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En 1989, Gucci, société familiale florentine, est détenue par deux action-naires : Maurizio Gucci, descendant des fondateurs, et la banque d’investis-sement Investcorp. Devenu directeur général, Maurizio décide de revenir aux sources de l’entreprise : luxe et création. Il supprime les licences et les lignes de produits destinés aux grands magasins. La stratégie est désastreuse : avec 60 millions de dollars de perte en 1991, Gucci est au bord du dépôt de bilan. Investcorp se fait de plus en plus pressant sur la gestion car, dans ces conditions, la banque ne peut plus « sortir » de ce placement. Profitant des difficultés personnelles de Maurizio Gucci, elle lui rachète la totalité de ses parts en 1993. En 1995, elle nomme Domenico de Sole, un avocat améri-cain, à la direction générale et Tom Ford comme styliste.

C’est le « miracle Gucci ». De Sole et Ford créent un mix efficace entre créa-tion tradicréa-tionnelle et marketing agressif. Dans le monde entier, Gucci devient la marque branchée. Le chiffre d’affaires et multiplié par deux dès 1995 ! Investcorp peut alors préparer son retrait par introduction en bourse de Gucci.

Elle sera réalisée en 1995 pour 48 % du capital, valorisé à 26 $ l’action.

L’année suivante, 100 % du capital est coté, le cours atteint 80 $. Le capital de Gucci est totalement dilué dans le public.

L’expansion de Gucci se poursuit sous la houlette du couple de dirigeants, devenus des stars du management. Mais, en 1997, la crise fait redescendre le titre à 30 $. Très profitable, Gucci devient alors opéable. En 1998, le Milanais Prada rachète 9,5 % du capital. Début 1999, le géant du luxe LVMH acquiert 5 %, puis rachète la part de Prada et monte jusqu’à 34,4 % du capital. Pour De Sole et Ford, qui s’estiment les sauveurs de Gucci, c’est la fin de l’indépendance de la société. Il faut donc empêcher ce rachat.

En mars 1999, il trouve un « chevalier blanc » : le Français PPR détenu par François Pinault. Celui-ci veut introduire son groupe de distribution (Le Printemps, La Redoute, Fnac) dans le luxe. Il rachète

Sanofi-Beauté-Yves-Saint-© Groupe Eyrolles

Laurent et 40 % du capital de Gucci. LVMH tombe alors à 20 % du capital.

Pour de Sole et Ford, la situation est idéale : LVMH (20 %) et PPR (40 %), devenus concurrents dans le luxe, annulent leur pouvoir d’influence. Les mana-gers peuvent rester maîtres à bord. Ils contrôlent le conseil de surveillance de la société, PPR s’étant interdit par accord d’en nommer le président et la majo-rité des membres.

Mais LVMH s’estime trompé et n’a de cesse de « sortir » du Gucci, devenu stratégiquement inutile. S’ensuivent deux ans de batailles judiciaires car, pour LVMH, l’attribution secrète de 8 millions de stock-options à De Sole et Ford expliquerait leur préférence pour PPR.

Finalement, le 10 septembre 2001, un accord à l’amiable est signé entre les parties. PPR s’engage à racheter 100 % des actions à 101,5 $. LVMH sort donc du capital avec une plus-value estimée à 881 millions d’euros. Les stock-options sont revalorisées de 7 dollars par action. Si l’actionnaire unique, PPR, nomme désormais le président du Conseil de surveillance, l’accord stipule qu’il est flanqué d’un vice-président « indépendant ». D’autres clauses protè-gent le management de Gucci, comme celle qui interdit à PPR d’acquérir une entreprise du luxe sans la proposer à Gucci. De Sole et Ford, qui ont beau-coup œuvré pour « incarner » Gucci, sont les grands gagnants de l’opération.

En mars 2004, Gucci Group, devient filiale à 100 % de PPR. Pour Pinault, l’opération est réussie, mais plus coûteuse que prévue. La lutte pour le pouvoir a érodé la confiance entre les dirigeants et le nouveau propriétaire. La forte personnalité entrepreneuriale de Pinault ne peut se satisfaire de l’indépen-dance du tandem de Sole-Ford. En mars 2004, de Sole et Ford sont conduits à la démission.

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Il fut un temps où, même dans les MBA les plus sérieux, il n’y avait aucun cours portant sur le gouvernement des entreprises. On vivait dans l’illusion que l’entre-prise était un système organisationnel combinant des machines et des humains. Il suffisait de trouver les bonnes décisions et les bons mécanismes de mise en œuvre pour que l’efficacité économique y règne.

Si cette vision n’a pas complètement disparu, elle a été sérieusement mise à mal depuis une bonne décennie : rachats d’entreprises par des concurrents (comme Aventis par Synthélabo ou Moulinex par SEB), banqueroutes soudaines de sociétés qui passaient pour des fleurons du management efficace (comme Swissair ou Enron), modification de stratégie consécutive au changement de dirigeants (comme chez Gucci ou Vivendi) ou d’actionnaires (comme Gemplus ou Daimler-Chrysler).

La vie mouvementée du monde des affaires a révélé une évidence : pour connaître une entreprise, il ne faut pas se contenter des techniques et des processus de mana-gement. Il faut aussi se préoccuper de son actionnariat, de son système de contrôle et de son système de direction générale. C’est cela qui imprime, en effet, la stratégie d’ensemble, la dynamise ou la conduit à l’échec. Il faut donc aussi se préoccuper du gouvernement des entreprises.

Ce chapitre propose une introduction au sujet. Dans la première section, nous définirons les termes et les principes généraux. Dans une seconde section, nous décrirons les pratiques, les institutions et les acteurs qui contribuent au gouverne-ment des entreprises.

L

E GOUVERNEMENT D

ENTREPRISE EN QUELQUES PRINCIPES

Gouvernement ou gouvernance d’entreprise ? On peut lire les deux termes dans la presse comme dans les articles académiques. La notion vient de l’anglais corporate governance. La traduction la plus exacte est « gouvernement des sociétés » qui a le mérite de poser clairement la question : comment gouverne-t-on les entreprises ? On préfère donc parler ici de gouvernement d’entreprise. Reste à savoir de quoi on parle, et c’est le plus important.

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