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2. L ES INTERACTIONS NEURONES ASTROCYTES

2.1. I NTERACTIONS PHYSIQUES : NEURONES ET ASTROCYTES FORMENT DES SYNAPSES TRIPARTITES

2.1.3. L’ HOMEOSTASIE POTASSIQUE

Les astrocytes possèdent un potentiel de repos relativement bas (pouvant descendre jusqu’à -85 mV) [70]. Cela est vraisemblablement dû au gradient de potassium ; en effet, une des premières fonctions des astrocytes décrites a été leur participation à l’homéostasie potassique. Lors de la transmission synaptique, la concentration en ions K+ augmente largement aux abords de la synapse16. Les astrocytes possèdent à leur surface un nombre important de canaux potassiques spécialisés : Kir4.1 et la pompe Na+/K+- ATPase notamment (Figure I.8-1). Il a été décrit in vitro, qu’une élévation de la concentration en potassium dans le milieu de culture entraîne la recapture de ce potassium par les astrocytes et non les neurones [71]. L’inhibition des différents canaux a montré que Kir4.1 semble être spécialisé dans l’absorption du K+ au moment de la transmission synaptique (pour compenser l’efflux dû aux PA), alors que la pompe Na+/K+-ATPase interviendrait dans la phase post-stimulus (pour compenser l’efflux de K+ et l’influx de Na+ dus aux transporteurs du glutamate) [72].

Les astrocytes sont donc centraux dans l’homéostasie cérébrale lors de la transmission synaptique, en contrôlant les niveaux extracellulaires de glutamate et de potassium. En recyclant le glutamate, les astrocytes régulent également le timing de l’activité synaptique ainsi que son étendue spatiale, en formant une barrière physique contre les débordements. Enfin, ils modulent l’information transmise en libérant des gliotransmetteurs lorsque des neurotransmetteurs se fixent à leurs récepteurs.

2.2.

I

NTERACTIONS

&

SIGNALISATIONS METABOLIQUES

:

L

ECHANGE DE METABOLITES ISSUS DU GLUCOSE

En 1977, Sokoloff et al. ont développé la technique utilisant le [14C]-2-désoxy- glucose (2-DG)17 associé à l’autoradiographie pour mesurer de façon quantitative la consommation locale de glucose dans le cerveau [73]. Les années suivantes, de nombreux travaux ont montré grâce à cette technique que l’accumulation de 2-DG était étroitement corrélée de façon spatiale et temporelle à l’activité synaptique [74]. Dès lors, les équipes de recherche ont cherché à identifier les mécanismes responsables de ce couplage fonctionnel, appelé couplage neuro-métabolique. Il est maintenant admis que ce couplage repose sur des interactions étroites entre neurones, cellules gliales et cellules vasculaires. Rouach et al. ont montré en 2008 que ce couplage (1) repose sur l’activité des astrocytes organisés en réseaux grâce aux connexines et (2) implique les transporteurs au lactate (MCT, mono-carboxylate transporters, 1 et 4 pour les astrocytes, 2 pour les neurones), suggérant que la transformation de glucose en lactate est critique pour l’activité synaptique [75].

16 Cette augmentation est principalement due à la génération des PA, mais également aux

transporteurs du glutamate qui sont couplés à un influx de Na+ et un efflux de K+.

17 Le 2-DG est un analogue du glucose. Il pénètre dans les cellules par les mêmes transporteurs que

le glucose et subit la première étape de la glycolyse. Il est cependant bloqué après celle-ci, ne pouvant pas être pris en charge par la phosphoglucoisomérase, deuxième enzyme de la voie.

Dès la découverte du lactate en 1780, cette molécule a été perçue comme toxique pour le corps. En effet, les études du métabolisme ont été majoritairement réalisées sur des muscles, où le lactate est responsable de l’acidose musculaire. Ce n’est qu’à partir des années 1980 que des études ont permis de changer ce concept et de conclure que le lactate pouvait être considéré comme une molécule énergétique importante [76]. Pellerin et Magistretti ont proposé en 1994 le modèle astrocyte-neuronal lactate shuttle (ANLS)

[77] pour répondre aux besoins énergétiques des neurones durant l’activité synaptique. Cette étude, réalisée avant l’obtention des données transcriptomiques ayant établi les profils métaboliques des neurones (voir section 1.3.1) et des astrocytes (voir section 1.3.2) a été l’objet d’une intense controverse [78]–[81]

Le développement des sondes FRET18 (Förster/fluorescense resonance energy

transfer) sensibles au lactate (laconic) a permis de mettre en évidence l’existence d’un gradient de lactate des astrocytes vers les neurones, en conditions physiologiques in vivo

[82].L’étude du métabolisme du lactate in vivo est néanmoins très compliquée, puisque les techniques actuelles ne permettent pas d’identifier l’origine cellulaire du lactate, faute de résolutions spatiale et temporelle suffisante, ni de le quantifier. L’équipe de Julien Valette au laboratoire tente de mettre au point l’imagerie non invasive du lactate par spectroscopie par résonance magnétique pondérée par diffusion (diffusion-weighted magnetic resonance spectroscopy) à l’échelle cellulaire. Leurs premiers résultats corroborent l’idée d’un gradient de lactate des astrocytes vers les neurones en conditions physiologiques, mais met également en avant un remodelage du métabolisme du lactate en conditions pathologiques19, où ce-dernier deviendrait principalement neuronal [83].

