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Chapitre II - Deux territoires insulaires exposés au risque volcanique

1.1.3. Géomorphologie des îles et de leurs massifs volcaniques

Les actions combinées de la géodynamique et du climat ont contribué à façonner la morphologie des deux îles. Elles sont très semblables d’un point de vue structural, constituées chacune d’un massif volcanique en activité - dont la morphologie est typique des volcans boucliers49 - localisé entre deux massifs volcaniques anciens. Elles se différencient en revanche fortement sur le plan morphologique par des formes d’érosion beaucoup plus marquées à La Réunion.

48 Moyenne mensuelle établie à partir de données quotidiennes recueillies de 1960 à 2009.

49 Avec une caldeira sommitale résultant de la coalescence de multiples unités d’effondrement, encadrée par des rift-zones où se concentrent la majorité des fissures éruptives, et de grands glissements de flancs dont on retrouve les traces à terre et en mer.

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La Réunion et le Piton de la Fournaise

De forme globalement elliptique (70 km NE-SW, 50 km NE-SW, pour une superficie à terre de 2512 km²), la portion émergée de La Réunion ne représente que 3% [Averous 1983 ; de Voogd et al. 1999] du volume total du système volcanique de 200 à 240 km de diamètre qui repose sur le plancher océanique à - 4000 m [Oehler et al. 2007]. L’île est composée de massifs volcaniques fortement érodés.

Le massif du Piton des Neiges occupe les deux tiers Nord-Ouest de l’île. Son activité aurait débuté il y a plus de 5 Ma [Smietana 2011] et aurait cessé il y a 12 000 ans [Deniel et al. 1989]. Les deux points culminants de l’île, le Piton des Neiges (3069 m) et le Gros Morne (2992 m) sont des vestiges de l’ancien sommet qui a été disséqué par l’érosion et les mouvements de masse. Il présente désormais trois larges excavations subcirculaires, coalescentes, profondes de plus de 1000 mètres, aux parois verticales appelées remparts : les cirques de Mafate (NW), Salazie (NE) et Cilaos (S).

Le massif du Piton de la Fournaise occupe quant à lui le tiers sud-est de l’île. Son activité a commencé il y a environ 450 000 ans [Gillot et Nativel 1989 ; Merle et al. 2010a ; Smietana 2011]. Il s’est édifié sur les pentes du Piton des Neiges à l’Ouest et sur les restes du volcan des Alizés à l’Est, proto-édifice aujourd’hui démantelé et masqué, globalement situé à l’aplomb du Grand Brûlé [Rançon et al. 1989 ; Bachèlery et Mairine 1990 ; Bachèlery et Lénat 1993 ; Malengreau et al. 1999 ; Lénat et al. 2001 ; Gailler et al. 2009 ; Smietana 2011]. Bachèlery et Mairine [1990] et Bachèlery et Lénat [1993], se basant sur l’existence d’une discontinuité majeure au sein des formations anciennes du Piton de la Fournaise, distinguent deux stades d’édification du massif : le Bouclier Ancien (de 0,5 à 0,15 Ma), et le Bouclier Récent (< 0,15 Ma) qui correspond globalement au volcan actuel et dont la mise en place s’est opérée dans des caldeiras emboîtées : Morne Langevin ( 0,15 Ma), Plaine des Sables ( 0,04 Ma) et Enclos Fouqué ( 0,005 Ma). L’Enclos Fouqué est une caldeira sommitale en fer à cheval, ouverte sur la mer, dont la formation serait attribuée à un mécanisme combiné d’effondrement et de glissement [Merle et Lénat 2003a]50. Elle est délimitée au Nord par le rempart de Bois Blanc, au Sud par celui du Tremblet. Au centre de la partie sommitale de cette dépression, s’est édifié le cône principal actuel du Piton de la Fournaise, large de 3 km, haut de 400 m, qui culmine à 2631 m, avec des pentes moyennes de 15-20°. Son sommet abrite deux cratères principaux emboités : à l’est, le Dolomieu, cratère principal de 1,1 km E-W par 750 m N-S, profond de 350 m ; à l’ouest, le Bory, « pit crater » de 350 m par 200 m pour environ 10 m de profondeur, partiellement effondré dans le Dolomieu. Trois rift-zones convergent dans cette zone sommitale [Lénat et Bachèlery 1990] : une orientée vers Sainte-Rose au NE (N30°), une vers Saint-Philippe au SW (N130°), enfin une vers les Plaines des Cafres et des Palmistes au NW (N120°). Ces plaines constituent des champs de lave issus des éruptions d’une multitude de puys dont les produits ont partiellement recouvert l’ensellement des massifs des Pitons des Neiges et de la Fournaise, il y a quelques centaines à quelques dizaines de milliers d’années [Bachèlery 1981].

Les deux massifs sont largement érodés par des rivières qui les ont incisés sur plusieurs centaines de mètres de profondeur, et par un important réseau de ravines plus superficielles51. Cette forte érosion (3ème

taux au monde avec environ 800 tonnes de terrains érodés à l’hectare chaque année [Raunet 1991]) est imputable au ruissellement intense engendré par les fortes précipitations et à la nature des formations

50 Le débat reste vif sur ce point. Selon Lénat, Bachèlery, & Merle [soumis], l'origine des failles limitant l'Enclos et la Plaine des Sables et de celles présentes dans les Grandes Pentes reste discutée. Des failles liées à la formation d'une caldeira sont clairement identifiées dans la partie ancienne du Piton de la Fournaise [Merle et al. 2010b]. En revanche, la nature des failles en bordure d'Enclos et de Plaine des Sables (failles de glissement ou d'effondrement caldeirique) est encore discutée [Merle et Lénat 2003b ; Michon et Saint-Ange 2008 ; Bachèlery et Michon 2010].

géologiques (fracturées, peu cohésives, altérées…).

