De plus en plus de déchets à gérer et à exploiter à Dakar et à Addis Abäba
1.1. D E PLUS EN PLUS DE DÉCHETS PRODUITS EN VILLE
1.1.1. Croissance démographique et spatiale des villes, croissance
de la production de déchets
Les relations hommes-‐déchets renforcées dans les espaces urbains
Les activités humaines sont caractérisées par la production, la consommation, la collecte, la transformation et le rejet. « La boue, les déchets et la crasse, […] sont à l’homme ses compagnons de vie » notent Martine Tabeaud et Grégory Hamez dans l’ouvrage collectif Les métamorphoses du déchet (Tabeaud & Hamez, 2000 : 17). Dans l’introduction de son ouvrage Montre-‐moi tes déchets… l’art d’accommoder les restes, Gérard Bertolini évoque le passage de « l’homo erectus à l’homo detritus » (Bertolini, 2011 : 11), comme preuve de la relation forte unissant l’homme et ses déchets à l’heure de la société de consommation. La vie en groupe est également associée aux déchets, de plus en plus pluriels, de plus en plus nombreux et de plus en plus persistants, lorsque les hommes vivent rassemblés dans un espace restreint et délimité, en particulier en ville. La consommation y est plus importante et la production de déchets y augmente corrélativement. La ville est alors indissociable de ses déchets. Certaines se sont en partie développées sur leur tas d’ordures, New York et Paris en sont de parfaites illustrations. Martine Tabeaud évoque l’origine des reliefs les plus élevés de ces deux agglomérations, comme un point commun entre ces deux capitales : ils correspondent à l’emplacement des anciennes décharges municipales.65
La règle de la proportionnalité
Du nord au sud, d’est en ouest, de l’Amérique à l’Asie en passant par l’Afrique, ce qui pose problème, c’est la production croissante de déchets et l’évolution de leur nature66. Ces
deux processus sont directement liés à une augmentation du nombre d’urbains sans précédent depuis le milieu du XXème siècle. Le continent africain, bien qu’ayant connu plus tardivement ce phénomène, n’échappe pas à cette tendance de croissance spatiale et démographique exponentielle : après les indépendances et pendant les deux décennies qui suivent, les pays africains affichent des taux de croissance de leur population urbaine pouvant dépasser les 10 %67 (Pourtier, 2010). La rapidité du phénomène a concouru à la
naissance des problématiques liées à la gestion de ces monstres urbains (Stren & White, 1993 ; Pourtier, 1999). En 1940, le taux d’urbanisation du continent était égal à 10 % de la population totale (données Banque Mondiale). En 2000, celui-‐ci avait plus que triplé,
65 « Petites histoires de nos ordures », diffusée sur Arte en 2011, est une série de documentaires consacrée aux
villes et à leur déchets. Le documentaire en cinq volets raconte les grandes villes à travers leurs ordures, en prenant les exemples de New York, Paris, Le Caire, Rome et Londres.
66 Notamment l’augmentation des déchets plastiques et des déchets dangereux et la diminution de la part des
déchets organiques.
67 Contre une moyenne de 4,2 % pour l’ensemble des pays émergents et en développement et de 1,2 % pour les
l’Afrique68
affichant, en dépit de nombreuses disparités entre les États, un taux moyen égal à 36 % (Pourtier, 2010). « Le taux élevé d’urbanisation dans les pays africains entraîne une accumulation rapide des déchets » (Onibokun, 2001 : 10).
Plus la consommation des ménages est élevée plus la production de déchets l’est consécutivement, comme en témoigne le tableau comparatif de l’ouvrage Développement Durable, les grandes questions, publié en 2001, mettant en perspective le niveau de consommation de trente pays dans le monde et les quantités de déchets générées (OCDE, 2001 : 96).
Bien que les histoires urbaines de Dakar et d’Addis Abäba ne se ressemblent pas, la relation unissant l’augmentation du nombre d’habitants dans une ville et la production croissante de déchets est un indéniable point commun à toutes les grandes villes d’Afrique. Pour n’en citer que quelques-‐unes, le phénomène a été étudié à Ibadan69
(Nigéria), Dar es Salam (Tanzanie) et Abidjan70 (Côte d’Ivoire) par Adepoju G. Onibokun sur une période qui
couvre dix années de l’histoire de ces villes (Onibokun, 2001 : 49 et 90). Le même constat est réalisé à propos d’Antananarivo à Madagascar (Cities Alliance, 2004 ; Pierrat, 2006 : 39).
