développement et de l’environnement, géographie urbaine, culturelle et politique
Carte 1. Localisation des terrains d’études : des capitales africaines
I.3.1. Démarche : aborder cette problématique par les « lieux de l’ordure »
Nous choisissons d’aborder la question des relations entre la valorisation des déchets et les territoires urbains par ce que nous appelons les « lieux de l’ordure » afin de nous démarquer de l’analyse systémique.
Reprendre le vocabulaire de l’analyse systémique…
Le vocabulaire de l’analyse systémique est en effet souvent employé pour caractériser les relations entre la ville et ses déchets. En Afrique, la relation « ville-‐déchets » a été jusqu’alors considérée comme un « système de gestion des déchets » (Botta, Berdier &
Deleuil, 2002) 48 que certains auteurs qualifient de « système linéaire » (Dorier-‐Apprill, 2006 :
252) caractérisé par l’évacuation hors de l’agglomération des déchets collectés en centre-‐ ville. La fermeture des sites de décharge, leur réhabilitation (projet de méthanisation ou de compostage par exemple) et/ou la construction de Centres d’Enfouissement Technique49
(CET), symbolisent aujourd’hui et devraient concrétiser demain le passage à un « système cyclique » de gestion des déchets. L’utilisation de ces termes semble décrire convenablement les éléments qui constituent l’ensemble de l’organisation de ce service dans la ville dans la mesure où les interactions multiples entre les flux de matières et les différents acteurs participent à la construction d’un système complexe. On retrouve également les « entrées », les « sorties » et les « flux », évoqués par Olivier Orain, qui participent à la reconnaissance d’un système (Orain, 2001). Les « entrées » sont matérialisées par la production et la consommation, à l’origine de la création des déchets, tandis que les « sorties » correspondent aux matières qui ne sont pas valorisables, que l’on appelle « déchets ultimes » (Ramade, 2002). Les flux peuvent être matériels (les déchets), humains (les récupérateurs, les acheteurs etc.) et financiers et commerciaux (découlant des transactions d’achat et de vente de déchets).
…mais préférer une approche par les « lieux de l’ordure »
Si le vocabulaire de l’analyse systémique est pertinent pour décrire la gestion officielle des déchets, nous choisissons de ne pas recourir à une méthodologie systémique pour étudier la valorisation non institutionnelle. En effet, les modèles ne rendent compte que d’une part réduite des formes spatiales présentes. Les éléments physiques, les explications d’ordre sociologique du comportement des acteurs et de leurs actions menées en matière de valorisation des déchets, sont autant de limites à la modélisation et à l’approche par la systémique. C’est d’ailleurs ce qu’expliquent Henri Botta, Chantal Berdier et Jean Michel Deleuil, à propos des villes européennes :
« Ce vaste sujet, démultiplié par la diversité des agglomérations humaines, des ordures qu’on y produit et des champs disciplinaires concernés par les enjeux de propreté, ne se prête guère à la modélisation. Tout juste peut-‐on discerner quelques lignes de forces, dessinant un système ‘ville-‐déchets’ organisé autour des formes des mobilisations des acteurs et d’usagers des services » (Botta, Berdier & Deleuil, 2002 : 7).
Nous privilégions une approche par les lieux, plus efficace pour cerner l’objet de notre recherche. Ce travail s’inscrit dans un courant des sciences sociales qui, depuis les années 1990, redonne au lieu une place centrale en géographie et pour qui « le lieu fait lien » (Brochot & De la Soudière 2010 : 5). Le lieu, dans notre démonstration, loin d’être défini selon
48 Pour ces auteurs, trois formes majeures de systèmes sont repérables dans le temps : l’archaïque, le linéaire et le
cyclique. Le système « archaïque » est marqué par « l’absence ou l’inefficacité de l’intervention publique. […] En ville, on reproduit les pratiques rurales et villageoises. Le geste du rejet vise à exclure du logement » (Botta, Berdier, Deleuil, 2002 : 11). Le système « linéaire » repose sur le principe de l’évacuation des ordures en dehors de l’espace urbain, sur des sites de décharge. Le système « cyclique » intègre la valorisation des déchets afin de transformer le déchet en ressource pour la ville. Après transformation, le déchet est réintroduit au système de consommation dans l’espace urbain.
49 Un Centre d’Enfouissement Technique est un site construit et exploité professionnellement dans lequel les
une approche cartésienne, donc différent du topos, est lié intimement à l’objet : là où il y a des ordures, ou encore, là où il y a une action liée aux ordures (celles-‐ci sont multiples : ramassage, dépôt sauvage, récupération, valorisation). Qu’entendons-‐nous par « lieux de l’ordure » ?
Nous appelons « lieux de l’ordure » les lieux qui combinent l’objet (les déchets), l’action (la récupération et la valorisation) et les acteurs (institutionnels ou non). Les lieux de l’ordure naissent ainsi des relations entre des acteurs, une portion d’espace et un processus. La rencontre entre l’objet et le processus introduit en effet l’idée de lieu, celui-‐ci pouvant aussi dépendre des êtres et des choses qui le traversent ou le qualifient » (Mancebo, 2006 : 172-‐73)50. Les pratiques liées aux déchets entretiennent une relation intime avec le type
d’espace considéré, tout en permettant de caractériser ce dernier, comme le constate la sociologue Magalie Pierre, à propos de l’évacuation des déchets d’habitat collectif : « L’ordure contribue à définir le lieu, au sens où elle lui attribue à la fois une fine (en latin ‘ une limite ’) et une essence » (Pierre, 2002 : 48) ». Pour appréhender la relation entre les espaces des villes et les déchets, nous retenons l’idée développée par Bernard Debarbieux (1995 : 98) selon laquelle un « espace échappe à son échelle et se condense dans un des lieux qui le constituent ». Par conséquent, les lieux de l’ordure permettraient d’observer des processus de valorisation et d’étudier la construction territoriale qui en découle dans l’espace urbain. En conjuguant les éléments de définition des hauts lieux proposés par André Micoud (1991), nous pourrions considérer ce que nous appelons les « lieux de l’ordure »51 comme des hauts
lieux de la valorisation, caractérisés par une « haute valeur ajoutée » (Brochot & De la Soudière, 2010 : 10), dans un espace « circonscrit » (Debarbieux, 1995 :107). Les lieux étudiés formeraient ainsi un réseau défini comme « les relations et les échanges entre les lieux » (Brunet, 1992). À partir des lieux de l’ordure, nous pourrons également questionner « l’effet polarisant » (Piveteau, 1995) de ceux-‐ci, et par là même, le rapport à la centralité : dans quelle mesure le processus de valorisation se concentre-‐t-‐il dans certains lieux de la ville et peut-‐il être créateur de centres ?
Enfin et pour éviter les confusions, la différence faite ici entre les territoires et les lieux n’est pas réduite à une question d’échelle et de superficie. Qu’il s’agisse de Dakar ou d’Addis Abäba, les lieux amènent avant tout à considérer la concentration des activités où la « mobilisation synergique des acteurs » (Levy & Lussault, 2003 : 573) s’exprime plus fortement qu’ailleurs tandis que les territoires, précédemment définis (p.27), résulteraient de leur agencement et de leur mise en relation. Autrement dit, l’analyse de l’agencement des lieux de l’ordure et des réseaux (d’acteurs, de flux d’activités) devrait nous permettre d’étudier la construction territoriale issue de la valorisation des déchets, s’il en est une.
50 Cette définition diffère de celles proposées par l’approche modélisatrice de la théorie des lieux centraux, sur
laquelle nous reviendrons dans le cours de notre développement.