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Les connaissances qualitatives des phénomènes régissant le devenir des produits phytosanitaires sont significatives, même si des lacunes demeurent : on ne comprend pas encore, par exemple, ce qui déclenche les relargages, entraînant parfois de brusques "bouffées" de produits phytosanitaires. Par contre, on ne sait pas les représenter de manière satisfaisante d'un point de vue quantitatif, quelle que soit l'échelle considérée.

La littérature donne principalement des résultats à deux échelles très différentes : d'une part la case lysimétrique*, ou la micro-parcelle, du mètre carré à quelques hectares, et d'autre part le bassin versant, de taille déjà importante (plus de 100 km² en général, exception faite de quelques rares petits bassins expérimentaux de recherche).

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Dans le premier cas, il s'agit d'études pointues, visant à étudier par exemple l'influence d'un paramètre unique, les autres conditions étant fixées, ou se concentrant sur un phénomène particulier. Il faut noter que des processus ayant une grande importance quantitative sont relativement peu étudiés, à cause de la difficulté d'accéder aux conditions aux limites les gouvernant. Il est frappant notamment de constater que les phénomènes précédant l'entrée dans le sol, qui peuvent conduire à la dégradation ou à

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l'exportation de la plus grande partie du produit, sont très peu quantifiés, parce que leur étude est ingrate.

Notons au sujet de ces études pointues que l'étude au laboratoire du comportement à moyen et long terme des produits dans les sols est sujette à caution au delà de quelques mois : un sol n'a pas au laboratoire un fonctionnement normal au delà d’une certaine durée, la micro flore et la micro faune notamment ne s'y développant pas de façon habituelle. On aboutit ainsi notamment à des temps de demi-vie très différents de ceux obtenus par des études équivalentes au champ (C. Guyot, communication personnelle).

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Dans le deuxième cas, il s'agit de suivis plus ou moins réguliers des concentrations à l'exutoire de petits versants expérimentaux (Bourgoin et Safont, 1993, Safont, 1992, Cemagref Rennes, 1993, Munoz, 1992), de plus grands bassins (Bourgoin et al., 1992, SRPV de Rennes, 1993), ou dans des nappes souterraines (Agence de l'eau Rhin-Meuse, 1992, Schiavon et Thevenot, 1990, Escutia Acedo et Rivoire, 1993). Ces suivis ont permis de scinder les produits phytosanitaires en deux classes : ceux que l'on retrouve tout au long de l'année, voire plusieurs années après leur application, et ceux que l'on ne détecte que lors de quelques épisodes pluvieux après leur application, à des concentrations d'autant plus fortes que le délai application-pluie a été court.

Malheureusement, les résultats de ces deux types d'études ne paraissent pas transposables à d'autres systèmes ou extrapolables à d'autres conditions. En effet, la complexité des processus intervenant, leurs interactions, la variabilité des paramètres, sont telles que l'on ne peut guère avancer de prédictions quantitatives. On peut au mieux, quand les conditions sont similaires, espérer observer le même type de comportement.

I. Changement d'échelle, nécessité d'une approche de

modélisation.

On pourrait penser que la complexité observée à l'échelle de la case lysimétrique s'estompe quand on passe à des surfaces supérieures, certains processus dominant les autres, et la variabilité "s'intégrant" sur une grande surface, conduisant à un comportement plus linéaire et plus facilement prévisible. Toutefois, nos connaissances ne sont pas encore suffisantes pour savoir identifier les processus dominants qui contrôlent cette linéarisation, et on ne peut affirmer a priori que deux bassins sont semblables du point de vue de leur comportement vis à vis des produits phytosanitaires. Les processus dominants doivent d'ailleurs varier d'un bassin à l'autre et d'un produit à l'autre, tout comme varient les processus dominant les écoulements d'eau en fonction des caractéristiques climatiques et hydrogéologiques des bassins.

Il faut être conscient que la quantité de produit phytosanitaire que l'on peut retrouver dans les eaux de surface ne représente au plus que quelques pour-cents des quantités appliquées, et que l'on ne peut en aucune façon appliquer une relation de proportionnalité entre les quantités épandues et les quantités parvenant au milieu aquatique. La difficulté des outils d'évaluation du risque réside en partie dans le fait que l'on ne se préoccupe que de cette part infime de produit qui peut poser problème en atteignant le réseau hydrographique.

