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Les enjeux du gouvernement d’entreprise

Quel que soit le type d’entreprise (familiale, cotée, grande ou petite), trois enjeux permettent de caractériser le gouvernement des entreprises. Ils se présentent sous forme de trois couples d’opposés : pouvoir discrétionnaire ou contrôle du pouvoir ; intérêts privés ou intérêt général ; information ou secret.

Le pouvoir discrétionnaire du dirigeant, c’est ce qui lui permet de choisir une stra-tégie, une organisation, une alliance, sans devoir rendre compte de son choix : celui-ci reste à sa discrétion. Comme on l’a dit plus haut, être entrepreneur sup-pose l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire large. On ne prend pas une décision risquée, audacieuse ou innovante sans engager fortement sa responsabilité person-nelle. Si l’entreprise ne peut pas se passer de décideurs dotés d’une autonomie décisionnelle, la question est de savoir jusqu’où cette autonomie est acceptable, sans risquer de la mettre en péril. En effet, tant que l’on fait le pari que le dirigeant ne se trompe pas, l’étendue de son pouvoir discrétionnaire ne pose pas de pro-blème. Or l’hypothèse est naïve, comme l’ont enseigné, de manière spectaculaire, les scandales Maxwell, Vivendi, Parmalat, Crédit Lyonnais ou Enron. Qui contrôle suffisamment les décisions pour assurer qu’elles n’engagent pas l’entreprise dans des impasses ? Le réveil de l’opinion sur ces questions a généré de nombreux

« rapports sur le gouvernement d’entreprise » (Cadbury en 1992, en Grande-Bretagne ; Viénot en 1995 et 1999, en France, par exemple).

Or, l’alternative est la suivante : une trop grande faiblesse du pouvoir discrétion-naire du dirigeant menace l’entreprise de paralysie ; pas assez de contre-pouvoir de contrôle la menace d’être victime d’erreurs voire de comportements malhonnêtes.

Il s’agit de trouver un équilibre entre l’autonomie du dirigeant et son contrôle.

Un second enjeu oppose l’intérêt des acteurs de l’entreprise à l’intérêt général.

Depuis les années 1970, la théorie de l’agence a montré que les intérêts du dirigeant et ceux des actionnaires sont assez systématiquement opposés. Par exemple, un choix d’alliance stratégique peut servir plutôt la carrière ou la consolidation du pouvoir du dirigeant que la rentabilité économique de la société à long terme. Par nature, disent les théoriciens, si tous les acteurs économiques sont supposés cher-cher leurs intérêts, on voit mal au nom de quoi le dirigeant, l’actionnaire, le salarié et les différentes parties prenantes de l’entreprise ne chercheraient pas chacun les

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leurs. En conséquence, l’exercice du pouvoir sans contre-pouvoir peut conduire à l’enrichissement ou à la consolidation du pouvoir personnel, à la spéculation ou à la préférence pour des stratégies moins rentables, mais socialement confortables car elles limitent la contestation interne (ce que l’on appelle « l’enracinement »).

Cette vision, notons-le, se fait au nom du libéralisme qui suppose une liberté indi-viduelle régulée par les marchés.

D’autres doctrines ont proposé de privilégier la convergence des intérêts par la dis-cussion, plutôt que leur opposition frontale. C’est ce que défendent la stakeholder theory, la stewardship theory et, de manière plus large, des visions humanistes tradi-tionnelles comme, par exemple, la doctrine sociale de l’Église. C’est aussi la con-ception défendue à l’origine par le droit des sociétés, qui définit l’entreprise comme une « compagnie ». Ces approches considèrent que l’entreprise n’est gou-vernable que dans la mesure où le dirigeant fait converger des intérêts personnels, le sien compris, vers un intérêt collectif, servant l’ensemble des parties prenantes.

C’est là l’essentiel de sa valeur ajoutée. Cela implique, certes, une éthique, mais aussi un partage des pouvoirs, des règles claires et des lieux d’échange et de prises de parole.

Quels que soient les points de vue, le second enjeu majeur du gouvernement des entreprises consiste donc à résoudre le dilemme entre l’opposition des intérêts pri-vés due à la liberté individuelle et la recherche nécessaire de l’intérêt général.

Un troisième enjeu oppose l’information au secret des affaires. Pour qu’une entre-prise fonctionne, il faut que les parties prenantes soient suffisamment informées des décisions qui l’engagent. Comme nous l’avons vu, cela ne signifie pas que tous partagent obligatoirement le contenu des décisions, mais que chacun considère que celui qui a décidé avait les capacités, le droit, les compétences, les moyens, et donc la légitimité pour le faire. Or, tous les acteurs n’ont pas le même accès à l’information. En particulier, le dirigeant contrôle, par nature, les flux d’informa-tion les plus importants. Il y a donc une asymétrie en sa faveur qu’il faut combattre pour s’assurer d’une information partagée juste, complète et finalement crédible.

C’est le rôle des audits, qu’ils soient comptables, financiers ou économiques.

Mais jusqu’où peut-on et doit-on informer ? Les affaires nécessitent aussi un cer-tain secret : par exemple, ne pas communiquer cercer-taines difficultés ou ne pas

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annoncer trop tôt ses ambitions stratégiques parce qu’un compétiteur pourrait en tirer profit. À cela s’ajoute que, au-delà du cas de tromperies manifestes, la véracité d’une information financière ou économique est toujours question d’appréciation.

On a ainsi beaucoup fantasmé sur la transparence de l’information, comme si elle pouvait être absolue sans menacer le fonctionnement même de l’entreprise. Il est vrai qu’en retour, on a beaucoup exagéré l’importance du secret des affaires comme s’il était toujours indispensable, alors qu’il peut cacher une simple incapa-cité à clarifier des données et la logique des décisions prises.

Au total, trop d’information rapportée tue la capacité d’entreprendre ou inhibe les manœuvres stratégiques. Pas assez d’information rend le pouvoir du décideur sus-pect, voire oppressif. Dans les deux cas, sa légitimité se délite. Le gouvernement d’entreprise doit trouver un équilibre entre ces extrêmes.

Les trois couples que nous venons de décrire – pouvoir discrétionnaire ou contrôle, opposition des intérêts ou intérêt général, information ou secret – sont des enjeux invariants du gouvernement des entreprises. On les retrouve quelles que soient la taille, la forme juridique et la structure du capital. Toute la difficulté, mais aussi tout l’intérêt du gouvernement des entreprises est de préciser les limites des pou-voirs et contre-poupou-voirs, pour que l’entreprise soit efficace et pérenne, en trouvant une solution à ces enjeux.

Il est illusoire de définir le « bon » gouvernement, valable pour toutes les entrepri-ses (comme il serait absurde de chercher la « bonne » stratégie applicable pour toute entreprise). Il importe plutôt de connaître le cadre de principes dans lequel on situe le problème. Il dépendra ensuite des situations concrètes, des hommes, des institutions, de l’histoire de l’entreprise, de sa situation économique et financière, de trouver l’équilibre efficace qui assure l’exercice d’un pouvoir légitime car bien compris.

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E GOUVERNEMENT D

ENTREPRISE EN QUELQUES PRATIQUES

Intéressons-nous à présent, à la manière dont se réalise concrètement le gouverne-ment des entreprises. On décrira d’abord les rapports de force entre les principales institutions et les acteurs qui y participent, puis les conséquences des formes de gouvernement sur l’exercice du pouvoir et finalement son management.

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