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Globalisation, crises et politiques publiques en faveur de l’innovation

2.1 La globalisation comme vecteur de crises

Il n’est pas question ici de rouvrir les pléthores de discussions attenantes { la globalisation, nouvelle étape de la mondialisation dont la littérature est déjà très riche, mais de faire un travail de clarification conceptuel (2.1.1), et d’évoquer ce nouveau contexte historique dans ses nouveaux liens { l’innovation et aux évènements d’instabilités (2.1.2).

2.1.1 La globalisation ultime étape de la mondialisation

Plusieurs auteurs évoquent la mondialisation comme un phénomène ancien composé de phases qui jalonnent l’histoire de l’humanité (Grataloup, 2007, Lévy, 2007). Jacques Lévy évoque en ce sens les étapes successives et parfois concordantes de connexion (- 10 000-1400), d’inclusion (1492–1885), d’internationalisation (1849-1914), de mondialisation refusée (1914–1989), d’interdépendance (1945-) et de cosmopolitisation (1989-) (Lévy, 2007).

et d’ancrer les activités innovantes.

La production d’innovations dans un système économique globalisé et néolibéral est d’autant plus capitale que le phénomène massif de désindustrialisation en occident (Bost, 2014, 2017) et la progression des inégalités, dans certaines régions du monde, rappellent que les territoires qui n’ont pas su renouveler le dynamisme de leurs activités sont entrés en déclin, tandis que les plus résistants ou les plus flexibles sont aujourd’hui les plus compétitifs (Davezies, 2010, 2012). Dans le chapitre qui suit, nous verrons ainsi que les liens entre territoire et innovation sont plus étroits et plus complexes { l’heure de la globalisation, dans la mesure où l’enjeu de se protéger de crises potentiellement plus régulières est renforcé.

Dans un premier temps, nous montrerons l’accentuation des liens entre territoire de l’innovation et crise, via le contexte de globalisation financière des économies, qui, synonyme de plus de vulnérabilité influe sur les performances des entreprises comme des territoires (2.1). Ce nouveau contexte d’instabilités renouvelle le champ d’étude des liens entre crise et territoire de l’innovation. C’est pourquoi nous présenterons ici la crise dans ses différentes dimensions, d’abord comme évènement structurel et/ou conjoncturel, puis comme processus spatio-temporel, dans ce qu’il implique comme trajectoires, des impacts aux solutions (2.2). A ce titre, nous démontrerons toute l’importance prise par les politiques en faveur de l’innovation pour se prémunir de ce genre d’évènements (2.3).

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55 Dès lors, on distingue la globalisation en tant que champ s’intéressant { « l’étude et l’analyse des phénomènes affectant le fonctionnement de l’espace terrestre », du découpagetemporel qui différencie la mondialisation, entendue comme « un processus historique d’extension du système capitaliste,» de l’internationalisation en tant qu’« interactions dans la sphère des relations internationales entre états », de la globalisation appréhendée comme « l’ensemble des processus et phénomènes d’interaction entre les milieux naturels et les actions humaines qui affectent le fonctionnement du globe terrestre et qui exigent des réponses globales et coordonnées { l’échelle de la planète » (Carroué, 2007).

Alors, la globalisation doit être envisagée comme la troisième temporalité économique de la mondialisation, celle de l’économie globale avec la domination de la logique financière (Carroué, 2007). Brunet confirme : « la mondialisation est simplement un euphémisme imagé pour évoquer la nouvelle stratégie du capitalisme à partir des années 1970 […] parce que ce n’est pas le marché mondial la nouveauté, c’est « l’économie-casino », financière et spéculative qui possède désormais un terrain de jeu global » (Brunet, 2011, Paragraphe 2). En parallèle de la métamorphose du capitalisme, la globalisation évoque aussi la recomposition du local sous l’effet du transnational (Appadurai, 1996). On y observe en effet une émancipation du capitalisme du cadre national et un renforcement par l’idéologie néolibérale, des politiques de dérèglementation, du poids des actionnaires dans les instances et de la modification de l’organisation des entreprises (Boyer, 1993 ; Aglietta et Moatti, 2000 ; Veltz, 2002 ; Ghorra-Gobin, 2017).

Elle présente néanmoins un certain nombre d’avantages et de défis pour la politique publique (OCDE, 2007a). On rappelle en effet que ce système a été voulu et encouragé dans le but d’une croissance et d’une meilleure intégration mondiale en termes de développement économique (OCDE, 2007a). Parallèlement, grâce au développement des NTIC, la mondialisation a permis l’extension des échanges sociaux, culturels, le développement de ressources immatérielles et une plus grande ouverture commerciale internationale qui, en théorie, participent formellement à la croissance des pays les mieux intégrés (OCDE, 2007a). Au-del{ de l’extension de l’intégration internationale des espaces, du progrès des transports et des télécommunications, de l’extension du commerce et des services, des mobilités des personnes et des capitaux, en sont autant de vecteurs positifs, elle constitue aussi un outil pour régler des problématiques fiscales, environnementales et d’éducation de façon collective et concertée.

2.1.2 Des instabilités inhérentes à la globalisation financière

Par son caractère financier marqué, la globalisation possède aussi des germes d’instabilités qui peuvent déstabiliser l’économie et la société.

