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Au vu du paragraphe précédent, il semble que pour chaque système [produit + bassin + pratiques agricoles], il faille, si l'on désire simuler des chroniques de concentrations (ou des flux) de produit dans le réseau hydrographique du bassin considéré, construire un nouveau modèle, suivant les processus qui y dominent.

Pourtant, quelques uns des points abordés ne semblent pas dépendre du système considéré, notamment la nécessité de modéliser correctement les différentes composantes de l'écoulement, et l'implication des écoulements rapides dans les concentrations maximales observées peu de temps après l'application de produits. De façon générale, la prise en compte de l'organisation spatiale du bassin versant, qu'il s'agisse de l'occupation des sols, ou des structures susceptibles de rediriger les écoulements (fossés, routes, talus, drainage agricole) semble également primordiale.

⇒ Face au constat de l'échec des modèles actuels à modéliser des concentrations en produits phytosanitaires à l'échelle du bassin versant, nous abandonnons ainsi momentanément l'objectif de la modélisation des concentrations de produits phytosanitaires dans les eaux de surface que nous avions envisagée au début de travail, et qui nous apparaît peu réaliste dans l'état actuel des connaissances.

⇒ Il nous semble par contre qu'un modèle qui modéliserait de façon pertinente les composantes rapides de l'écoulement constituerait un précieux outil de diagnostic, et nous tenterons, dans la suite de ce travail, de développer un modèle représentant de façon satisfaisante les composantes de l'écoulement, notamment ses composantes rapides.

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En effet, il existe actuellement des modèles capables de représenter plus ou moins correctement les concentrations de produits susceptibles de quitter une parcelle, ou tout du moins capables d'identifier les parcelles à risque en termes de départ de produits phytosanitaires.

Or tout incline à penser (C. Guyot, communication personnelle) que les produits retrouvés dans les eaux de surface, qui représentent une part minime des quantités épandues, proviennent d'une faible partie de la surface d'un bassin versant, préférentiellement reliée au réseau hydrographique par des voies d'écoulements rapides : ruissellement, écoulement dans le réseau de drainage agricole, dans un réseau de fossés de surface, dans les macropores....

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⇒ La connaissance conjuguée des parcelles "à risque" du point de vue de la production de produit phytosanitaire et des voies préférentielles d'écoulement donnerait un premier aperçu de la situation du bassin versant étudié vis-à-vis du risque de contamination des eaux de surface par les produits phytosanitaires. Le seul critère d'éloignement au réseau hydrographique nous apparaît un peu frustre pour juger si une parcelle représente un risque de contamination ou pas. Ce n'est en effet pas tant la distance spatiale qui importe en ce domaine que la distance temporelle.

Un outil de diagnostic permettant d'identifier ces parties du bassin qui alimentent par "transfert direct" est dans cette optique préférable à un modèle qui fournirait le champ des vitesses d'écoulement partout sur le bassin3. La prise en compte de l'aménagement du paysage, et de la disposition des parcelles sur le bassin est dans cette optique primordiale.

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Un autre argument pour avancer dans la compréhension des écoulements sur un bassin réside dans la nécessité de comprendre la mobilisation d'un produit dans le "ruissellement" : quand le sol est humide, une partie du produit est sous forme de soluté (c'est d’ailleurs ce qui contribue à son efficacité). Quand il pleut, il est mobilisé en ruissellement strict, plus ou moins concentré, et en écoulement hypodermique. Or on ne sait actuellement pas ce qui se passe dans cette partie du sol, qu'il s'agisse de la profondeur de sol concernée, ou de la vitesse des écoulements. On ignore également quelle part de ce qui est habituellement identifié comme du ruissellement du point de vue de l'analyse hydrologique correspond en fait à un écoulement hypodermique. Ceci importe entre autres pour comprendre et optimiser l'efficacité des dispositifs enherbés, souvent présentés comme une solution satisfaisante pour piéger les produits phytosanitaires entre leur lieu d'émission et le réseau hydrographique (Patty et al., 1996), mais dont on ne connaît pas encore le mode de fonctionnement.

I. Structure du modèle

Le modèle développé devra donc représenter les composantes rapides de l'écoulement sur le bassin d'application. On se restreint dans un premier temps a priori à des bassins de quelques km², afin de limiter la quantité de données à acquérir.

L'approche d'un modèle conceptuel distribué est intéressante :

• Le caractère distribué permet de prendre en compte la variabilité spatiale et l'intégration des phénomènes le long des versants4. De plus, compte tenu de l'importance de l'agencement relatif des parcelles et du réseau anthropique, un modèle distribué paraît incontournable.

• La complexité et le nombre des processus interdisent une approche purement mécaniste, et nécessitent une démarche plus conceptuelle, permettant une simplification de la représentation des processus. Toutefois, cette simplification doit être menée à bon escient : la représentation des processus doit rester assez proche de la réalité pour qu'il soit possible à terme d'y coupler, même de façon fruste, la représentation d'un transfert des produits. Par exemple, les modèles hydrologiques ne représentent souvent l'eau qu'en termes de flux, sans prendre en compte l'aspect de stock, qui importe pourtant du point de vue de la qualité de l'eau. L'eau immobile tamponne la réponse chimique du bassin, d'autant que le séjour d'un produit en son sein accroît la probabilité qu'il soit dégradé.

On tâchera de surcroît d'adopter une structure la plus modulaire possible pour le modèle. Celle-ci présente en effet des avantages significatifs :

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Ceci vaut au moins pour des produits à durée de vie relativement courte : pour des produits plus persistants, le mouvement général de l'eau importe également.

