CONSÉQUENCES SUR LES SERVICES URBAINS
2.2.1. Des déficiences structurelles communes à Dakar et à Addis Abäba : manque de moyens et insuffisance technique
2.2. DIFFICULTÉS DE LA GESTION INSTITUTIONNELLE ET
CONSÉQUENCES SUR LES SERVICES URBAINS
Les rues jonchées d’ordures fraîches ou en décomposition témoignent des problèmes rencontrés par les acteurs institutionnels pour mettre en place un système efficace de gestion. Sur la question des réseaux d’approvisionnement des villes en eau, Sylvy Jaglin et Marie-‐Hélène Zérah ont analysé les limites du monopole public des services urbains, insistant sur les conséquences inégalitaires de ce fonctionnement en termes de desserte et de qualité du service :
« Le modèle idéel de services publics fondé sur l’expansion de services à tous par une administration de type wébérien, des mécanismes de péréquation territoriale et / ou sociale et un processus de planification technique de l’offre (en fonction de besoins normés et de l’expansion urbaine planifiée) a montré ses limites. Les inefficacités de la gestion publique (à la fois techniques, organisationnelles et financières), l’absence de desserte des quartiers pauvres due à des raisons objectives (rapidité du peuplement, illégalité foncière), mais aussi à un traitement discriminatoire de la part des bureaucraties post-‐coloniales, et l’inégalité socio-‐spatiale dans l’accès au service qui en résulte, ont conduit à une remise en cause de la légitimité des monopoles publics » (Jaglin & Zérah, 2010 : 8).
Nonobstant la mise en partage de ce service, le cas des déchets présente les mêmes limites qui ne tiennent pas seulement aux modalités de la gestion.
2.2.1. Des déficiences structurelles communes à Dakar et à Addis
Abäba : manque de moyens et insuffisance technique
Quelques photographies, prises au cours de nos enquêtes de terrain, suggèrent que les systèmes de collecte et de ramassage ne sont pas efficaces, voire qu’ils ne fonctionnent pas dans certains quartiers. Deux points retiennent notre attention150 ; d’une part le manque
de moyens ; d’autre part, les insuffisances techniques, à commencer par l’obsolescence du matériel.
150 Cet aspect a déjà été étudié par les nombreux auteurs, chercheurs ou institutionnels qui s’intéressent aux
problèmes de la filière déchets. On peut consulter notamment les travaux de Amadou Diawara, concernant Dakar et ceux de Yimenu Asserse Mekonnen concernant Addis Abäba. Mais aussi Ta Thu Thuy, sur les villes ouest africaines et Adepoju G. Onibokun pour une mise en perspective de quatre villes subsahariennes (Abidjan, Ibadan, Dar-‐es-‐Salaam et Johannesburg).
Photographies 10.a.b. Déchets non ramassés : témoins des dysfonctionnements
Les déchets jonchent les rues, tapissent les interstices de certains quartiers, c’est le cas des rivières à Addis Abäba (10.a) et des abords du marché aux poissons de Soumbédioun à Dakar (10.b).
Le matériel utilisé pour la précollecte et le ramassage est encore très insuffisant dans les deux villes. Pour nettoyer la capitale éthiopienne, d’importants moyens sont pourtant mobilisés. La main-‐d’œuvre est nombreuse et en augmentation151. Cependant, le nombre et la capacité des conteneurs restent insuffisants. En effet, le ratio moyen est un conteneur de 8 m3 pour 7316 personnes (Yimenu, 2008 : 61), sans compter les visiteurs, touristes et non-‐
résidents d’Addis Abäba. L’irrégularité du ramassage de ces bennes ouvertes et saturées attire les animaux et peut être à l’origine du développement de pathologies « non hygiénistes ». Ce système souffre d'un manque de moyens indéniable. Sur les 72 véhicules municipaux de ramassage des ordures, 39 seulement sont quotidiennement en fonction, soit la moitié de l’effectif. La plupart des véhicules en circulation est en activité depuis plus de 15 ans (Yimenu, 2008 : 73). Aujourd’hui les ressources financières font défaut alors que la restructuration du système est inévitable pour trois raisons : la nature des déchets évolue, la production augmente et l’étalement urbain progresse.