La démarche "naturelle" pour quantifier les risques sur grandes surfaces paraît être celle de la régression multiple4, vue la difficulté d'une approche passant par la description de chaque processus. La présentation des processus faite plus haut, la multitude de paramètres intervenant laissent toutefois imaginer la quantité de données qui serait nécessaire pour mener à bien une telle tâche. Une démarche statistique s'avère donc pour l'instant irréaliste.

Il semble que l'on ne puisse pas s'affranchir d'une certaine représentation des phénomènes, plus ou moins détaillée, prenant en compte leurs causalités, pour aboutir à une quantification du risque

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Corrélation polynomiale entre plusieurs facteurs (par opposition à une régression simple, où on n’utilise qu’un facteur explicatif).

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encouru. Les modèles semblent le seul moyen rationnel de représenter la distribution spatiale et temporelle d'un produit dans l'environnement (Enfield et Yates, 1990).

II. Modèles existants

Pour modéliser le transfert des phytosanitaires, deux grandes classes de travaux ont été développées :

• d'une part la modélisation de processus isolés,

• d'autre part des modèles "complets", au sens où ils prétendent représenter l'ensemble des phénomènes intervenant dans le devenir des produits phytosanitaires.

Tous demandent un calage lourd. Les paramètres doivent en effet intégrer les défauts de structure du modèle, qui utilise des représentations simplistes des phénomènes. La variabilité des coefficients caractérisant les produits phytosanitaires, comme les coefficients d'adsorption, ou la demi-vie (valeur difficile à interpréter car il intègre éventuellement la volatilisation, la photolyse, le prélèvement par les plantes) au fil des articles est une bonne démonstration de la difficulté d’alimenter ces modèles. Ces coefficients varient en effet avec les conditions utilisées au laboratoire ou le terrain sur lequel ils ont été déterminés.

II.1 Modèles "mono processus"

Les approches choisies sont le plus souvent très simplifiées au regard de la complexité des processus à représenter.

Par exemple, le nombre des facteurs intervenant et la difficulté de quantifier leur influence conduisent à adopter une simple cinétique du premier ordre pour représenter des processus aussi divers que la photolyse, la dégradation chimique, ou la dégradation biologique. Pour cette dernière, certains modèles prennent en compte l'effet de la température et de l'humidité du sol et peuvent décrire des cinétiques de dégradation au champ. Les paramètres ont souvent peu de fondement biologique (Houot, 1992). D'autres modèles au contraire prennent en compte la croissance microbienne. Il faut alors différentier suivant que la dégradation se fait par métabolisme ou co-métabolisme. On peut aussi choisir de représenter les pertes dans le sol (biologiques et non biologiques) par un modèle cinétique unique, prenant en compte l'influence de la température (Shui-Ming et al., 1993).

Peu de modèles prennent en compte le prélèvement par les plantes, en l'absence de connaissances suffisantes. On peut citer Behrendt et al. (1993) qui utilisent un modèle de plante à compartiments, couplé à un modèle de transport hydrodynamique dans le sol pour étudier le devenir du composé dans le système eau-sol-plante. Cette approche permet d'expliquer les concentrations dans les feuilles et fruits au divers stades de végétation, mais reste très expérimentale. Les équations utilisées (Himel et al., 1990) pour le lavage foliaire comportent également un grand degré d'empirisme. Le calage reste en effet très approximatif dans la mesure où les données intermédiaires relatives aux quantités détruites, lavées ou restant sur la canopée font défaut.

L'échelle considérée a une importance cruciale pour le ruissellement, et le changement d'échelle présente quelques difficultés particulières. Sur une très petite surface, il n'est pas nécessaire de prendre en compte le dépôt des sédiments, la réinfiltration ..., et on peut considérer le ruissellement comme homogène du point de vue des concentrations en produit et en matières en suspension. Pour des surfaces plus importantes par contre, on ne peut pas considérer qu'il y a intégration des processus et linéarisation, et il est nécessaire de prendre en compte l'hétérogénéité du terrain.