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On peut considérer en première approche qu'un bassin versant est constitué de la somme de versants, le versant "de tête" ayant toutefois un comportement un peu particulier par rapport aux versants alimentant le réseau hydrographique de façon latérale, en ce qu'il subit un contrôle aval par le niveau d'eau dans le ruisseau moins important.

• elle permet de scinder le système en entités n'interagissant que par un nombre de relations restreint, et diminue le degré de complexité global de l'outil recherché.

• elle permet de tester les hypothèses faites sur le fonctionnement de chaque entité ou sur les relations entre deux entités, grâce aux découplages qu'elle permet, à condition toutefois de disposer des données intermédiaires nécessaires à leur vérification. On ne jugera du degré de complexité à adopter pour chaque processus (qui peut d'ailleurs varier avec les cas considérés et l'échelle d'étude) qu'après avoir utilisé ce type de modèle modulaire, testé la sensibilité de ses différents modules aux simplifications envisageables ...

• une telle architecture permet de plus d'intégrer les nouvelles connaissances, évitant d'avoir à restructurer le modèle, ou à le dévoyer en changeant la représentation d'un phénomène. Il nous semble que ce caractère modulaire sera d'autant plus facile à développer que les entités et les processus à représenter seront définis de façon précise du point de vue de leurs propriétés et des relations qui les concernent, avant la conception du modèle. Par exemple, la définition comme entités propres des parcelles d'une part, et des éléments du réseau anthropique, ou du réseau hydrographique d'autre part, nous semble permettre une formulation du problème plus claire et plus conceptuelle que de décrire l'ensemble de façon homogène, ce qui obligerait à une représentation exhaustive des processus en jeu. Il s'agit donc de tendre à une modélisation orientée objet.

II. Validation

La cohérence de la partie hydrologique du modèle et son adéquation à la réalité du bassin étudié pourraient être améliorées en le calibrant, non seulement sur le débit à l'exutoire, mais sur des variables intermédiaires (humidité du sol, proportions des différentes composantes à l'écoulement données par des traçages chimiques ou isotopiques, débit d'affluents ...). Juger de l'adéquation d'un modèle hydrologique à la réalité qu'il est censé représenter par la seule correspondance des débits simulés et observés est en effet insuffisant : plusieurs combinaisons de processus peuvent aboutir aux mêmes débits (Grayson et Al., 1993, Gineste, 1998). Comme on l'a exposé en justifiant l'objectif assigné au modèle développé, il ne s'agit pas tant de donner des proportions précises que de représenter de façon réaliste et pertinente pour la modélisation à suivre le comportement du bassin suivi. A cet effet, l'intégration de nouveaux outils et résultats (télédétection, traçages isotopiques ou chimiques, géochimie...) peut donner de précieuses indications, même si elles sont plus qualitatives que quantitatives.

Conclusion

Les aspects propres aux produits phytosanitaires suggèrent quelques contraintes pour une démarche de modélisation à l'échelle du versant ou du bassin versant :

• il semble essentiel de décrire les différentes composantes de l'écoulement, les trajets potentiellement suivis par l'eau et les produits qu'elle véhicule n'étant pas équivalents du point du vue du devenir de ces substances,

• les produits phytosanitaires sont soumis à des processus se manifestant à deux échelles de temps contrastées (quelques jours ou quelques semaines contre quelques mois ou quelques années) : il convient d'en rendre compte dans un modèle. Un pas de temps unique, nécessairement fin pour pouvoir représenter les processus se manifestant à un pas de temps court, conduirait à un modèle très lourd en temps de calcul,

• de même, au vu du système étudié, on peut parfois distinguer les zones de production et de transformation du produit des zones de transfert.

⇒ Ces considérations, conjuguées à l'incapacité où l'on est actuellement de simuler facilement (c’est à dire sans passer par l'acquisition de nombreuses données et la mise en

oeuvre d'un modèle complexe) des concentrations de produit au départ d'une parcelle, ont motivé le développement d'un modèle hydrologique, représentant les composantes de l'écoulement, notamment ses composantes rapides.

Le modèle sera conceptuel distribué, de structure aussi modulaire que possible. Malgré son caractère conceptuel, les écoulements seront toutefois représentés de façon assez "réaliste" pour qu'il soit possible d'identifier les zones contribuant à l'écoulement, tant au niveau de leur position sur le bassin que de la couche de sol concernée : conjugué à la connaissance de la localisation des stocks des produits mobilisables par l’écoulement, cet outil permettra d'identifier les zones à risque du point de vue de la contamination des eaux de surface par les produits phytosanitaires.

⇒ Un tel modèle permettra de comparer l'impact environnemental de différentes configurations d'utilisation des terres agricoles et de contribuer à réduire les potentialités de transfert liées à l'utilisation des produits phytosanitaires.

Ce travail repose sur l'hypothèse majeure que la connaissance des voies d'écoulement rapides sur un bassin permet une approximation pertinente des situations à risque sur bassin, sans qu'il soit nécessaire de passer par la modélisation de concentrations de produits, qui paraît pour l'instant inaccessible à l'échelle du bassin versant, du moins de façon opérationnelle.

Dans cette perspective, le chapitre suivant présente les processus usuellement évoqués dans la formation des composantes rapides de l'écoulement, en insistant sur les spécificités des bassins ruraux, souvent occultées dans les modèles hydrologiques, notamment le rôle du réseau anthropique de fossés, talus et routes.

Chapitre 3 : COMPOSANTES RAPIDES DE

L’ÉCOULEMENT. SPÉCIFICITÉS DES BASSINS