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56 En effet, force est de constater que le système financier reste essentiellement une zone de non-gouvernance, un système inégalitaire, rentier et instable par son caractère spéculatif (Carroué, 2007), la globalisation ne peut aboutir à des résultats en termes de développement économique que si elle est maîtrisée » (Gillet et Wagner, 2002, p.16), ce qui souligne la nécessité de « discipliner la finance et de mieux organiser l’internationalisation » (Nivoix et Pépin, 2009, p.19) sous peine de générer de nombreux bouleversements. Malgré ces avertissements, le risque de creusement des logiques d’intégration-fragmentation et de marginalisation-exclusion, d’une globalisation surtout organisée en différents systèmes géoéconomiques et géopolitiques plus qu’en un système unifié, est réel (Carroué, 2007, 2012 ; Lévy, 2007). Ces écarts qui induisent un nombre important de relations territoriales dissymétriques font de la globalisation, une nouvelle ère de la complexité composée de différenciations, de remodelages des relations internationales et financières, de repli et de rejet, mais aussi de systèmes techniques et modes de compétitions de plus en plus intensifs (Veltz, 2007a ; Brunet, 2011).

Mais, la plus forte menace que fait peser le nouveau système de globalisation financière sur l’équilibre de l’ensemble des sociétés et des économies, réside en la désynchronisation potentiellement plus fréquente entre la globalisation financière et la globalisation réelle de l’économie et de l’industrie (Gillet et Wagner, 2002). Le système financier influence en effet directement le système économique et productif avec lequel il s’inscrit en décalage, puisque la finance renvoie { l’accélération des rythmes de l’économie et des flux, tandis que l’économie de la connaissance nécessite du temps pour produire de l’innovation.

Avec la suppression des distances et les progrès des moyens de communication de l’information par les NTIC, la maîtrise du temps et de l’espace offerte par ce nouveau système est un vecteur de puissance (Veltz, 2007a). Dans la société en réseaux, l’espace organise le temps (Castells, 1998). Ce nouveau rapport au temps et { l’espace qui s’est généralisé a induit des mutations fortes du processus d’innovation. Une économie de la vitesse et de l’incertitude s’est en effet constituée (Carroué, 2007), matérialisée par une accélération du temps des marchés et un raccourcissement des cycles économiques et productifs, ce qui a télescopé simultanément les logiques de l’innovation et son vivier de profitabilité. La construction d’avantages différenciatifs par la maîtrise nouvelle de la connaissance en tant que bien économique s’avère désormais plus complexe. Elle implique une différenciation continue en matière de qualité et de variété, et donc un recours constant { la production d’innovations, elle-même organisée via de nouvelles stratégies organisationnelles et collaboratives, soit des temporalités lentes et coûteuses (Vicente, 2005). Ces temporalités évoquent les rythmes de production de connaissance. La production de la connaissance se fait soit via des démarches délibérées de R&D individuelles ou collectives, soit de manière informelle au cours d’un échange (Vicente, 2005). C’est un processus long d’autant plus qu’une fois produite, la connaissance doit être codifiée pour dans certains cas être échangée et ainsi former des opportunités de nouvelles connaissances, dans d’autres être protégée pour éviter d’être copiée, mais

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57 aussi être encouragée par de véritables politiques publiques lui étant favorables. Ainsi, alors que dans la mondialisation les rythmes de l’innovation se sont accélérés sous l’effet des soucis d’instantanéité des profits que présentent l’économie de marché, la construction de connaissance obéit à des étapes de construction, complexes et territorialisées, entre acteurs, entreprises, territoires et institutions, plus nombreux et souvent concurrents (Norel, 2007).

Alors, les risques de la désynchronisation économie financière / économie productive sont pluriformes : sociaux, avec la privatisation de certains secteurs publics, les nouvelles difficultés de la classe moyenne ou encore les migrations, économiques, pour les spécialisations excessives, les délocalisations, l’absence de coordination économique et financière internationale crédible, et financiers par les mouvements de capitaux et investissements internationaux réalisés dans des conditions opaques ou de mauvaises qualités, la croissance du crédit, la formation de bulles spéculatives ou encore les attaques sur les monnaies (Lévy, 2007). Dans l’ensemble de ces cas, les risques de crises potentielles sont importants. Ils tendent à fragiliser les écosystèmes locaux et les territoires de toutes sortes (Davezies, 2012).

La globalisation financière dans laquelle s’imbrique la nouvelle géographie de l’innovation présente donc de nombreux éléments de mutations qui accroissent la complexité des lectures que l’on peut en faire. Le temps de l’instantanéité implique des exigences fortes en termes de réactivité et de flexibilité qui impactent directement les systèmes techniques et les modes de compétitions, devant sans cesse se positionner comme plus innovant sous peine d’être frappés par une instabilité socioéconomique, et donc territoriale, ainsi quedes remises en question brutales et parfois irréversibles d’un point de vue technologique ou politique.

C’est dans ce cadre-là que nous souhaitons questionner la notion de crise, et particulièrement en géographie, pour mieux appréhender les faits économiques de 2007-2008 et leur rapport { l’innovation.