• Aucun résultat trouvé

ii. Des points de vue divergents par rapport à l’élevage

Les acteurs de l’élevage ne partagent pas tous la même vision de l’agriculture, ne donnent pas le même sens à l’activité et beaucoup de pratiques ne font pas consensus. Schématiquement, on peut comprendre la variabilité des points de vue au sein du monde de l’élevage en décrivant les positions défendues par les syndicats, qui portent un message politique et assurent l’action militante.

Le syndicat majoritaire, la FNSEA se montre globalement satisfait des pratiques actuelles de l’élevage mais souhaite une amélioration de sa compétitivité économique. Ce syndicat milite surtout pour que les règlementations environnementales, sanitaires ou de bien-être animal, qui sont perçues comme un ensemble de contraintes menaçant la viabilité économique des exploitations, soient assouplies au du moins qu’elles ne se durcissent pas sous l’influence des associations. Sans s’opposer à l’agriculture biologique ou à la commercialisation par les circuits courts, la FNSEA les considère comme des niches économiques et défend également une agriculture tournée vers l’exportation, compétitive et insérée dans les marchés mondiaux libéraux. Toutefois, la FNSEA étant le syndicat majoritaire historique, il regroupe différentes sensibilités en son sein110. La Confédération Paysanne, quant à elle, s’oppose à la concentration de la production car elle la juge responsable de coûts sociaux et environnementaux négatifs. Elle milite pour un plafonnement individuel des aides publiques, pour partager des droits à produire, favoriser les petites exploitations et maintenir les emplois agricoles. Elle s’oppose en effet à un agrandissement excessif des exploitations et défend l’agriculture agroécologique, biologique, la polyculture-élevage, et la commercialisation en

110 Christiane Lambert, présidente de la FNSEA depuis 2017, se montre en faveur d’une amélioration progressive des pratiques par rapport à l’environnement et au bien-être animal.

circuit court (Delorme, 1996)111. La Coordination Rurale, enfin, est traditionnellement attachée à une forme de protectionnisme économique des produits agricoles à l’échelle européenne et défend la souveraineté alimentaire de la France. Elle soutient tous les types de systèmes de production, et s’oppose au libre-échange des produits agricoles qu’elle rend responsable des prix bas imposés en France.

Au-delà de ces positionnements syndicaux, les interprofessions, en charge de l’activité communicationnelle, peinent à construire des argumentaires communs. Si les différentes filières d’élevage se fixent pour principe de se défendre face aux critiques qui leur sont adressées sans jamais dénigrer une autre filière ou un certain type d’élevage, cette volonté affichée de solidarité inter-filière se heurte aux caractéristiques et atouts propres aux différentes productions. En particulier, on ressent, d’après les entretiens réalisés auprès d’acteurs de la filière porcine, un sentiment d’isolement de cette production par rapport aux autres (bovins et volailles), comme le montre cet extrait d’entretien qui soulève les difficultés de la filière porcine à proposer des alternatives au système intensif :

« Quand la filière bovine se défend avec le pâturage et que les volailles mettent en avant le plein air, nous, en porc, on ne se sent pas vraiment aidés. » (éleveur de porcs)

Au sein même des filières, de plus, la construction d’un argumentaire commun est compliquée. En agriculture, en effet, promouvoir un type de système est souvent perçu comme une manière de dénigrer les autres, et cette stratégie n’est pas acceptable pour une communauté qui veut afficher une image d’unité. L’interprofession laitière, par exemple, se montre réticente à promouvoir le pâturage auprès des éleveurs alors que ce système d’élevage répond à l’une des incertitudes fortes entourant les conditions de logements des animaux. Les éleveurs ne le pratiquant pas, en effet, pourtant largement minoritaires en France, se sentiraient décriés par ce type de message. Officieusement toutefois, le regard porté par les éleveurs sur les différentes pratiques d’élevage n’est pas homogène, comme en témoignent les propos de cet acteur du conseil en élevage porcin, mais les discussions sur ces sujets non consensuels se font à huis clos, au sein de la profession elle-même :

« Les maternités collectives en élevage porcin, c’est un type d’élevage qui pose vraiment un problème d’acceptabilité, accentué par le fait que toute la profession n’est pas unanime pour soutenir les maternités collectives. Et

111 La Confédération Paysanne est, par exemple, particulièrement impliquée dans le mouvement militant s’opposant à la « ferme des 1 000 vaches ».

plus la profession est divisée, plus ça pose problème. » (conseiller de Chambre d’agriculture)

Les entretiens révèlent également deux types de positionnement chez les éleveurs face aux diverses règlementations (environnement, bien-être animal ou sécurité sanitaire). Elles sont, pour certains, un ensemble de contraintes rendant leur activité plus difficile qu’elle n’est déjà et menaçant la viabilité économique des exploitations. Tandis qu’elles représentent, pour d’autres, une évolution nécessaire, une opportunité de modernisation et de réponse aux problèmes d’acceptabilité de l’élevage par la société. Une partie des éleveurs trouve la règlementation globalement trop stricte ou inadaptée et leur critique porte essentiellement sur le manque de connaissances pratiques des personnes qui prennent des décisions.

Enfin, on note différentes réactions parmi les acteurs de l’élevage quant aux critiques dont l’activité fait l’objet. On perçoit dans beaucoup de discours, d’éleveurs notamment, un sentiment d’injustice. Bien qu’ils concèdent parfois que des abus aient pu être commis par le passé en termes de surexploitation des ressources et de réification de l’animal, ils considèrent que leurs efforts et progrès ne sont pas reconnus par les associations, et que certaines critiques à leur encontre ne sont plus justifiées. Certains d’entre eux considèrent qu’il est nécessaire que les filières amorcent des rapprochements et discussions avec les associations pour progresser dans les pratiques et dans la compréhension mutuelle ; tandis que, pour d’autres, les discussions avec leur détracteurs principaux sont non souhaitables, voire impensables, car incomptables avec le développement des filières :

« L’existence de controverses, c’est un peu inévitable dans les activités humaines. En revanche, il y a vraiment beaucoup de choses à faire autour du dialogue et de la connaissance et puis, il y a aussi à vraiment être capable de faire évoluer, dans une certaine mesure, nos façons de produire. » (ingénieur agronome, institut technique)

« Pour certains de mes collègues techniciens ou même producteurs, commencer à s’intéresser au regard de l’autre, c’est déjà une forme de démission ou de compromission. »(ingénieur agronome, interprofession)

Ces deux extraits d’entretiens illustrent bien les deux positions : entre une volonté d’ouverture et de dialogue dans un objectif d’amélioration des pratiques, et une volonté de replis sur soi face à des associations perçues comme les ennemis souhaitant la mort de l’élevage.

Globalement, le monde agricole n’a donc pas une vision homogène de l’élevage, mais on note tout de même un refus général de l’imposition, par la règlementation, de la

transformation des pratiques. L’évolution des manières de produire est plutôt souhaitée par tous, mais sur des critères qui ne font pas consensus : certains souhaitent une augmentation de la productivité des exploitations française pour faire face aux crises agricoles et à la concurrence internationale, quand d’autres souhaitent une prise en compte plus importante des questions environnementales et de bien-être animal. Entre ces deux positions, beaucoup d’éleveurs sont eux-mêmes en incertitude quant au sens de leur activité de plus en plus décriée et dont la transformation des pratiques est contrainte par la rentabilité économique de l’exploitation.

B. Le monde associatif : des luttes qui se croisent

112

i. Des associations environnementales attachées à l’agriculture certifiée