produits par an)
Encadré 4. L’accès aux pratiques des ménages facilité en centre-‐ville
Mon immersion de six mois dans une famille sénégalaise vivant dans le département de
Dakar, dans un quartier que l’on pourrait qualifier d’ « intermédiaire »192 puisque limitrophe du
quartier du Point E à l’habitat « haut de gamme » (Sakho, 2007 : 75) et du quartier populaire de Fass – Gueule Tapée, m’a permis d’étudier les pratiques des foyers au niveau de vie « intermédiaire ». En dépit de sa petite superficie, zone B présente l’avantage de la mixité. Sa taille réduite permet également l’interconnaissance entre voisins. J’ai ainsi pu étudier les pratiques des habitants de Dakar-centre dans un quartier relativement bien desservi par les camions poubelles qui jouxte pourtant des zones de dépôts sauvages : « canal zone B », « marché de Gueule Tapée », etc. De plus, ce quartier présente l’avantage de ne pas être concerné par les
192 Le quartier de zone B est voisin du Point E, qualifié de « nouvel espace central » par Pape Sakho : « Dans le cas
du Point E, l’expression ‘ invention de la centralité ’ se justifie doublement, parce que ce quartier acquiert des caractéristiques centrales qu’il n’avait pas et parce que la centralité qui y émerge est d’un type nouveau pour Dakar. Par rapport au vieux et unique centre de la ville coloniale, celui du Plateau, le Point E apparaît comme un espace central spécialisé, au même titre que d’autres lieux émergents de la ville apparaissent comme des centres secondaires (Sakho, 2007 : 76). On pourrait d’ailleurs reprendre cette idée d’émergence, ou plutôt de création d’une forme de centralité, voire de l’idée même de centralité, à propos de certains quartiers modernes d’Addis Abäba, ou tout du moins récents présentant des critères de modernité, tels que Bolé, Aya hulet, Bole Medhane Alem ou Yeka-‐CMC spécialisés dans les activités commerciales.
services des charretiers pour le ramassage des ordures. Lorsque le klaxon des éboueurs retentit, c’est bien souvent les domestiques ou les enfants qui sortent dans les rues, mais il n’y a pas d’intermédiaire du fait de la bonne desserte. Ce fut donc simple d’interroger les habitants sur leur rapport quotidien aux ordures.
On peut considérer que le quartier de Zone B est représentatif de la gestion des déchets par les habitants du département de Dakar. Les quartiers faisant figure d’exception ont été évoqués par les domestiques, qui avaient souvent travaillé dans différentes maisons dakaroises. Les déchets ne sont pas triés, seules quelques bouteilles en plastique sont conservées pour la fabrication de pains de glace utilisés lors des coupures d’électricité (très fréquentes lors de mon séjour de 2011), pour la conservation des aliments dans les congélateurs. Les bouteilles en verre sont consignées malgré la généralisation récente des canettes de bière ou de « sucrés ».
Enfin, pourquoi avoir choisi le département de Pikine?
Pikine car c’est LA banlieue par excellence. Pour appréhender cet espace, on dispose des travaux de Marc Vernière et de Gérard Salem193 qui nous ont permis de délimiter les
différents secteurs et les évolutions de ce département. Les travaux de ce dernier, publiés entre 1978 et 1994194
, sont en effet contemporains du développement de Pikine.
Caractéristiques pikinoises et méthodes d’enquête de terrain
La construction de Pikine débute en 1952 lors d’une première phase d’assainissement de la capitale sénégalaise, et s’accélère après l’indépendance de 1960, qui est associée à un mouvement de déplacements massifs et rapides des populations les plus pauvres. L’arrivée massive de migrants en provenance des régions du Sénégal à Dakar, a conduit les autorités sénégalaises à assainir la zone des Niayes pour y créer des terrains constructibles. Pikine « régulier » nait de ce mouvement et les travaux de Gérard Salem témoignent de cette période. Mais les flux de migrants ne cessent pas. Les ruraux s’arrêtent aux portes de Dakar,
193 En 1998, il publie notamment son Habilitation à Diriger des Recherches soutenue en 1994, « La santé dans la
ville, géographie d’un petit espace dense, Pikine ».
