• Aucun résultat trouvé

1.5.1 — Les hypothèses

Dans le document POIDS ET MESURES DE L’ÉGYPTE MUSULMANE (Page 33-35)

1.5.1.1. — Les deux premiers siècles de l’hégire (ier-iie/viie-viiie siècles)

La légende de c. 70 % des poids en verre estampillés de cette période com- porte des termes signifiant « poids de dinar », « poids de dirham » ou « poids de fals ». Ces poids sont fabriqués à quelques centièmes de grammes près. Nul ne conteste aujourd’hui que ce sont des poids, mais il n’existe pas de témoi- gnage direct qui relie poids en verre, monnaies et autres moyens de paiement de cette époque.

Les dénominations que portent ces poids correspondent aux dénominations des monnaies alors en usage dans le monde islamique de cette période : di- nars et fractions, dirhams et fals. Il faut toutefois souligner que la situation monétaire est loin d’y être homogène (Bates 1986). L’Égypte est dans une si- tuation monétaire particulière car, jusqu’à c. 170-171/786-788, l’or et l’argent sont frappés en dehors du pays : elle ne disposerait d’un atelier monétaire que pour la frappe de fals de bronze (Bates 1991, p. 50). L’éventualité de la frappe de demis et de tiers de dinar à Fustat à l’époque umayyade est plausible, mais sans plus (voir V.Stras. 3).

Les poids en verre ont-ils un rapport direct avec cette situation ? Probablement pas, car lorsque les fals umayyades et abbassides sont frappés en Égypte, mon- naies et poids sont attestés simultanément (§ 1.5.3.5.c), et lorsque la frappe de l’or (abondante) et de l’argent (rare) débute en Égypte après 170-171/786-788, des dinars poids et des fractions en verre sont encore estampillés pendant une vingtaine d’années (Novak 2006, nos 9-10 ; § 1.4.7., figure 1, e-f ; V.Stras. 106). Plus tard, à l’époque fatimide, de très abondantes frappes monétaires et une grande quantité de poids en verre coexistent.

Dans un article fondateur, Miles 1964b donne une première synthèse exposant en détail la variété et la précision de ces poids. Il donne successivement : – les premières statistiques sur les exagia d’époque byzantine ;

– un tableau des personnages attestés aux trois premiers siècles de l’Égypte islamique, avec les différentes catégories d’objets estampillés par chacun ; – des statistiques de poids de dinar ;

– des statistiques de poids de dirham ;

– une évaluation expérimentale et des calculs concernant la masse du ḫarrūba ; – un inventaire et des statistiques concernant la variété des poids de fals ayant servi selon lui à peser des monnaies de bronze et non des fractions de mon- naies d’or ;

– des tables pour la comparaison des poids de fals et les fals monnaies. Il conclut en posant six questions :

1. Si les poids n’ont pas été utilisés pour peser les fractions de dinars mention- nées surles papyrus : 1/4, 1/6, 1/8, 1/12, etc. ou même des 1/3 ou 1/8 de carat,

4. Pourquoi y a-t-il des demi-fals de 17, 15 et 9 ḫarrūba ?

5. Pourquoi n’existe-t-il pas de poids de moins de 9 ḫarrūba ? Pourquoi aucun de 21 ? 6. Qu’est-ce qui a remplacé les poids de fals et de dirham à la fin du iie/viiie

siècle et les poids de dinar au début du iiie/ixe siècle ?

Miles acceptait implicitement l’hypothèse que ces poids étaient des poids mo- nétaires, c’est-à-dire que la masse du poids correspond exactement à celle de la monnaie qu’il est destiné à peser. Depuis la recherche a évolué, deux opi- nions dominent aujourd’hui, qui peuvent paraître opposées.

Morton 1985, p. 14-15, doute que les poids de verre de dinar et surtout de dirham des Ier-IIe/VIIe-VIIIesiècles aient eu un rapport direct avec la monnaie

courante. L’absence de poids multiples (voir ci-dessous) lui fait rejeter éga- lement l’hypothèse de la pesée par lots. Il est prêt à admettre « some kind of

correlation » seulement pour les fals poids (op. cit. p. 25). Cette opinion donne à

son catalogue des estampilles du British Museum un aspect paradoxal : il uti- lise pour tous ces poids l’appellation de « coin weight », mais semble leur dénier cet usage. Dans une note manuscrite inédite de 2007 sur les fractions de dinar poids, il renchérit « The fractional dinars did seem unnecesssary ».