Une des conséquences immédiates de cette déficience est la multiplication des pratiques de dépôts sauvages (voir chapitre 3), dont la cause principale est l’allongement des distances à parcourir entre l’espace domestique et les conteneurs municipaux (en moyenne 1 km). Cependant, la municipalité encourage l’élargissement du nombre d’acteurs et convie à la contribution d’autres payeurs, sous l’appellation de « community participation » (AASBPDA, 2010) : « Sanitation activities compaign, supply of dust bins, willingness to pay, association Addis
151 Il existe plus de 600 micro-‐entreprises de balayage pour l’ensemble de l’agglomération. La AASBPDA comptent
plus de 2000 agents et plus de 5800 individus sont employés pour collecter les ordures.
© A . P ie rr at , 2 01 1-‐b © A . P ie rr at , 2 00 9-‐ a
Ababa Clean Initiativ »152. Les quelques entreprises privées fonctionnent elles aussi avec peu
de moyens, comme le note Yimenu Asserse :
« According to information from SBPDA, Micro and Small Enterprises mainly render waste collection services. They collect solid wastes from the source and dispose it to nearby communal containers. Few of them (Dynamic, SOS Addis and Rose Sanitary services) collect, transport and dispose waste from the source to the landfill site, Repi. But Dynamic, SOS Addis, and Rose sanitary services do not render regular waste transport and disposal services mainly because lack of capacity. Hence, in addition to lack of recorded data it is very difficult to know how much percentage of the daily generated waste is transported and disposed by MSEs »153 (Yimenu, 2008 : 56)
Le rapport de l’AASBPDA de 2010 préconise une décentralisation de la gestion des déchets, notamment concernant son financement. Elle n’est toujours pas effective mais évoque la situation sénégalaise.
À Dakar, lors des divers entretiens réalisés en 2007 et 2011 auprès des acteurs institutionnels, le manque de moyens a été évoqué quasiment systématiquement. De l’exposé détaillé des aspects financiers, présenté par Diawara, il ressort que les contraintes budgétaires ont toujours été fortes. La TEOM (Taxe sur l’Enlèvement des Ordures Ménagères), forme d’impôt ponctionnée sur la valeur du foncier des ménages, participe au recouvrement des frais mais reste limitée et insuffisante154. Par définition, les maisons
construites de manière anarchique et illégales en périphérie de Dakar sont « inéligibles » (Diawara, 2009 : 302) et ne participent pas au financement. Depuis que la Cadak a pris en charge la gestion des déchets de Dakar et des arrondissements périphériques, celle-‐ci est décentralisée à la municipalité comme dans tous les autres centres urbains du Sénégal (Royat, Brovin & Guèye, 2005). Si l’agglomération dakaroise ne fait plus figure d’exception à l’échelle du pays, l’ampleur de la tâche contraint les gestionnaires de la presqu’île à faire appel à plusieurs concessionnaires, mis en concurrence par l’appât du gain, gain proportionnel aux tonnes de déchets évacuées hors des espaces construits, habités. Les données obtenues auprès du ministère de l’environnement en 2007 rendent compte des efforts d’investissement à fournir au niveau du matériel de ramassage et de transport. Le tableau 2 récapitule par zone d’intervention, le matériel supplémentaire minimum qui serait nécessaire à l’amélioration des taux de collecte, notamment dans les quartiers où ceux-‐ci sont inférieurs à 50 %, c’est le cas de Ouakam, Mermoz, N’Gor et Grand Yoff.
152 [Campagne d’activités sanitaires, fourniture de poubelles, contribution financière, initiative de l’association
Clean Addis Ababa] (traduction A.P.).
153 [« Selon les informations fournies par la AASBPDA, les micro et petites entreprises rendent principalement des
services de collecte des déchets. Elles collectent des déchets solides provenant de la source de production et les ordures disposées à proximité des conteneurs municipaux. Peu d'entre eux (Dynamic, SOS Addis et Rose Sanitary Service), collectent, transportent et éliminent les déchets depuis la source jusqu’au site de dépôt, Repi. Mais Dynamique, SOS Addis, et Rose sanitary services ne rendent pas de services réguliers principalement par manque de moyens. Ainsi, en plus du manque de données enregistrées, il est très difficile de savoir quel pourcentage de déchets produits est quotidiennement transporté et éliminé par de micro et petites entreprises »] (traduction A.P.)