194 Notamment : SALEM Gérard, (1998), La santé dans la ville. Géographie d’un petit espace dense, Pikine (Sénégal),
Paris, Karthala-‐ORSTOM, 360 p. ; SALEM Gérard, ROZENBLAT Céline, CEUNINCK Dani, MUREBWAYIRÉ Scholas, (1993), « Offre de soins et couverture sanitaire dans une ville africaine. Pikine », dans De l’analyse Économique aux politiques de santé, Paris, Université Paris-‐Dauphine, pp. 219-‐228. ; SALEM Gérard, EPELBOIN Alain, (1986), « Urbanisation et Santé dans les villes du Tiers Monde : l'exemple de Dakar-‐Pikine », Bulletin d'ethnomédecine, n°26, pp. 3-‐25 ; JEANNÉE Emile, SALEM Gérard, GUINDO Sylvain, (1987), Projet Pikine: participation et développement sanitaire en milieu urbain africain, Enfants et Femmes d'Afrique occidentale et centrale, Le difficile accès à la santé, v. 3, pp. 37-‐43 ; COLLIN Jean Jacques, SALEM Gérard, (1989), Pollution des eaux souterraines par les nitrates dans les banlieues non assainies des pays en développement: le cas de Pikine, BRGM, 27 p. ; SALEM Gérard, ARREGHINI Louis, (1991), « Evaluations spatialisées rapides de la population des villes africaines : l'exemple de Pikine », Population, n°4, pp. 1000-‐1006 ; SALEM Gérard, (1992), Crise urbaine et contrôle social Pikine. Bornes fontaines et clientélisme. », Politique Africaine, n°45, pp. 21-‐38. SALEM Gérard, (1978), « De Pikine à la Médina : un fil d'Ariane pour un labyrinthe. Les réseaux commerciaux des artisans colporteurs sénégalais », dans Vivre ou Survivre dans les villes africaines, Paris, PUF-‐IEDES, pp. 267-‐288 ; SALEM Gérard, MAROIS Claude, (1992), « De la théorie à la description: morphologie de l'habitat, dynamiques spatiales et paysages urbains à Pikine. Sénégal, dans Statistiques Impliquées, Séminfor V Coll. Colloques et Séminaires, Paris, ORSTOM, pp. 319-‐339. SALEM Gérard, MAROIS Claude, ARREGHINI Louis, WANIEZ Philippe, (1992), « Lieux de vie, densités et zones à risques: l’analyse spatiale au service de la santé à Pikine. Sénégal », dans Statistiques Impliquées, Séminifère V, Coll. Colloques et Séminaires, Paris, ORSTOM, pp. 419-‐430.
trouvant à Pikine amis et famille d’accueil. Pikine « irrégulier »195
nait de cette seconde phase d’expansion de la capitale. Bientôt, les villages voisins et la « ville champignon », ne forment plus qu’un seul ensemble, les interstices sont occupés progressivement : bricolage, baraquements et mixité des langues contribuent à créer ce bouillonnement permanent, cet autre Dakar traversé par l’axe Dakar-‐Diamniadio emprunté par la majorité des Sénégalais. « Bountou Pikine » est la porte, ou la sortie, de cette banlieue, qu’elle sépare de Dakar. Les services sont incomplets : « le cas de Pikine est exemplaire. Créée ex nihilo en 1952 par les autorités coloniales, Pikine compte près de 700 000 habitants sur 25 km2, dont la moitié vit
dans les quartiers irréguliers au regard des lois urbaines. Cette partie de la ville est à la fois en autoconstruction et mal desservie en eau courante ce qui signifie qu’aucun contrôle d’hygiène publique ne garantit les qualités des fosses septiques d’aisance construites […] » (Collin & Salem, 1989). Pikine est géographiquement et socialement marginale :
« L’agglomération dakaroise se constitue en fait à partir des années 1960 en deux villes qui deviendront de plus en plus distinctes dans l’espace : Dakar même, avec une ségrégation interne dans les quartiers modernes, les quartiers africains traditionnels et les bidonvilles, et Pikine, la ville des marginaux et des exclus, où la population rejetée loin du centre-‐ville et des emplois, vit d’une économie de débrouillardise […] » (Osmont, 1995 : 70).
Aujourd’hui Pikine est un des quatre départements que compte la région de Dakar (Dakar, Pikine, Guédiawaye et Rufisque) et divisé en trois arrondissements (arrondissement des Niayes, arrondissement de Pikine Dagoudane, arrondissement de Thiaroye), qui sont eux-‐ mêmes subdivisés respectivement en 4, 7 et 5 communes d’arrondissement. Tout en s’intéressant aux problématiques liées à l’eau et à la santé, Gérard Salem fait ressortir les spécificités de ces périphéries urbaines: espace inégal, qui échappe au contrôle territorial de l’État196
. Si le département de Pikine concentre tous les maux déjà évoqués (inondations, irrégularité de l’habitat, densité de population), il apparaît également comme le territoire le plus touché par les bouleversements en cours en matière de gestion. Les déchets constituent une entrée qui permet de dépasser la seule lecture des paysages, dès lors que l’on confronte les politiques aux pratiques des habitants.
