créateur de dépôts sauvages
Encadré 3. La crise de AMA Sénégal
En mai-juin 2006, la Direction de l’Environnement et des Etablissements Classés (DEEC) constate un important dysfonctionnement dans le système de collecte. En août, après la reprise en main de la situation par le Ministère de l’environnement, 74 000 tonnes d’ordures arrivent jusqu’à Mbeubeuss, soit près du double de ce qu’AMA était capable de ramasser mensuellement depuis près d’un an. Les dépôts sauvages les plus visibles sont éradiqués. En septembre, ce sont encore 45 000 tonnes qui sont ramassées, mais depuis la situation semble s’être stabilisée (retour à une moyenne de 35 000 tonnes par mois). Depuis cette crise, un puissant système de contrôle et de suivi des opérations de ramassage a été mis en place. Ce sont les agents de la protection de l’environnement et des parcs nationaux qui sont chargés de cette tâche. Des contrôles sont effectués après le ramassage dans chacune des zones, de même qu’est désormais pointé le nombre de camions arrivant quotidiennement sur la décharge. En effet, longtemps s’est posé le problème de la provenance des ordures : les chauffeurs et les éboueurs avaient une fâcheuse tendance à récupérer les déchets des privés (entreprises etc.), se faisant ainsi doublement payer sans pour autant débarrasser la voie publique de ses immondices. Leur salaire dépend donc dorénavant du nombre de voyages effectués entre la zone à assainir et la décharge de Mbeubeuss (voir détails du système de vérification dans le chapitre 4-1).
L’Aprodak, l’Aprosen, puis différents ministères (« Environnement », « Hygiène Publique ») se succèdent avant la création de la Cadak. Depuis lors, on assiste à une multiplication des concessionnaires, comme durant la période intermédiaire de 2007-‐2008. La fin du monopole est entérinée, et le rapport entre l’efficacité de la collecte et le revenu à la tonne déposée sur la décharge, déclare ouverte la course à la performance par quartier. L’origine des financements n’étant pas transparente148, elle pose la question d’éventuelles
dépenses inutiles, par simple recherche de performance.
who do not have such facilities » (Yimenu, 2008 : 40) [L'administration a donné le pouvoir au qäbälé de pénaliser les habitants qui jettent leurs déchets en dehors des conteneurs, dans des espaces ouverts. Ils sont également chargés de nettoyer les zones, en communiquant avec l'organisme concerné pour vider les conteneurs municipaux, et en construisant des latrines pour ceux qui sont dépourvus de telles installations] (traduction A.P).
147 Qui s‘apparentent aux mairies d’arrondissement françaises.
148 Badiane pose en 2007 la question des coûts réels de la gestion : « quel est le coût réel de la gestion des déchets
À Addis Abäba, le turn over qui caractérise les ressources humaines de la AASBPDA met en doute l’efficacité de l’autorité. En quatre ans, trois interlocuteurs différents, occupant la même fonction à la tête de la AASBPDA m’ont reçue. Les équipes communiquent peu, la ligne directrice n’est pas connue de tous les agents. Camilla Bjerkli revient sur ces incohérences politico-‐administratives dans un article (non publié) écrit en novembre 2012 et intitulé « power in waste ». À cela s’ajoute le manque de formation des agents officiels, qui mériterait une analyse n’entrant pas dans le cadre de nos propos, mais sur lequel il serait intéressant de revenir.
Conséquences de ce « métissage » des acteurs (Dubresson & Jaglin, 2002) sur le terrain ?
La multiplication des acteurs et la diversification de leurs origines engendrent de nouveaux problèmes à commencer par le manque de lisibilité globale. Certains pointeront les difficultés à l’échelle des rues et des quartiers concernant la précollecte et le ramassage, d’autres les nuisances générées par les dépôts majeurs situés dans des zones protégées (Niayes à Dakar) ou dans les cours d’eau à Addis Abäba. La visibilité globale reste souvent lacunaire. Ensuite le turn over ne permet pas « d’accorder le temps nécessaire aux changements », comme le constate Francis Chalot à propos de Yaoundé (Chalot, 2002 : 48) les programmes sont souvent abandonnés, les durées des contrats sont trop courtes149. Ce
phénomène rend impossible la question du suivi des projets qui demeurent inachevés, comme l’illustrent les cas des usines de compostage que nous étudierons en fin de chapitre.