Tableau 2. Matériel « manquant » dans chaque zone de collecte (BT = benne tasseuse155)
Zone Quartiers Besoins en
matériel
1 et 2 Rufisque, Bargny,
Diamnadio, Sebikhotane
manquent 5 BT
3 Pikine, Dalifort manquent 5
BT
4 Yeumbeul, Malika, Keur
Massar Satisfaisant
5 Thiaroye, Diamaguene manquent 3
BT
6 Guédiawaye Satisfaisant
7 Parcelles Assainies, Patte
d'Oie
manquent 2 BT
8 Yoff, Nord Foire Satisfaisant
9 Ouakam, N'Gor, Mermoz manquent 20
BT
10 Sicaps Amitié, Zone A et B,
Grand Dakar
manquent 4 BT et 2 camions
11 Plateau, Medina, Fann Hock Satisfaisant
12 Grand Yoff
manquent 6 BT ou 6 camions
13 Sicap Liberté, Sacré Cœur manque 5 BT
Source : Ministère de l’Environnement156, réalisation A.P., 2011.
Au total, le service aurait besoin de 50 bennes tasseuses et de 5 camions supplémentaires. Le matériel est considéré comme suffisant dans seulement 4 des 13 zones de ramassage. Il faudrait largement développer le système de balayage dans les rues et les ruelles pour compléter le travail sommaire des bennes tasseuses. Enfin, le problème de l’entretien du matériel se pose pour la plupart des concessionnaires. Les réparations à effectuer sur du matériel importé d’Europe et d’Asie sont trop onéreuses pour ces sociétés
155 Une benne tasseuse est un engin constitué d’un corps motorisé et d’un conteneur métallique, fermé ou ouvert,
permettant le stockage intermédiaire et le transport des déchets d’un lieu à un autre. Ils peuvent être de différentes tailles, dans nos cas, il s ‘agit de conteneurs de 13 à 15 m3.
156 Données obtenues auprès du Ministère de l’environnement. Ces manques concernant le matériel de ramassage
ont été constatés à l’issue d’une réunion des concessionnaires organisée en 2006 au moment de la crise entrainant la chute du concessionnaire AMA (voir encadré 6).
locales : le matériel défaillant est rarement réparé et il n’est pas remplacé. Une autre raison évoquée par Diawara est le problème de l’inadaptation des moyens de collecte dans la capitale sénégalaise. Il n’y a pas suffisamment de Points d’Apport Volontaire (PAV) comme à Addis Abäba et compte tenu de la taille et du poids des véhicules, le ramassage n’est possible qu’aux abords des routes asphaltées.
2.2.2. Les facteurs géographiques
157des dysfonctionnements
À Addis Abäba, des obstacles principalement liés au relief
Le site d’Addis Abäba présente une topographie particulière : la cité est construite sur un plateau entre 2 300 et 2 600 m d’altitude, ce qui fait d’Addis Abäba l’une des capitales les plus hautes du monde après La Paz (Bolivie), Quito (Équateur), Bogota (Colombie) ou Thimphou (Bhoutan). Ce dénivelé de 300 m présente une pente douce depuis Entotto jusqu’au bassin d’Aba Samuel. Le plateau d’Aqaqi est parsemé de nombreux cours d’eau généralement encaissés. La ville s’étend sur deux bassins versants principaux, celui de l’Aqaqi et celui du West Aqaqi-‐ou Tenishu Aqaqi (Tamru, 2002 : 618). L’urbanisation progresse au nord et à l’est du vieux centre-‐ville depuis la cuvette jusqu’aux pieds des collines qui bordent la cité tandis qu’au sud, la ville s’étend dans la plaine où coulent la rivière Aqaqi au sud et la rivière Bulbula au sud-‐est. La topographie marque la dichotomie entre les hauteurs de la ville, plus facilement aménageables, et les bas-‐fonds plus difficiles d’accès. Le relief induit un paysage marqué par l’hétérogénéité prenant l’apparence d’une mosaïque notamment au « centre » physique de la ville158. Dans certains cas, les rivières ont influencé le découpage
administratif159 des quartiers. Cette limite physique est une autre particularité d’Addis Abäba.
157 La littérature contemporaine délaisse souvent les facteurs géographiques pour privilégier les approches
politiques. Ceux-‐ci constituent pourtant une clef d’analyse non négligeable. Quelles que soient les raisons de cet évincement (rejet d’une approche déterministe, mise en avant de certaines thématiques telle la gouvernance au détriment de l’étude de facteurs géophysiques), l’approche géographique permet d’expliquer certains dysfonctionnements de ce service urbain.
158 Notons que la notion de centralité appliquée à Addis Abäba est récente et partagée par trois auteures
(Bosredon, Bridonneau & Duroyaume, 2012).