Les modélisations du ruissellement sont plus ou moins complexes, utilisant une équation globale du type de l'USLE5 pour l'érosion (Foster et al., 1977), ou une représentation plus fine qui différentie les classes granulométriques, les produits phytosanitaires s'adsorbant plus aisément sur les fractions fines.

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USLE : alias Universal Soil Loss Equation, ou équation universelle de perte de sol. Il s’agit d’une équation de régression, obtenue après de très nombreux essais sur les sols américains, et qui permet de relier la perte annuelle en sol et les caractéristiques du terrain (type de sol , pente, longueur du versant....). Cette équation a très souvent été utilisée hors du

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Pour ce qui est de l'extraction dans le ruissellement, la plupart des modèles considèrent qu'elle passe par un mélange parfait entre l'eau du ruissellement et l'eau contenue dans une profondeur donnée de sol (ou que l'efficacité du mélange suit une loi décroissant exponentiellement avec la profondeur). Ces approches échouent à rendre compte de l'évolution temporelle des concentrations dans l'eau recueillie et à la surface du sol entre les périodes où il y a ruissellement (Wallach et Van Genuchten, 1990). Ces auteurs proposent de considérer que le transfert dans le sol est régi par la convection-dispersion et que l'extraction dans le ruissellement passe par une convection à travers une couche laminaire limite à l'interface sol-ruissellement. Cette approche diffère de celle classiquement utilisée en ce qu'elle ne suppose pas un équilibre instantané entre l'eau du sol et l'eau du ruissellement.

La plupart des modèles décrivant le transport hydrodynamique des produits phytosanitaires dans la zone non saturée ont été développés à partir de la théorie des processus physiques et chimiques affectant le transport de solutés dans le sol. De telles approches déterministes sont nombreuses (Cameron et Klute, 1977, Bajracharya et Barry, 1992). Il existe toutefois des approches stochastiques (Destouni, 1993, Kabala et Sposito, 1994, Russo, 1993) donnant des résultats intéressants. En général, le milieu est supposé homogène, et la validation est rendue difficile par l'existence de chemins d'écoulement préférentiels.

Pour les phénomènes d'adsorption, l'approche habituelle des isothermes d'équilibre ne peut rendre compte des partitions soluble/adsorbé observées, et il faut envisager d'autres types de représentation. L'approche la plus satisfaisante (Liwang Ma et Selim, 1994) semble être d'utiliser un modèle à deux ou trois types de sites, caractérisés par des énergies de liaison plus ou moins élevées, la liaison la plus forte correspondant aux résidus liés. Cette approche permet de rendre compte des vitesses de réaction observées (en prenant un taux de réaction dépendant du nombre de sites libres dans chaque type) et de l'hystérésis, alors que les approches habituelles demandent de dissocier adsorption et désorption.

II.2 Modèles "complets"

On distingue trois types de modèles : les modèles de recherche, de gestion, et de screening*6. L’appartenance d'un modèle a une classe plutôt qu'une autre est assez subjective et dépend en fait de l'utilisation que l'on en fait.

Les modèles de recherche (par exemple, le LEACHM de Wagenet et al., 1989) sont utiles pour la compréhension des processus et de leurs interactions. Ce sont pour l'instant les seuls outils qui permettent de tester des hypothèses sur le comportement du système et d'identifier les processus dominants. Ils sont toutefois lourds à mettre en oeuvre, et demandent des informations dont il est contexte dans lequel elle a été développée, de surcroît pour des modèles utilisant un pas de temps très inférieur à l’année, ce qui compromet quelque peu sa validité.

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En parallèle à cette classification « fonctionnelle », on peut ajouter des distinctions « structurelles » :

• un modèle est dit global s’il représente l’objet à modéliser comme un tout homogène du point de vue spatial, alors qu’il est distribué s’il le discrétise en unités homogènes, éventuellement reliées entre elles par des lois de comportement.

• un modèle mécaniste utilise pour décrire les phénomènes en jeu les équations complètes qui les régissent, alors qu’un modèle empirique utilise une fonction de transfert reliant entrée et sortie, sans prétendre expliquer les phénomènes. Les modèles conceptuels représentent une classe intermédiaire, en s’appuyant sur des équation simplifiées pour rendre compte de la perception que l’on a des processus dominants.

• enfin, on peut distinguer les modèles déterministes et stochastiques, suivant les hypothèses qu’ils font sur la nature des processus et des variables qui les gouvernent.

