spécialisation dans la récupération et la valorisation des déchets
Encadré 6. Les associations du qäbälé de Qäbäna et le regroupement mensuel des ordures destinées à la valorisation
Nous nous entretenons avec Ato [monsieur] Admassou, superviseur de l’association de
« Qäbäna Shell ».
Vous êtes considéré comme un quralyo. Que signifie quralyo ?
« ‘Quralyo’, ça signifie « qui collecte partout ».
- Pouvez-vous nous expliquer le fonctionnement de ce système ?
« Je suis superviseur des récupérateurs dans le condominium. Cette association existe depuis six ans. Notre groupe est composé de cinq à six récupérateurs, collecteurs, trieurs et d’un superviseur. Les habitants déposent des plastiques (bouteilles et bassines cassées), du métal (korkoro), des vieilles chaussures. Nous collectons au sein du condominium mais aussi dans les ruelles des environs. Cette activité est légale, nous faisons partie d’une association. Nous faisons cela une fois par mois (le plus souvent en début de mois) et revendons les objets au Marché ».
- Avez-vous d’autres acheteurs ?
« Nous travaillons aussi avec une petite entreprise (pour la revente) ».
(Entretien A.P., 4 mars 2009)229
D’autres acteurs, dispersés et moins visibles
Autour de ces deux principaux types d’acteurs gravitent d’autres agents, plus dispersés et moins organisés, qui doivent être pris en compte : les gardiens de bennes à Addis Abäba, les enfants, ou encore les collecteurs individuels au porte à porte à Dakar. Il faut y ajouter les gardiens d’hôtels ayant accès aux plus riches poubelles de la ville et bien sûr les éboueurs qui participent aussi à la récupération. Cette pratique représente souvent un complément de revenu ou une alternative à la mendicité.
Pour les petits indépendants, fouiller les ordures correspond à une opportunité qui s’apparente à de la « filouterie » , c’est le cas des éboueurs qui pendant leur tournée récupèrent directement des objets ou des matériaux qu’ils vont revendre en cours de route, avant d’arriver à la décharge (Aprosen-‐Iagu, 2009 : 36). Pour les enfants, à l’instar des gardiens de benne, il s’agit rarement d’une aubaine, d’un filon repéré grâce au « bouche à oreille ». Fouiller est la dernière option qu’il reste pour ne « pas crever », raconte un très jeune sénégalais récemment sorti du daara [école coranique] : « je fouille et revends des bouts de
228Le chapitre 5 de la thèse détaille les différents acteurs impliqués dans ces activités. 229 En amharique.
métal, car comme je ne suis plus talibé [disciple], la mendicité ne marche pas car les gens donnent à tous les autres talibés » (Souleyman, 16 ans, dans le quartier de Fass).
Le « gardiennage informel » de bennes est un phénomène observé à Addis Abäba mais pas à Dakar. Un homme, une femme ou une famille garde la benne et est prioritaire sur les autres récupérateurs, concernant la fouille. Ce fonctionnement nous rappelle celui des 4’mis230 tananariviens. Dans la capitale malgache, les bennes à ordures municipales se
transmettent de génération en génération (Pierrat, 2006). À Addis Abäba, les gardiens viennent à la rencontre des habitants et interceptent les poubelles de ces derniers avant leur dépôt dans les bacs collectifs. Ils deviennent ainsi les premiers maillons de la chaîne de récupération. Pour de nombreux acteurs, la récupération est un moyen de survivre. L’irrégularité de ces pratiques, le manque d’organisation, le caractère ponctuel et aléatoire des moments consacrés à la fouille, en font des acteurs en marge des filières de récupération. Néanmoins, leur présence révèle le développement de l’opportunité que peut représenter ce secteur d’activité.
