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Encadré 5. Historique de la gestion des déchets dans un ancien quartier périphérique et aujourd’hui intégré de la capitale éthiopienne
(Entretien avec Haylu, 38 ans, habitant du qäbälé de Aware)
Haylu est né à Addis Abäba, près de Aware. Il y a grandi et il y habite depuis 35 ans. Avant, il habitait chez sa mère et louait une dépendance dans une maison de type qäbälé traditionnel, pour 500 birrs par mois. Aujourd’hui, il loue une maison de qäbälé dans le même quartier mais pas dans le même compunds pour 1500 birrs par mois. L’entretien se transforme en récit historique de la gestion des déchets dans le qäbälé de Aware : « Avant, les habitants jetaient leurs
déchets dans les deux rivières qui longent le quartier d’Aware, la rivière Qäbäna et la rivière Genfélé. Les gens sortaient leurs poubelles le jour et progressivement la nuit »202.
L’autre solution qui s’est mise en place lorsque Haylu avait 15 ans environ, est un système d’enfouissement commun pour 20 à 30 familles. Les déchets de cuisine étaient largement majoritaires et constituaient la plus large partie des ordures. « Il fallait 2 à 3 ans pour remplir ces
fosses de 4 à 5 mètres de profondeur. Puis on recouvrait légèrement le trou et on changeait d’emplacement pour creuser une nouvelle fosse ».
Mais avec la progression du front d’urbanisation et la densification de l’habitat résultant d’une croissance urbaine importante il y a 20 ans, les maisons sont devenues de plus en plus nombreuses et les espaces entre les habitations se sont restreints.« Alors, seulement deux choix
s’offraient aux habitants : aller jusqu’à la rivière la nuit, ou les déposer le long des routes… »
À ce moment-là a débuté la période des conteneurs. « Les conteneurs sont installés par la
municipalité le long des routes principales. Le gouvernement fait des publicités à la radio (messages incitant à adopter un ‘ bon comportement ’) pour que les habitants viennent déposer les ordures dans les conteneurs prévus à cet effet. Alors les habitants des quartiers stockent chez eux les déchets puis les transportent à 10 min à pied de leur habitation. Mais avec l’augmentation de la production de déchets au sein des foyers, les conteneurs sont vite saturés et les stockages dans les maisons de courte durée. Alors les habitants vont jeter, la nuit, les déchets dans les rivières plus proches des maisons ».
- Et quand les bennes sont pleines ? « Il faut appeler l’agence chargée de nettoyer la ville, pour
qu’elle vienne vider les bennes. Le ramassage n’est donc pas systématique mais à la demande. Ce sont les Japonais qui ont acheté les premiers conteneurs et les premiers camions de ramassage.
Nettoyer la ville était une des motivations et un des enjeux des élections de 2005. « À cette
époque, si quelqu’un te voyait jeter les ordures en dehors des bennes, alors on devait payer une amende de 2 birrs ».
- Comment fonctionne le nouveau système ? « Il faut payer pour le ramassage des ordures.
Comme les habitants n’allaient pas systématiquement jusqu’aux conteneurs pour vider leurs poubelles, le gouvernement à instaurer une taxe pour le ramassage des ordures, associé à la facture d’eau. Il fallait payer 10 birrs/ mois et 2 birrs pour la main-d’œuvre, selon les habitations et les quantités de poubelles. Par exemple au Centre Français des Etudes Éthiopiennes, qui accueille jour et nuit plus d’une dizaine de personnes, la taxe sur les ordures ménagères était de 800 birrs par mois auxquels s’ajoutent 200 birrs pour payer le salaire de la main-d’œuvre. Ceux qui ramassent les ordures sont les collecteurs (munis de charriots et de grands sacs en toile). Il ne faut pas les confondre avec les sweeping women, qui sont uniquement chargées du balayage ».
D’après notre interlocuteur, ce qäbälé est représentatif des pratiques des Additiens dans toute la ville.
(Entretien, A.P., 2012)
202 Pour les encadrés relatant des entretiens, les propos des personnes interrogées sont indiqués en italique,
quelle que soit la langue de l’entretien. La plupart des entretiens n’ont pas été réalisés en français mais en anglais, en wolof ou en amharique. Pour faciliter la lecture, les propos sont déjà traduits, l’italique signale la langue étrangère. Pour les entretiens en français, seuls les guillemets marquent les propos de l’interlocuteur.
Cette première phase d’enquête a permis de soulever la question des rapports entre l’espace privé et l’espace public. L’espace privé serait l’espace du propre, l’espace public celui du sale. Si l’on peut toujours retenir le comportement individuel de certains habitants, l’espace public apparait avant tout pour le géographe comme l’espace approprié par les habitants en matière de gestion des ordures. Les dépôts sauvages illlustrent bien ce phénomène.
2.3.4. Des dépôts sauvages : fléaux ou gisements ?
Par « dépôt sauvage » on entend une zone d’accumulation non maitrisée d’ordures dans des espaces laissés libres ou dans des espaces interstitiels (Niayes, zones non bâties d’un quartier, rives de l’océan ou bords de rivières). Les dépôts sauvages sont d’abord considérés comme des fléaux bien que la relation de causalité entre présence de déchets solides et risques n’est pas toujours directe et reste à prouver dans un certain nombre de cas : les déchets solides « constituent un facteur de création de nids de production de vecteurs de menaces de la santé comme les moustiques, les mouches, les cafards, les souris » (Bakenga, 2012). Les déchets créent un contexte favorable à l’apparition de risques sanitaires et environnementaux. Indirectement, les dépôts sauvages comportent des risques pour la santé des populations, puisqu’ils sont des milieux propices au développement de pathologies comme le choléra et de nuisances pour l’environnement urbain mais le risque direct est sous-‐ jacent dans l’imaginaire collectif. D’autant que la corrélation est parfois bien établie. On peut citer l’exemple des déchets hospitaliers qui peuvent directement contaminer les personnes ayant des contacts à risques avec ces derniers. On peut évoquer encore le cas des animaux, vaches, moutons ou chèvres, qui meurent étouffés après avoir ingurgité une quantité trop importante de déchets plastiques (sacs volants, coincés dans les arbustes cactaceaés sur les plages ou dans les terrains vagues à Dakar).
L’étude de la répartition géographique des dépôts sauvages d’ordures apparaît comme le premier élément permettant de mesurer les conséquences des dysfonctionnements sur les habitants. Ensuite, la présence d’un dépôt sauvage proche des habitations conduit-‐elle les habitants à pratiquer eux-‐mêmes ce mode de traitement ?
Des dépôts sauvages plus nombreux dans les quartiers les moins bien desservis ou effet d’entraînement ?
Les dysfonctionnements d’un bout à l’autre de la filière conduisent à une augmentation des quantités de déchets encombrant l’espace urbain et à la formation de dépôts sauvages qui occupent une surface plus ou moins étendue. À Dakar, Amadou Diawara distingue les dépôts sauvages selon leur taille, le volume des déchets accumulés et la nature des déchets qui les composent (Diawara, 2009 : 136-‐137).