante pour garantir un réel bien-être des porcs par les défenseurs de l’élevage sur litière.

95 Certains arguments vont jusqu’à assimiler les grandes densités d’animaux à des systèmes « concentrationnaires », effectuant par-là une analogie entre la condition des animaux d’élevage et celle des prisonniers de camps de concentration nazis.

douloureux de la pratique en question et sur les alternatives possibles à mettre en place pour éviter la douleur ou pour éviter la pratique.

La reconnaissance de la capacité des animaux d’élevage à ressentir la douleur physique fait globalement consensus, mais des incertitudes demeurent en ce qui concerne le caractère douloureux de certaines pratiques ou le degré de douleur qu’elles provoquent. Le gavage des oies ou des canards, par exemple, fait débat : certains arguments présentent la pratique comme très douloureuse pour les animaux notamment quand elle induit des pathologies comme des maladies du foie, tandis que d’autres limitent la douleur ressentie. L’interprétation du comportement animal par l’observation empirique des réactions des animaux pendant et après l’intervention varie fortement selon les discours entre l’expression d’un simple réflexe à celle d’une douleur violente, comme le montrent ces deux extraits d’entretiens décrivant tous deux l’impact du gavage sur l’animal :

« Le gavage en lui-même, de toutes façons, c’est quelques secondes. Après, le canard, il secoue un peu la tête et c’est fini ! » (ingénieur agronome, filière avicole)

« Il faut voir comment c’est fait… Les canards, ou les oies, sont brutalisés, on leur enfourne de force le truc dans le bec, et après, ça se voit tout de suite qu’ils sont pas bien ! » (juriste, association de protection animale)

Les travaux en biologie opposent à la douleur, définie comme un processus complexe de réactions physiologiques et émotionnelles, le phénomène de nociception qui est un réflexe de protection qui ne fait pas intervenir les émotions. L’évaluation scientifique de ces réactions chez les animaux est délicate. L’interprétation des émotions animales en réaction à des stimuli désagréables fait l’objet de nombreux travaux mais le champ scientifique est loin d’être intégralement exploré (Devienne, 2010).

Des incertitudes perdurent aussi autour de la reconnaissance de douleurs psychologiques par les animaux. Là encore, la perception de cette douleur varie selon l’interprétation des comportements animaux par les observateurs. L’isolement d’animaux ou encore la séparation des vaches et de leur veau en élevage laitier, par exemple, sont soupçonnés d’être douloureuses, psychologiquement, pour les animaux mais l’évaluation de la détresse ressentie ne fait pas consensus, entre la douleur psychologique passagère, rapidement oubliée, ou le « déchirement ». L’éthologie s’intéresse à l’étude des comportements animaux traduisant une douleur psychologique, mais il reste néanmoins difficile de connaître précisément les émotions qu’ils ressentent (Ibid.). Empiriquement, cette

évaluation a tendance à se faire par comparaison des comportements humains avec ceux des animaux, avec un risque d’anthropomorphisme96.

Dans tous les cas où la douleur animale est reconnue, des incertitudes persistent quant aux solutions à mettre en œuvre pour la prendre en charge. Deux opinions coexistent, selon les pratiques considérées, entre l’arrêt de la pratique douloureuse et la diminution ou suppression de la douleur pendant sa réalisation. L’arrêt de la pratique en question se heurte souvent à des problèmes techniques qui justifient sa mise en œuvre. Par exemple, si quelques producteurs parviennent à élever des mâles entiers, la castration des porcs est pratiquée par la très grande majorité d’entre eux, d’une part pour diminuer les risques d’odeurs dans la carcasse après abattage qui rendent la viande fraîche impropre à la commercialisation et, d’autre part, pour atténuer les comportements d’agressivité entre animaux. Dans ce cas, quand l’arrêt de la pratique suscite des incertitudes, la prise en charge de la douleur peut être réalisée par anesthésie pour la supprimer ou analgésie pour la réduire. Mais ces traitements requièrent du temps et des compétences que tous les éleveurs n’ont pas, notamment pour administrer le produit correctement car de mauvaises manipulations peuvent être dangereuses pour l’éleveur et l’animal. Ces traitements médicaux sont, de plus, eux-mêmes source de méfiance de la même manière que les administrations d’antibiotiques ou d’autres produits pharmaceutiques.

Une autre alternative est de s’appuyer sur la génétique pour sélectionner des animaux ne nécessitant plus la réalisation de ces pratiques douloureuses, comme des vaches sans cornes pour éviter l’écornage, comme en témoigne cet extrait d’entretien :

« Est-il plus acceptable d’écorner, de laisser les cornes aux vaches et qu’elles se blessent, ou de produire des animaux sans cornes

génétiquement modifiés ? » (éleveur bovin)

Les propos de cet éleveur évoquent, en termes d’« acceptabilité », deux alternatives possibles à l’écornage : arrêter la pratique au risque d’augmenter les risques de blessures entre animaux, ou bien produire génétiquement des animaux sans cornes. Pour cette dernière solution, des confusions entre sélection et modification génomique (OGM) risquent toutefois

96 L’anthropomorphisme est le fait de projeter sur des animaux des comportements ou émotions humains. Réaction nécessaire à l’empathie et à la prise en considération du bien-être animal, l’anthropomorphisme peut cependant conduire à de mauvaises interprétations des besoins animaux, car ils ne perçoivent pas toujours leur environnement de la même manière que ne le fait l’humain (Veissier et Boissy, 2000).

de susciter des inquiétudes d’ordre sanitaire ou éthique sur les alternatives génétiques, comme évoqué précédemment.