Ainsi, la production de lactate par les astrocytes et son échange avec les neurones en conditions physiologiques sont soutenus par de nombreuses évidences expérimentales même s’il n’a pas été encore possible de le suivre et de l’observer en temps réel [84].

Le lactate agit sur une myriade de fonctions cérébrales (Figure I.9) succinctement détaillées ici et dont la mécanistique est encore peu connue. Les revues de Barros [85] et Magistretti & Allaman [86] en présentent une liste complète.

18Voir Chapitre V annexe 1 pour une description du fonctionnement des sondes FRET. 19 Sous-entendu, lorsque les astrocytes sont réactifs.

Figure I.9 – Modulation des fonctions cérébrales par le lactate, adaptée de [85]. Les concentrations extracellulaires de lactate dépendent à la fois de la production glycolytique astrocytaire et de la consommation mitochondriale des neurones, toutes deux sous contrôle de l’activité synaptique. Le lactate est utilisé comme support énergétique mais module également l’activité d’une myriade de cibles moléculaires. Le lien mécanistique entre les cibles moléculaires du lactate et les fonctions cérébrales impactées sont un pan important de la recherche actuelle.

Il n’est plus à prouver que l’activité physique joue un rôle sur la cognition et la mémoire en repoussant le vieillissement du cerveau [87], la neuro-dégénération [88] et en stimulant la neurogenèse [89], [90]. Mais l’activité physique engendre également une élévation du taux de lactate sanguin qui peut très certainement prendre part à ces mécanismes [91]. En effet, Suzuki et al. [92] ainsi que Newman et al.[93] ont montré en 2011, que l’inhibition pharmacologique de la production ou des transporteurs astrocytaires du lactate résulte en une altération de la mémoire et de la LTP (potentialisation à long- terme) dans l’hippocampe. La supplémentation en lactate, mais pas en glucose, est capable de restaurer ces déficits, suggérant ainsi que la libération de lactate par les astrocytes serait indépendante de son rôle énergétique. Depuis 2011, plusieurs études se sont intéressées aux mécanismes sous-tendant le rôle du lactate dans les processus de mémorisation et de plasticité. Les récepteurs β2-adrénergiques, exprimés par les astrocytes de l’hippocampe, seraient nécessaires pour la libération de lactate [94], via un canal potassique à haute- capacité, permettant ainsi une signalisation localement spécifique [95]. Le lactate déclencherait dans les neurones des cascades de signalisation en activant les récepteurs neuronaux couplés aux protéines G, HCAR1 (hydrocarboxylic acid receptor 1) [96]. Finalement, le lactate stimulerait l’expression d’une vingtaine de gènes liés à la plasticité synaptique, à travers des mécanismes redox et la potentialisation des récepteurs NMDA

[97], [98].

L’étude des fonctions non métaboliques du lactate a également mis en avant son rôle dans les modifications épigénétiques. La lactylation des histones, sur les résidus lysine représente une marque activatrice de la transcription chromatinienne [99].

Enfin, le lactate serait neuro-protecteur dans le cadre des ischémies et des crises d’épilepsie, contextes dans lesquels les concentrations locales extracellulaires de lactate augmentent drastiquement [100]. Récemment, il a été montré que l’administration de

lactate dans un modèle d’ischémie hypoxique néonatale de rat restaure les capacités cognitives et diminue le volume des lésions cérébrales [101].

Des études supplémentaires sont nécessaires pour entièrement comprendre le rôle et les voies de signalisation via lesquelles le lactate participe à la plasticité synaptique, l’épigénétique et aux différentes pathologies du cerveau. Ces différentes découvertes ont néanmoins grandement élargi le spectre des rôles du lactate dans le cerveau, en dehors du métabolisme énergétique.

Le lactate est loin d’être la seule molécule de signalisation astrocytaire issue du glucose. La L-sérine joue également des rôles prépondérants au niveau de la neurotransmission et la mémoire, de l’homéostasie redox, de la morphologie cellulaire et de l’épigénétique. La section 4 de l’introduction lui sera entièrement dédiée.

En conclusion, les astrocytes participent activement à l’activité synaptique via la production de nombreuses molécules. Le fait que ces mécanismes consomment beaucoup d’énergie, couplé aux faibles réserves énergétiques du cerveau, suggèrent que des altérations du métabolisme puissent avoir des conséquences dramatiques sur la physiologie du cerveau. C’est pourquoi l’activité métabolique est étudiée dans de nombreuses pathologies du cerveau, et notamment la maladie d’Alzheimer, où un hypo- métabolisme du glucose pourrait être responsable de certains symptômes.