Là encore, ces définitions nettes sont un peu illusoires : un modèle distribué est global à l’échelle de la maille de discrétisation ; on ne peut, en pratique, revenir aux lois de base de la physique pour décrire les processus et chaque modèle est en fait conceptuel, à des degrés divers ; la variabilité spatio-temporelle des paramètres intervenant nécessite une prise en compte implicite (moyenne) ou explicite (approche géostatistique, par exemple) de leur caractère, stochastique à l’échelle où nous les observons.

La structure d’un modèle n’est pas entièrement déterminée par l’utilisation que l’on veut en faire, même si les modèles de recherche sont plus souvent mécanistes et distribués que les modèles de screening.

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difficile de disposer "en routine". De plus, ils se limitent à des cases lysimétriques ou à la parcelle, et leur transposition à l'ensemble d'un bassin versant n'est pas licite.

Les modèles de screening ont pour but de comparer des situations ou des produits. Ce sont de précieux outils, mais ils ne peuvent donner que des grandeurs relatives.

Les modèles de gestion veulent décrire le bassin versant (AGNPS de Young et al., 1987 ou ANSWERS de Beasley, 1982 ou encore SWAT de Arnold, 1993) ou la colonne de sol (PRZM de Carsel et al., 1984 ou Pestfade de Clemente et al., 1993) en ne représentant que les processus dominants, de façon simplifiée. Cette démarche paraît sage, au vu de la complexité des phénomènes. Cependant, ces modèles disposent d'un nombre de paramètres élevé et leur validation, en dehors des jeux de données autour desquels ils ont été construits, est problématique et limite leur utilisation "en routine". Pour l'instant, on ne peut pas vraiment leur accorder une valeur prédictive, mais plutôt les utiliser comme modèles de screening.

Pour les modèles de recherche également, le calage est nécessaire et reste délicat. En effet, outre les erreurs de structure du modèle et les erreurs de mesure, les paramètres doivent intégrer la variabilité spatiale des caractéristiques du milieu, et l'on ne sait pas toujours calculer les paramètres effectifs adaptés à une discrétisation spatiale, à supposer qu'ils existent, ce qui n'est pas toujours le cas (Binley et al., 1989).

III. Conclusion

Si les études quantitatives sur le devenir des produits phytosanitaires existent, elles ne sont donc pas actuellement suffisantes pour nous permettre de prévoir avec un degré de certitude suffisant les concentrations d'un produit dans les eaux de surface : la diversité des situations, la non linéarité des processus en jeu, et la grande variabilité spatio-temporelle des grandeurs intervenant, ne permettent pas pour l'instant une démarche purement statistique et rendent nécessaire le passage par une modélisation plus descriptive. Or les modèles actuels, bien qu'ils permettent de classer des situations, ou de simuler finement le comportement d'un produit sur une surface restreinte et dans des conditions bien contrôlées, échouent pour l'instant à simuler des chroniques de concentrations.

Pourtant, le constat trop fréquent de concentrations de produits phytosanitaires dépassant les normes en vigueur dans les eaux de surface incite à fournir aux gestionnaires de bassins versants des outils leur permettant d'améliorer cette situation. Le chapitre suivant expose quelques considérations sur les pistes qu'il nous semble utiles de suivre pour atteindre cet objectif, et conclut sur les hypothèses et choix faits au sein du travail que nous exposons ici.

Chapitre 2 : RÉFLEXIONS SUR LA DÉMARCHE DE

MODÉLISATION À ADOPTER

Introduction

Devant la connaissance très imparfaite de beaucoup des phénomènes intervenant dans le transfert des produits phytosanitaires, la tendance naturelle est la complexification des modèles de gestion actuels, en rajoutant des paramètres nouveaux ou des fonctions plus compliquées. Cette tendance, un peu vaine si elle n'est pas bien maîtrisée, doit s'accompagner d'une réflexion sur la structure même des modèles et les représentations à adopter pour les phénomènes en jeu. Nous proposons quelques réflexions dans cette optique, avant d'exposer les choix et hypothèses effectués pour notre travail de modélisation, dans le but de fournir un outil de diagnostic utile à l’aménagement des petits bassins versants agricoles.