L’activité récente du volcan s’est principalement cantonnée à des éruptions effusives dans la zone sommitale et le long des rift-zones NE et SE (rift-zones qui ne sont pas aussi productives que le sont celles du Karthala), et à quelques paroxysmes explosifs associés à une activité phréatique ou phréatomagmatique affectant les cratères sommitaux.

Figure 5 - Carte morpho-structurale de La Réunion (fonds de carte IGN BD-Raster 2008 ; coulées d’après données de Servadio [2011] ; rift-zones d'après Bachèlery & Mairine, 2006)

La Grande Comore et le Karthala

La Grande Comore est la plus grande (65 km N-S, 25 km E-W, 1024 km²) et la plus haute (2361 m d'altitude) des îles de l’archipel des Comores. Sa morphologie montre qu’elle est également la plus jeune

[Savin et al. 2005]. Elle est en effet constituée de massifs volcaniques très peu érodés.

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éruption plusieurs fois ces derniers millénaires, probablement avec une fréquence centennale ou millénale, et une nouvelle éruption ne peut pas être exclue considérant l’âge relativement récent des précédentes éruptions (1300+65, 740+130, et 625+130 B.P.) mais sa probabilité est très faible [Bachèlery et Coudray

1993 ; Class et al. 1998].

A l’extrémité sud-est, le Badjini est un massif plus ancien, densément fracturé et altéré, considéré comme appartenant au Karthala ancien [Bachèlery et Coudray 1993 ; Bachèlery 1999].

Enfin, occupant les deux tiers méridionaux de l’île, le massif du Karthala est le seul volcan actif à l’heure actuelle. Il s’agit d’un volcan bouclier basaltique de type hawaiien haut de 2361 m, dont le diamètre au niveau de la mer avoisine 30 km [Strong 1972]. Ses pentes, en moyenne de 20%, varient de 12% au nord à 30% au sud. Sur les flancs méridionaux et orientaux, ces fortes pentes, associées à des morphologies concaves, sont interprétées comme les têtes de glissement de larges glissements de flancs, typiques des volcans-boucliers hawaiiens [Bachèlery 1999].

Les principaux traits structuraux du Karthala sont liés à l’existence de deux rifts zones, diamétralement opposées de part et d’autre d’une caldeira sommitale [de Saint-Ours 1958 ; Esson et al. 1970 ; Strong et Jacquot 1970 ; Upton 1982 ; Savin et al. 2001], (Figure 6). Cette caldeira elliptique mesure 3,5 km dans son axe N-S pour 2,8 km dans son axe E-O. Sa structure polylobée, en forme de trèfle, est due à une série d'effondrements qui ont eu lieu au cours de son histoire éruptive préhistorique [Lacroix 1920 ; Pavlovsky et Saint-Ours 1953 ; Strong et Jacquot 1970]. Ses murs, subverticaux à verticaux, mesurent une centaine de mètres de hauteur, mis à part au niveau de la Porte d’Itsandra, échancrure qui forme une ouverture vers le Nord [Strong et Jacquot 1970], échappatoire potentielle pour les coulées de lave générées dans la caldeira. Le centre de la caldeira est occupé par un cratère d’environ 1,4 par 0,8 km de diamètre pour 290 m de profondeur appelé Choungou Chahale (« cratère ancien ») [Savin et al. 2001]. Un pit-crater, le Choungou Chagnoumeni, (« cratère nouveau ») occupe le lobe nord de la caldeira. Initialement profond de 150 mètres, il a progressivement été complètement comblé par les laves.

Des cônes adventifs, moins fréquents au Karthala qu’à la Grille, se sont principalement mis en place selon et autour des rifts zones sur les pentes septentrionales et méridionales du Karthala [Strong 1972]. Ces rifts zones (orientées N-S au Nord, et NO-SE au Sud) sont des structures à prendre très sérieusement en considération dans l’étude du risque volcanique car elles favorisent l’ouverture de fissures et l’épanchement de coulées loin du cratère, dans des zones où sont concentrées les activités humaines. Elles ont été le siège de la grande majorité des éruptions durant la période historique [Bachèlery et Coudray 1993]. Des événements excentriques peuvent également se produire, comme en avril 1977 sur le flanc SSO. Du fait de leur proximité aux zones habitées, ils représentent une menace décisive pour les enjeux.

Contrairement aux croyances populaires exprimées en Grande Comore (et beaucoup plus rarement à La Réunion), l’activité du Piton de la Fournaise et celle du Karthala ne sont pas liées l’une à l’autre. Ils produisent en revanche des dynamismes éruptifs (et aléas associés) très similaires, caractéristiques des volcans boucliers. Le risque s’exprime pourtant différemment sur les territoires réunionnais et comorien, notamment en raison de vulnérabilités très différenciées.

Figure 6 - Principales unités structurales de Grande Comore (modifié d’aprèsBachèlery et Coudray [1993] ; fonds : MNT SRTM 90 ; coulées d’après données Nassor [2001])