Nous disposions de quelques données quantitatives de seconde main concernant cette zone. Selon l’enquête sur la « Caractérisation de la production de déchets », réalisée dans le cadre du programme PURE de l’IAGU et du CRDI, le secteur de la zone197
de Pikine est
195 Les taux d’habitat irréguliers seraient de 22% pour l’ensemble de l’agglomération dakaroise avec une différence
marquée entre le département de Dakar (3 %) et celui de Pikine (42,5 %) (UN-‐Habitat, 2008). « Les secteurs à urbanisation irrégulière et spontanée disposent d’une architecture multiforme sur des parcelles multidimensionnelles et des trames irrégulières » (Sy, 2007 : 182). Sur le plan de Dakar, on repère aisément ces zones « irrégulières » à la forme arrondie des îlots, qui s’opposent à la trame géométrique des quartiers dits « réguliers » (voir carte 12).
196 Dans la note qu’il a écrite à propos de son HDR, Henri Picheral insiste sur la démarche de Gérard Salem : « Sa
longue expérience du terrain l'amène à dépasser la forme d'une monographie pour lui donner une dimension plus ambitieuse : l'élaboration d'une réflexion théorique à partir d'une recherche empirique ». Il ajoute « qu’Il entend faire partager sa réflexion de géographe sur la signification de l'analyse géographique des faits et des systèmes de santé à une échelle inédite jusque-‐là : les « petits espaces denses » (Picheral, 1999).
197 Les enquêtes ont été réalisées d’après un découpage en 7 secteurs couvrant toute la région de Dakar : secteur 1
pour la ville de Dakar regroupant les activités administratives (Plateau, Rebeuss, zone portuaire), secteur 2 pour la ville de Dakar regroupant majoritairement des habitations (Médina, Fann Hock, Grand Dakar, Parcelles Assainies),
le deuxième pôle de production annuelle de déchets (93 292 tonnes) après Grand Dakar (225 534 tonnes) (Guèye Cissé et al., 2012 : 135). Concernant les types de déchets produits, nous disposons également des résultats obtenus à partir d’échantillons prélevés à Keur Massar, Thiaroye sur Mer et aux Parcelles Assainies. Notons qu’aucun de ces points de prélèvement n’est situé dans « Pikine irrégulier ». Les fines prédominent et sont suivies par les putrescibles, les plastiques et le textile (Guèye Cissé et al., 2012 :144).
Pour l’enquêteur, le contact avec les habitants est difficile à instaurer dans des quartiers majoritairement populaires. D’abord parce que la simple observation est impossible, il aurait fallu que je vive à Pikine. On peut apercevoir de temps à autre des femmes et des enfants qui vident leurs poubelles mais aborder des femmes à ces moments précis est peu opportun. D’une part je ne parlais pas correctement le wolof, d’autre part, les habitants de la banlieue sont très souvent des migrants qui eux-‐mêmes ne maîtrisent que partiellement la langue parlée dans la capitale. Ensuite, ces moments sont de très courte durée et peu propices pour engager une conversation sur la question des déchets. L’intimité du quotidien est en effet peu accessible aux toubabs. L’enquête par questionnaire, chez les habitants et dans les cours communes, apparaissait donc comme la solution la plus adaptée : lorsque ma discrétion était perçue comme un gage de confiance, la discussion pouvait alors s’engager, tandis que l’interception des citadins dans l’espace public était perçue comme une intrusion.
La méthode qualitative employée ne nécessitait pas de définir un échantillonnage précis. Nous avons déterminé les quartiers en fonction de plusieurs critères combinés et les avons choisis après une phase exploratoire qui consistait à déambuler dans les rues de banlieue (de Bountou Pikine à Keur Massar). L’accessibilité, les densités198 et la salubrité
entrent dans ces critères. Concernant l’inaccessibilité, nous avions posé l’hypothèse suivante : lorsque les camions passent régulièrement comme à Dakar, les habitants utilisent majoritairement ce service. Enfin, les quartiers encore inondés ont présenté pour moi, à cette période de l’année (de février à mai), une occasion de pouvoir observer des pratiques qui se généralisent en saison des pluies (saison que j’ai vécue à Addis Abäba mais pas à Dakar). La proximité d’un important lieu de production d’ordures, tel que la décharge de Mbeubeuss (communes d’arrondissement de Keur Massar et de Malika) a également été prise en compte.
secteur 3 pour le nord de la ville de Dakar (Ngor, Ouakam, Yoff, Les Almadies), secteur 4 pour la ville de Pikine, secteur 5 pour la ville de Guédiawaye, secteur 6 pour les villes de Rufisque et de Bargny, secteur 7 pour les communes rurales (Bargny, Diamniadio, Sébikotane et Sangalkam) (Guéye Cissé, 2012 : 134).
198 À propos des densités, nous avons utilisé les chiffres de la Direction Nationale de la Statistique Sénégalaise. Les