De Dakar-‐ville à l’agglomération dakaroise
Depuis l’accès à l’indépendance du Sénégal en 1960, la croissance démographique dakaroise a suivi un rythme élevé (figure 5). La région de Dakar présente un taux de croissance démographie important, avoisinant les 4 % depuis les années 1990, même si ce taux est moins impressionnant71 que durant les années qui suivirent l’indépendance.
68 Moyenne de l’Afrique du Nord et de l’Afrique subsaharienne.
69 La ville d’Ibadan, au Nigéria, comptait 3 430 000 habitants en 1992 et 751 000 tonnes de déchets étaient
produites cette année là. En 2000, alors qu’elle compte 430 000 habitants de plus, la production de déchets s’est élevée à 845 000.
70 De même à Abidjan, le volume de déchets produits est passé de 786 575 tonnes en 1990 à 920 895 tonnes en
1995 (Onibokun, 2001 : 49). Durant cette période, la ville a vu le nombre de ses habitants augmenter de 2 millions à 2,5 millions (Direction générale de la coordination technique, Abidjan, Côte d’Ivoire).
71 Entre 1971 et 1976, la ville de Dakar affiche un taux de croissance annuelle égal à 7 % (Vennetier, 1989) tandis que
Figure 5. Graphique de l’évolution de la population de l’agglomération de Dakar
Source : « Situation économique et sociale 2004 et 2010 de la région de Dakar » (ANSD, 2011) ; réalisation A.P., 2012
La croissance spatiale de la ville a suivi la croissance démographique, ce qui n’est pas sans poser des problèmes de gestion et d’aménagement en terme de services publics. Selon Murielle Devey et Mamadou Khouma, à l’origine de cette croissance urbaine se trouvent l’exode rural causé par la sécheresse de 1970 et la crise de l’arachide72
quelques années plus tard (Devey, 2000 ; Khouma dans Piermay & Sarr, 2007). Dakar devient un pole migratoire73
important. Or, à l’origine, l’histoire de Dakar est d’abord liée à Gorée, découverte au milieu du XVème siècle par les Portugais. La ville coloniale est construite plus tard, en 1857. Les premiers travaux débutent au début du XIXème siècle74 notamment autour du port : la ville devient alors
un véritable carrefour. En 1958, la capitale du Sénégal est transférée de St Louis à Dakar est opéré. Au cours de la seconde moitié du XXème siècle, la ville s’étend hors de la pointe,
recouvrant progressivement la presqu’île de vagues successives de constructions urbaines (voir carte détaillée en annexe C). Le Sénégal affiche aujourd’hui un taux d’urbanisation égal
72 L’arachide a été, dès l’indépendance, le poumon de l’économie sénégalaise, assurant 80 % des exportations.
Depuis 1990, la filière de l’arachide est en crise profonde : la production est passée de 800 000 tonnes dans les années 1960 à 500 000 tonnes en 2000. À l’origine de cette crise se trouvent la chute des prix et les difficultés d’accès au crédit agricole qui ont entraîné une réduction considérable des surfaces cultivées. La crise de cette activité a notamment entraîné le déclin de certains centres urbains du bassin arachidier tels que Djourbel ou Kaolack et par là même, l’afflux de nombreux travailleurs dans la capitale.
73 D’après l’enquête EMUS (Enquête Migration Urbanisation au Sénégal) de 1993, six migrations sur dix ont pour
origine ou destination la région de Dakar.
74 Cet élan fût impulsé par la désignation de Dakar comme capitale de l’AOF en 1902, fonction qu’elle conserva
à 42 % (UN, 2011)75, soit le double de ce qu’il était au moment de l’indépendance (23 %),
principalement grâce au développement de sa capitale. La grande métropole ouest africaine contribue donc pleinement à faire du Sénégal un pays plus urbanisé que la moyenne du continent africain (33 % environ pour l’Afrique subsaharienne). La région de Dakar compte 22 % de la population du pays sur une superficie représentant à peine 0,5 % du territoire national (UN, 2009)76. La ville comptait 40 000 habitants en 1926, 236 000 à la veille de
l’indépendance et 860 000 pour la ville seule (Plateau + Medina + Grand Dakar) en 1998 (carte 3).