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iii. Application de la notion de système à la controverse sur l’élevage

Après cette présentation théorique des constituants et du fonctionnement d’un système, il s’agit maintenant d’en tester son application pour rendre compte de la controverse autour de l’élevage.

L’analyse systémique permet de considérer la controverse comme constituée de multiples éléments (qui restent à identifier), en lien les uns avec les autres, et de nombreux sous-systèmes (qui correspondraient à des controverses singulières ou cristallisées). La conception systémique aide finalement à tenir compte de la complexité de la controverse en suggérant qu’elle est constituée d’éléments hétérogènes mais en interrelation, assurant une certaine cohérence et autonomie à l’ensemble (la controverse), et qui correspondent à des échanges d’informations, de matériaux ou d’énergie. La notion d’élément permet également de s’affranchir d’une identification précise systématique des constituants de la controverse : elle implique de considérer les différents types d’éléments de la même manière (on peut penser qu’ils jouent chacun des rôles différents, mais également qu’ils jouent un rôle similaire lorsqu’on les considère comme un tout).

La mise en relation de réseaux d’éléments hétérogènes, sur laquelle se fonde l’analyse systémique, évoque celle de « forum hybride » développée par Michel Callon, Pierre Lascoumes et Yannick Barthe (2001), en y ajoutant une dimension d’emboîtement et de

rétroaction grâce aux sous-systèmes : le système de la controverse sur l’élevage est constitué de multiples réseaux de nature différente, dont des réseaux de « sous-controverses », qui interagissent. La complexité est intégrée à l’analyse à travers le traitement particulier des relations causales. Le système suggère notamment que les différents évènements ou situations de la controverse sont l’effet de causes multiples intervenant à différentes échelles d’espace et de temps, ce qui aide également à tenir compte de son caractère dynamique lié à la notion de processus. Les principes d’émergence et d’inhibition énoncent quant à eux que, de l’organisation des différents éléments de la controverse, résultent des propriétés qui sont propres à la controverse globale, mais également que cette dernière influence le développement et les évolutions des sous-systèmes (correspondant ici aux controverses cristallisées ou situées).

C’est précisément pour rendre compte de ces propriétés d’émergence et d’inhibition que l’analyse systémique se montre particulièrement pertinente pour décrire la controverse autour de l’élevage. Les définitions du système présentées précédemment montrent finalement que ce modèle d’analyse aide à répondre à la principale difficulté posée par la controverse sur l’élevage, à savoir qu’elle semble constituée de multiples débats singuliers, territorialisés ou non, situés ou non, formant une supra-controverse remettant en cause l’élevage dans sa globalité. Le principe hologrammatique permet de s’affranchir des questionnements hiérarchiques que pose cette organisation : le concept de système suggère que les liens entre controverse globale et controverses cristallisées sont réciproques et que, si l’une englobe les autres, les controverses cristallisées contiennent également des propriétés ou éléments de la controverse globale ou, pour aller plus loin, la controverse globale est également contenue dans les controverses cristallisées.

Il s’avère, enfin, que le concept de système est fréquemment utilisé en agronomie, notamment pour qualifier les systèmes agricoles (intensif, extensif, etc.) ou bien pour traiter de sujets environnementaux (écosystème par exemple). L’utiliser pour analyser la controverse autour de l’élevage prend donc tout son sens, ce concept étant de plus particulièrement bien adapté pour analyser des sujets interdisciplinaires (et notamment mariant les disciplines de sciences sociales et de sciences naturelles).

B. Trois approches croisées pour analyser la controverse

i. Méthode d’analyse d’un système

Analyser une controverse en la considérant comme un système suggère de considérer à la fois les différents éléments qui la constituent (et qui s’organisent en réseaux), et la controverse dans sa globalité : « on est donc amené à faire un va-et-vient en boucle pour réunir la connaissance du tout et celle des parties » (Morin, 2007 : 4). Il s’agit donc, dans la construction de notre modèle d’analyse, de tenir compte à la fois de la supra-controverse et des controverses cristallisées ou localisées (qui correspondent aux sous-systèmes). Dans chaque cas, l’analyse devra conduire à l’identification des différents éléments des controverses, qui constituent les parties du système : quelle est leur nature ?, comment interagissent-ils entre eux, c’est-à-dire comment forment-ils des réseaux ?, et comment les différents réseaux interagissent-ils entre eux ? L’analyse systémique suppose une attention toute particulière portée aux relations entre ces éléments : là encore, il s’agira d’identifier leur nature et leur dynamique (comment se créent-elles et comment sont-elles régulées ?).

Le croisement des définitions de la controverse et de celles du système permet d’émettre des hypothèses quant à ces premières questions. Nous pouvons considérer que les éléments de la controverse « globale » sont les acteurs, les incertitudes et le public, c’est-à-dire les trois composantes structurant les définitions de la controverse, leur mise en relation formant les différents réseaux du forum hybride. Ces relations prennent effectivement la forme d’échange d’informations (qui correspondent, dans une controverse, aux arguments par exemple), de matériaux (qui peuvent prendre la forme de financements) et d’énergie (il peut s’agir ici de moyens humains). Les sous-systèmes, comme on l’a vu, sont les controverses cristallisées autour de situations, de territoires ou d’évènements particuliers. L’environnement correspond au contexte de la controverse, et la frontière est ce qui distingue la controverse sur l’élevage de cet environnement. Il s’agit, avant l’analyse, de construire précisément cette frontière pour délimiter notre champ d’étude, et ensuite d’en analyser la perméabilité afin de déterminer si la controverse autour de l’élevage est un système fermé, ce qui impliquerait que les enjeux qu’elle soulève ne concernent que l’activité d’élevage, ou bien un système ouvert, et dans ce cas les enjeux de la controverse sur l’élevage sont plus larges que l’activité en elle-même. Les différents constituants du système sont récapitulés dans le Tableau 1.

notre cas, il semble plus facile d’appréhender les situations de désordre : on peut considérer que ces situations s’apparentent aux épreuves de Francis Chateauraynaud (1998), et qui correspondent aux prises de décisions, changements de pratiques, ou tout évènement bouleversant la structure de la controverse. Par extension, les situations d’ordre sont tous les moments où la controverse perdure mais où aucune épreuve ne vient perturber son déroulement et son organisation (ce qui correspond donc aux périodes entre les épreuves). Cela implique, pour l’analyse de la controverse sur l’élevage, une vision diachronique, afin de percevoir le déroulement de ce processus, les moments de stabilité ou d’irrégularité, et également les mécanismes de rétroaction et d’autorégulation assurant la persistance de la controverse.

Finalement, l’approche systémique de la controverse fournit des clés méthodologiques pour décrire finement sa structure et son organisation ; description qui s’avère indispensable à la compréhension du processus, mais insuffisante pour analyser les transformations de normes sociales à l’œuvre.