Concernant les quartiers pauvres et irréguliers, nous ne constatons pas d’amélioration significative : contrairement à l’argument mis en avant d’une « grande capacité d’innovation pour mieux desservir les quartiers pauvres, et ce malgré des expériences réussies » (Botton, 2007), « les opérateurs privés se sont trouvés confrontés à des normes élevées et au problème du statut foncier illégal de nombreux quartiers à l’étalement spatial rapide »
(Jaglin & Zérah, 2010 : 10). Enfin, les nouveaux acteurs sont souvent instigateurs de mobilisations encadrées de la société civile qui finissent cependant par se désagréger. Les mouvements « set setal » à Dakar et l’implication du chanteur Youssou Ndour et de la « Gashe Abera Molla Association » témoignent de ces échecs relatifs :
« L’évolution rapide des villes dans les pays émergents et en développement modifie les équilibres entre ces acteurs en faisant apparaître au gré des modifications de nouveaux enjeux et de nouvelles responsabilités pour les uns et les autres. Ainsi l’émergence initiale des jeunes dans les opérations Set-‐Setal a été perçue par de nombreux observateurs comme une surprise et un espoir. Le chanteur Youssou Ndour dans sa chanson « Set » n’exprime rien d’autre que cette nouvelle confiance dans les jeunes pour diffuser l’idée de l’importance de l’hygiène publique. Ce faisant il devient à son tour un relais et un nouvel acteur dans cette vaste entreprise de sensibilisation collective » (Handschumacher, 2007 : 195).
149 Argument rapporté par Francis Chalot « De l’amont vers l’aval : l’émergence d’une filière de gestion des déchets
adaptée aux villes africaines » dans : MAE, (2002), Gestion durable des déchets et de l’assainissement urbain, MAE, Programme Solidarité-‐Eau (psEau) et Partenariat pour le Développement Municipal (PDM), 192 p.
La multiplication des acteurs reflète la nécessité de gérer les déchets en déployant des moyens provenant du secteur privé pour améliorer les taux de collecte et en impliquant les acteurs locaux et la société civile à l’échelle communale (Dakar) ou de quartier (Addis Abäba).
2.2. DIFFICULTÉS DE LA GESTION INSTITUTIONNELLE ET
CONSÉQUENCES SUR LES SERVICES URBAINS
Les rues jonchées d’ordures fraîches ou en décomposition témoignent des problèmes rencontrés par les acteurs institutionnels pour mettre en place un système efficace de gestion. Sur la question des réseaux d’approvisionnement des villes en eau, Sylvy Jaglin et Marie-‐Hélène Zérah ont analysé les limites du monopole public des services urbains, insistant sur les conséquences inégalitaires de ce fonctionnement en termes de desserte et de qualité du service :
« Le modèle idéel de services publics fondé sur l’expansion de services à tous par une administration de type wébérien, des mécanismes de péréquation territoriale et / ou sociale et un processus de planification technique de l’offre (en fonction de besoins normés et de l’expansion urbaine planifiée) a montré ses limites. Les inefficacités de la gestion publique (à la fois techniques, organisationnelles et financières), l’absence de desserte des quartiers pauvres due à des raisons objectives (rapidité du peuplement, illégalité foncière), mais aussi à un traitement discriminatoire de la part des bureaucraties post-‐coloniales, et l’inégalité socio-‐spatiale dans l’accès au service qui en résulte, ont conduit à une remise en cause de la légitimité des monopoles publics » (Jaglin & Zérah, 2010 : 8).
Nonobstant la mise en partage de ce service, le cas des déchets présente les mêmes limites qui ne tiennent pas seulement aux modalités de la gestion.
2.2.1. Des déficiences structurelles communes à Dakar et à Addis
Abäba : manque de moyens et insuffisance technique
Quelques photographies, prises au cours de nos enquêtes de terrain, suggèrent que les systèmes de collecte et de ramassage ne sont pas efficaces, voire qu’ils ne fonctionnent pas dans certains quartiers. Deux points retiennent notre attention150 ; d’une part le manque
de moyens ; d’autre part, les insuffisances techniques, à commencer par l’obsolescence du matériel.
150 Cet aspect a déjà été étudié par les nombreux auteurs, chercheurs ou institutionnels qui s’intéressent aux
problèmes de la filière déchets. On peut consulter notamment les travaux de Amadou Diawara, concernant Dakar et ceux de Yimenu Asserse Mekonnen concernant Addis Abäba. Mais aussi Ta Thu Thuy, sur les villes ouest africaines et Adepoju G. Onibokun pour une mise en perspective de quatre villes subsahariennes (Abidjan, Ibadan, Dar-‐es-‐Salaam et Johannesburg).