Bates 1981, 1991, 1993, attribue au contraire à ces poids de verre la fonction de money weights (plutôt que coin weights, expression qu’il lui arrive pourtant d’utiliser) matérialisant une masse de métal (or, argent et bronze) fixée par une autorité et servant aux évaluations et aux paiements professionnels et publics. Il conclut son article de 1993, qui traite de la période fatimide : « The

abundance and the many varieties of Fatimid glass "coin weights" then are evidence of a rather sophisticated system of government regulation of the process of making payments, which was not parralleled in most other periods of Egyptian history or in other countries ». En historien de la monnaie, il propose un modèle dont la mise

en œuvre aurait été complexe, sur lequel nous n’avons pas de témoignage di- rect, mais qui, à notre avis, correspond à l’ensemble du matériel et aux ques- tions qu’il pose. Selon lui, les poids n’ont pas servi à vérifier des monnaies courantes prises une à une (poids monétaire), mais à peser et donc à évaluer des paiements effectués grâce à une ou plusieurs monnaies. Il envisage la pos- sibilité de payer/peser avec des morceaux de monnaies car ceux-ci gardent une valeur monétaire (Holland 1986, p. 187-189), la jurisprudence acceptant d’anciens dirhams coupés pour les paiements, dans la mesure où une trace de la frappe subsiste sur le fragment et en garantit l’aloi.

1.5.1.2. — L’époque fatimide (iiie-vie/ixe-xiie siècles)

Bien qu’elle ne concerne pas directement ce catalogue, il est nécessaire de rappeler quelques données d’un débat concentré sur la période fatimide (§ 1.9. pour la collection de la BNU ; § 1.8.2.7. pour les analyses chimiques du groupe 3). L’usage de ce qui est encore couramment désigné dans les cata- logues de vente comme des « jetons » fatimides fait l’objet d’interprétations divergentes et sert souvent de base pour raisonner par analogie sur toute la période islamique. Les masses de ces prétendus jetons sont clairement basées sur le dinar et le dirham, mais plusieurs de leurs caractéristiques ont amené Paul Balog à considérer une partie de ces disques comme des jetons fiduciaires (token) se substituant à un monnayage de cuivre défaillant (Balog 1971-1973, très utile comme corpus ; Balog 1981 et Bates 1981 pour le débat). Ce sont : – leur grand nombre ;

– leurs légendes exclusivement religieuses et politiques (absence de toute in- dication de masse ou monétaire) ;

– l’absence d’adéquation entre ces jetons et le monnayage courant (il existe des jetons d’une masse de deux dinars et de deux dirhams alors qu’on ne connaît pas de monnaies de deux dinars ni de deux dirhams) ;

– la disproportion entre le grand nombre de poids de un dirham et la rareté relative des dirhams monnaies à cette époque.

Le géographe al-Muqaddasī ayant mentionné c. 375/985 que les sinaj ou poids monétaires des Fatimides étaient en verre (Morton 1985, p. 21), Balog estime que ces poids sont devenus des jetons fiduciaires après cette date, vers la fin du califat d’al-‘Azīz (365-386/975-996).

Dans le même numéro du Journal of the Economic and Social History of the Orient daté de 1981, puis en 1993, Bates développe une critique documentée des théo- ries de Balog. Son principal argument est le fait qu’une chose aussi extraor- dinaire qu’une monnaie de verre ne pouvait passer inaperçue à une époque bien décrite par les historiens, les voyageurs, les techniciens de la monnaie, etc. C’était déjà l’opinion de Sylvestre de Sacy 1797 (§ 1.4.1.). Bates maintient donc que les poids en verre d’époque fatimide ont servi, comme ceux des Ier/

VIIe et IIe/VIIIe siècles, à peser des paiements effectués grâce à une ou plusieurs

monnaies.

Deux siècles après les Fatimides, Ibn Khaldun (732-808/1332-1406) explique la différence entre monnaie légale et monnaie réelle lorsqu’il aborde la question de la sikka (fabrication des coins, monnaies, contrôle) : « ... les dirhems et les dinars varient, pour le poids et la valeur, dans les divers pays, dans les diffé- rentes villes capitales et dans chaque province. Mais, comme la loi divine en a fait mention et qu’il s’y rattache beaucoup de décisions relatives à la dîme, aux mariages, aux peines (pécuniaires), etc., il faut nécessairement qu’en matière de législation, ces espèces aient une valeur fixe, déterminée par la volonté de la loi, et qui serve de base aux jugements, à l’exclusion des espèces réelles dont la valeur n’est pas déterminée par la loi » (Les Prolégomènes, traduction de W. Mac Guckin de Slane, 1863, deuxième partie ; texte arabe déjà dans la Chrestomathie arabe de S. de Sacy, 1826, tome II, p. 107-117). Autrement dit, la valeur relative du dinar et du dirham peut varier dans le temps et selon le lieu chez les changeurs et banquiers en fonction de la rareté ou de l’abondance de l’une ou l’autre monnaie. Il peut aussi y avoir une dépréciation selon l’année de frappe, qui indique une probabilité de degré d’usure.

1.5.1.3. L’existence de faux anciens

Contrairement à ce qu’écrit Balog 1971-1973, p. 194-195, l’existence de faux an- ciens ne prouve pas que ces poids servaient de monnaies. Elle indique seule- ment que leur prix d’acquisition par les particuliers était plus élevé que le prix de fabrication car il incluait le bénéfice de l’État et celui des intermédiaires.

Dans le document POIDS ET MESURES DE L’ÉGYPTE MUSULMANE (Page 33-35)