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La question de la pollution de l’eau par les exploitations d’élevage est liée à la gestion des rejets animaux (effluents sous forme de lisier ou de fumier) et des produits chimiques utilisés sur les cultures (fertilisation azotée, produits phytosanitaires, pesticides, etc.) (Hénin, 1980).

Ces produits contiennent des nitrates, du phosphore et du potassium qui, s’ils sont utiles à la croissance des plantes et sont donc utilisés comme engrais naturels ou chimiques, ne sont pas toujours entièrement absorbés par les cultures. L’excès éventuel se diffuse alors dans les sols ou ruisselle, et peut rejoindre les eaux des rivières et de la mer en perturbant les écosystèmes. Ces apports d’azote, de phosphore et de potassium déséquilibrent les caractéristiques biochimiques des eaux, les rendant impropres à la survie de certaines espèces ou, au contraire, favorisant la prolifération d’autres espèces. Dans certains cas, cette forte disponibilité en nutriments conduit à la prolifération massive d’algues qui asphyxient le milieu en en puisant tout l’oxygène et en empêchant toute autre forme de vie de se développer : on parle d’eutrophisation des cours d’eau.

En ce qui concerne l’impact de l’élevage sur la qualité des eaux, les incertitudes entourent l’évaluation de la quantité d’éléments polluants rejetés par les élevages et, plus

80 L’un des argumentaires des filières d’élevage de ruminants cherche à convaincre du caractère particulièrement herbager de l’élevage français, et donc de son importante contribution au stockage de carbone par les prairies.

globalement, la part de responsabilité de l’élevage dans cette pollution. Cette dernière est d’ailleurs qualifiée, dans les politiques publiques notamment, de « diffuse » en raison du statut ambigu des effluents d’élevage qui sont à la fois fertilisants et polluants, et de la complexité du phénomène naturel qui varie en fonction des caractéristiques pédoclimatiques des milieux81. Ce qualificatif contribue à alimenter les incertitudes quant à l’évaluation de ce type de pollution d’origine agricole, car il met en évidence la difficulté d’en attribuer la responsabilité à des individus en particulier. Si toutes les filières d’élevage, et l’agriculture en général, sont concernées par la problématique de gestion de ces éléments, c’est la production porcine qui suscite le plus de soupçons quant à sa responsabilité dans la pollution des eaux. La focalisation des inquiétudes sur la production porcine s’explique par les proliférations d’algues vertes en Bretagne, où la densité d’élevages porcins est importante82. En France, la densité des animaux d’élevage est effectivement particulièrement élevée en Bretagne (Figure 8). Cette concentration territoriale est source d’incertitudes quant à son impact sur l’environnement, notamment en ce qui concerne la gestion des effluents et la pollution de l’eau.

81 « Les représentants agricoles précisent qu’il ne convient pas d’associer les lisiers, fumiers et fientes à des pollutions car il s’agit là d’engrais nécessaires à la croissance des cultures. […] Sa nature [au lisier] s’avérant difficile à appréhender – tour à tour polluant ou fertilisant, nuisible ou bénéfique –, on peut dire que les "pollutions" agricoles des eaux apparaissent diffuses en ce sens-là » (Bourblanc et Brives, 2009 : 164).

82 Toutefois, l’élevage porcin n’est pas le seul contributeur de cette pollution des eaux bretonnes : d’autres activités (agricoles, domestiques et industrielles) y contribuent également. La filière porcine conteste donc sa part de responsabilité dans cette pollution et considère, eu égard aux réductions des rejets de nitrates réalisées par les élevages au cours des vingt dernières années, que ces inquiétudes relèvent d’un acharnement injuste envers l’élevage porcin.

Comme dans le cas des GES, les incertitudes sur l’impact de l’élevage sur l’eau entourent aussi les actions à mettre en œuvre pour les diminuer. Certains préconisent un développement de la méthanisation, qui est un processus physico-chimique permettant de transformer les effluents d’élevage et de les rendre plus facilement exportables vers des zones du territoire en déficit d’azote. La réaction chimique produit en parallèle du biogaz et contribue donc à la production d’énergie. La mise en œuvre de la méthanisation nécessite toutefois des investissements importants pour les exploitations et une production de substrat suffisante pour faire fonctionner le dispositif. Cette solution n’est donc applicable qu’aux exploitations dont la production et les ressources financières le permettent, ou qui peuvent se regrouper avec d’autres. D’autre part, le processus de méthanisation est perçu par certains comme une relégation de la production agricole au rang de « sous-produit » dans des exploitations dont l’activité première devient la production d’énergie. Enfin, cette solution ne traite pas la source du problème qui est la forte densité d’élevage sur certains territoires.

Une autre solution est de favoriser l’évolution des élevages vers des systèmes moins producteurs d’effluents azotés ou de limiter, voire diminuer, le cheptel dans les zones écologiquement vulnérables. La Bretagne, par exemple, a longtemps été classée en « zone

d’excédents structurels » du fait d’un nombre d’animaux élevés produisant des quantités d’azote excessives au regard des besoins du milieu, ce qui engendre des problèmes de pollution des eaux. D’autres régions, en revanche, sont déficitaires en engrais azotés organiques car l’élevage y est moins présent voire en recul. Certains arguments proposent donc un plafonnement absolu du cheptel en Bretagne, voire sa diminution. Ils plaident pour l’engagement d’une réflexion sur l’agriculture au niveau national pour reconnecter les systèmes d'exploitation aux territoires français en fonction de leurs besoins et de leurs ressources en engrais azotés organiques, en exportant (ou en favorisant l’installation) d’exploitations dans d’autres régions pour désengorger la Bretagne. D’autres arguments défendent cette concentration géographique des élevages car elle entraine des économies d’échelle pour les exploitants et les filières : les coûts de transport et de production sont réduits du fait de la proximité et de la densité des structures de l’amont et de l’aval sur le même territoire (des éleveurs aux agents de la distribution en passant par les fabricants d’aliments et de matériel). Les oppositions à cette proposition avancent qu’une telle délocalisation de la production ne peut pas s’effectuer dans le contexte économique actuel, parce qu’elle menacerait la compétitivité des filières, que beaucoup d’emplois sont en jeu et qu’une délocalisation des activités nécessiterait des mobilités d’employés ou des reconversions. D’autre part, des arguments soulignent la difficulté qu’ont les éleveurs porcins ou avicoles à s’installer dans des régions où cette filière est peu implantée : ces projets déclenchent souvent des levées de boucliers des populations locales, méfiantes vis-à-vis de ce type d’élevage qu’elles connaissent peu en dehors de la médiatisation des épisodes bretons d’algues vertes.