À partir des récupérateurs itinérants repérés sur le terrain il est possible d’appréhender les contours flous de l’ensemble des acteurs agissant en aval de la récupération. Les rares données disponibles, souvent approximatives, combinées à nos entretiens auprès des individus concernés par ces activités montrent une indéniable augmentation de leur nombre. « There is a greater emphasis on labor issues : in low-‐income countries working conditions and integration of waste pickers has gained in importance. » (UN Habitat, 2012 : 4 « What a waste »)
« Although most recycling is through the informal sector and waste picking, recycling rates tend to be high both for local markets and for international markets and imports of materials for recycling, including hazardous goods such as e-‐waste and ship-‐ breaking. Recycling markets are unregulated include a number of ‘middlemen’» (UN Habitat, 2012 : 5)231.
L’approche par les acteurs retenue ici permet une catégorisation selon la fonction remplie au sein de la valorisation et l’identification des différentes étapes de ce processus. Eveline Waas insiste, dès 1990232, sur la complexité du système d’acteurs : quatre types
identifiés par Waas sont toujours visibles dans le paysage dakarois. Nous retrouvons la plupart de ces acteurs à Addis Abäba et à Dakar.
230 Tsymissy signifie « rien » en malgache. « 4’mis » est un raccourci de quatre tsymissy, que l’on traduit par les « 4
riens » (pas de toit, pas de travail, pas de famille et pas de revenus). L’autre explication, est que ces personnes accumulent 4 vices commençant par le préfixe – mi – miloka [parier], mifoka [se droguer], misotro, [boire] et mijanga [se prostituer].
231 [Bien que la plupart du recyclage provient de la récupération opérée par le secteur informel, les tarifs des
produits recyclés ont tendance à être élevés, tant sur les marchés locaux que sur les marchés internationaux et pour les matériaux exportés en vue de leur recyclage, y compris les choses dangereuses tels que les E-‐déchets ou les carcasses de bateaux. Les marchés du recyclage ne pas réglementés et incluent un certain nombre d’intermédiaires] (traduction A.P., 2014).
232 Evelyne Waas et Ousseynou Diop ont mené dès les années 1990 une enquête sur les filières de récupération et
de valorisation des déchets à Dakar, regroupée sous le terme « d’économie populaire des déchets ». La comparaison dans le temps est intéressante car l’importance de chaque filière diffère dans le temps.
Des récupérateurs « fixes » sur les décharges
À ceux qui pratiquent la récupération itinérante, charretiers à Dakar, crieurs de rue à Addis Abäba, ménages, il faut ajouter ceux qui pratiquent la fouille fixe, sur des tas d’ordures déjà constitués. Ils correspondent aux « récupérateurs directs » qui, à partir des poubelles, des conteneurs publics, des postes de transfert, s’approvisionnent en objets de diverse nature potentiellement utiles. Il s’agit d’enfants que l’on aperçoit sur les terrains parsemés d’ordures ou sur les dépôts sauvages. Il s’agit également des récupérateurs présents sur les sites de décharge. Environ 350 individus exercent cette activité à Koshe Repi (Addis Abäba) et plus de 1500 sur celle de Mbeubeuss (Dakar) où ils sont appelés « boudjoumen » (voir 3.3.2.).
3.2.3. Pour ensuite les valoriser
Des semi-‐grossistes ou des intermédiaires
Ils jouent un rôle d’intermédiaire entre les grossistes et les détaillants. Ils achètent des objets ou des matériaux (métaux, plastiques) récupérés qu’ils trient pour les revendre sans les transformer. À Dakar, ils sont installés dans les lieux spécialement conçus pour cette activité de tri et de revente que l’on appelle pàkks. La définition d’un pàkk, proposée par Oumar Cissé, est inspirée de celle d’Aram Fall, Rosine Santos et Jean Léon Doneux (1990 : 166): pàkk désigne en wolof « un terrain à bâtir ». La terminologie renvoie directement au lieu et non à l’activité pratiquée. Néanmoins, lors de nos enquêtes, nous avons remarqué que le mot pàkk était assimilé aux travailleurs des déchets. Il désigne ainsi aujourd’hui « toute place où un ou plusieurs individus s’adonnent à une activité directement ou indirectement liée à la récupération » (Waas, 1990). Dans le cas de certaines matières, les semi grossistes s’apparentent à des transporteurs comme dans le cas de la filière « terreau ». À Addis Abäba, il s’agit souvent de personnes mobiles. Les intermédiaires font le lien entre les stocks des récupérateurs centralisés dans des marchés et plusieurs lieux de revente, tels que les marchés de quartiers et les marchés des villes secondaires. Leur point commun est la prise en charge des matières et objets issus de la récupération.
Des artisans récupérateurs
Ils produisent des objets du quotidien à partir de matériaux récupérés. Ces acteurs sont spécialisés dans la transformation des matières et objets. Dans la majorité des cas, il s’agit de créer de nouveaux objets par un jeu d’assemblage de pièces fabriquées à partir de déchets de toutes sortes.
Des revendeurs finaux
Enfin, les commerçants spécialisés qui revendent des produits finis ou des matériaux triés, sont les derniers maillons de ce processus de récupération-‐valorisation. Ils ne sont pas mobiles mais installés dans des endroits précis, boutiques ou emplacements dans des marchés.
Cette énumération reflète la diversité des acteurs qui interviennent dans le processus de valorisation des déchets. Celle-‐ci peut prendre différentes formes telles que le réemploi, la réutilisation ou la transformation, qui mobilisent des acteurs différents. La transformation par la création de nouveaux objets nécessite par exemple l’intervention d’artisans, ce qui n’est pas le cas du réemploi. Au sein de la précollecte et du ramassage, le secteur informel ne s’engouffre pas dans les défaillances du système formel mais se spécialise dans la récupération des déchets. Le secteur non institutionnel ne se déploie donc pas spécifiquement là où le service est défaillant mais les travailleurs et les ménages déploient leurs propres stratégies : ce sont bien les déchets considérés comme une ressource, qui sont à l’origine des activités de récupération et du développement des activités informelles et non l’opportunité qu’offrent les dysfonctionnements de la gestion formelle. Les ménages et ces acteurs informels entretiennent entre eux des liens forts qui expliquent notre choix de les associer sous le terme « acteurs non institutionnels » de la valorisation.
3.3.
DES
ACTEURS
NON
INSTITUTIONNELS
DE
LA
VALORISATION MAL CONSIDÉRÉS ET MARGINALISÉS
La valorisation apparaît avant tout comme une opportunité pour les ménages et les travailleurs informels d’exploiter un gisement important de déchets non traités, tout en permettant d’en réduire les effets néfastes. Pourtant, ces pratiques sont déconsidérées conduisant à une marginalisation de ces acteurs et de leurs interventions.
Chiffonniers de Paris du XIXème siècle, zabaleen du Caire au XXème, Biffins, boudjoumen, waste pickers, recycladores : dans les rues ou sur les décharges d’ordures, ils incarnent les figures de l’extrême misère, quel que soit le contexte, africain, indien, latino-‐américain ou européen. Manipuler les déchets, pour les jeter ou pour les récupérer, est déconsidéré dans les villes du Nord : éboueurs, métier de l’étranger, métier de l’illettré, au XXIème siècle est encore mal perçu comme l’expliquent les sociologues Delphine Corteel et Stephane Le Lay : « La jonction entre la matière (déchets) et le travailleur est au fondement de la dévalorisation sociale du métier. […]. Qui a jamais rêvé d’être éboueur ? Qui souhaite à ses enfants de le devenir ? Dans l’imaginaire collectif, le métier d’éboueur représente l’archétype du métier socialement disqualifié et disqualifiant » (Corteel & Le Lay, 2011 : 25), voire marginalisant si ce travail n’est pas institutionnalisé par un revenu fixe.