• Aucun résultat trouvé

Chapitre I - Gestion des risques et des crises volcaniques

2.2. L A GESTION COMPLEXE DES RISQUES ET DES CRISES VOLCANIQUES

2.2.1. Un arsenal de mesures préventives

Des prévisions marquées par une forte marge d’incertitude

La prévision des éruptions volcaniques repose sur la connaissance d’éléments fondamentaux :

- la périodicité des éruptions et leur probabilité d’occurrence pour un type d’éruption donné (annuelle à pluri-millénale) ;

- une fois l’éruption probable, le moment de son déclenchement et sa durée ;

- le type d’éruption attendu, son intensité et les changements de régime éruptif susceptibles de survenir en cours d’éruption (notamment le passage à des phases paroxysmales) ;

- l’étendue probable des dommages.

Ces éléments relèvent à la fois d’une compréhension fine de l’édifice, des processus éruptifs et des enjeux exposés (prévisions sur le long terme) et de la qualité de la surveillance volcanologique lorsqu’une éruption se prépare (prévisions sur le court terme).

L’étude de l’histoire des volcans est la clef de voûte de la prévision au long terme. La connaissance de leur passé éruptif (à travers des études stratigraphiques, historiographiques,…) permet de comprendre leur fonctionnement (en nature et intensité) et de déterminer des périodes de retour par type d’événement. Des scénarii et cartes des zones exposées peuvent alors être proposés.

Les modélisations désormais disponibles pour la prévision des éruptions sont capitales pour la prévention et la gestion des zones à risque [Schneider 2009], elles permettent d’affiner ces scenarii. Les arbres d’événement (event trees) constituent un autre outil fondamental de la prévision au long terme. En répertoriant graphiquement les différents scenarii envisagés, ils doivent permettre de mieux prévoir le réveil, visualiser d’emblée les différentes évolutions d’activité possibles, et au final de réagir de façon plus appropriée lorsque la crise se présente. Le logiciel BET-EF (Bayesian Event Tree for Eruption Forecasting)

[Lindsay et al. 2009 ; Sandri et al. 2009 ; Marzocchi et al. 2010 ; Selva et al. 2010] permet désormais de les

concevoir automatiquement en rentrant dans une base de données les paramètres disponibles sur le passé éruptif du volcan et la surveillance en cours. Il est ainsi censé résoudre l’épineux problème de la détermination du moment exact du réveil mais aucun exemple concret n’a encore permis de tester son

G es tio n d es ri sq ue s et de s cri se s vo lc an iq ue s efficacité.

Ces scenarii ne seraient pas valables sans le développement de cartes de menaces de plus en plus précises, elles aussi devenues essentielles à la gestion. Elles portent sur les aléas, les enjeux, les zonages réglementaires, le risque, mais également les représentations du risque acquises par le biais d’enquêtes

[Leone et Lesales 2009]. Ces cartes peuvent évoluer rapidement en cas de modification du comportement

éruptif du volcan. A Montserrat, elles ont été revues à plusieurs reprises depuis 1995 en fonction des directions prises par les coulées pyroclastiques.

Si ces méthodes ne fournissent pas de réponses toutes faites pour faire face aux crises, elles permettent cependant de planifier précisément la gestion des crises ou de limiter les cas d’interprétation litigieuse quand une crise se présente.

A court terme, la surveillance instrumentale

La prévision des éruptions à court terme et le suivi de leur évolution une fois qu’elles sont en cours est tributaire de méthodes permettant la détection de signes précurseurs et le suivi de l’activité. La surveillance est assurée par des observatoires volcanologiques. En France, celle des volcans actifs d’Outre-Mer est à la charge de l’Institut de Physique du Globe de Paris (dont dépendent les observatoires volcanologiques de la Soufrière en Guadeloupe, de la Pelée en Martinique et de la Fournaise à La Réunion), tandis que l’Observatoire de Physique du Globe de Clermont gère celle des volcans d’Auvergne, considérés comme actifs. Les services d’observation pérennes implantés sur les volcans français sont établis dans le cadre du Service National des Observations en Volcanologie (SNOV) mis en place par l’Institut National des Sciences de l’Univers (INSU - CNRS).

Le suivi de la sismicité permet de surveiller l’ascension du magma en étudiant la progression de la fracturation (matérialisée par les séismes volcano-tectoniques) et le mouvement des fluides (à travers les trémors et séismes longue période) qui accompagnent les crises éruptives. Elle est opérée grâce à des réseaux de stations sismiques réparties sur les flancs des volcans. Avant une éruption la mise sous pression de la chambre magmatique provoque le gonflement de l’édifice qui se traduit par des déformations. De nombreuses méthodes manuelles et/ou automatiques (nivellement, inclinométrie, extensométrie, géodésie spatiale, interférométrie radar, etc.) permettent de les mesurer. Les mesures sismiques et des déformations sont les méthodes les plus utilisées - et les plus fiables à l’heure actuelle - pour détecter la survenue d’une éruption à court terme. La surveillance géochimique peut également apporter des éléments décisifs pour déterminer le dynamisme éruptif en jeu (notamment en repérant si l’éruption sera ou non magmatique). Les mesures de concentration des gaz et des eaux se font sous forme d’échantillonnages manuels ou par l’intermédiaire d’une instrumentation permanente in situ ou de calculs de concentrations à distance (COSPEC - ou spectromètre de corrélation - pour mesurer à distance les flux de SO2 dans les panaches par exemple). Enfin, tout un éventail de méthodes géophysiques (micro-gravimétrique, magnétique, électrique, thermique, décrites en détails par Lénat [2003]) sont également disponibles. Elles ne suffisent toutefois pas à surveiller des édifices dans l’état actuel des connaissances mais complètent efficacement les méthodes précitées.

Malgré des méthodes de plus en plus éprouvées, la surveillance volcanologique reste limitée. Le premier obstacle est la difficulté à mettre en place des réseaux de surveillance du fait de leur coût élevé, de l’accès parfois difficile dans le cas de vastes édifices, ou simplement d’une lacune de connaissance concernant la menace qu’ils exercent. Le nombre de volcans surveillés dans le monde reste ainsi restreint : 160 sur les quelque 600 volcans actifs émergés [Robin et Lardy 2003]. L’attention se porte essentiellement sur les

volcans proches de grandes agglomérations (mégalopoles), ceux qui ont marqué les esprits par une crise importante, ou encore ceux plus isolés qui menacent la sécurité aérienne16. L’actualité récente a montré que des volcans considérés comme éteints - donc non surveillés - pouvaient se manifester brutalement. Le Chaiten a ainsi produit sa première éruption historique en 2008 au Chili, classée comme événement catastrophique avec 8000 personnes affectées [CRED 2010]. Le Sinabung est à son tour entré en éruption à Sumatra en 2010. Dans ce type de situation, des observatoires peuvent être improvisés en quelques semaines comme ce fut le cas au moment de l’éruption du Pinatubo en 1991. « - connus où des appareils de surveillance ont été déployés en nombre suffisant, on a pu déceler le réveil du volcan au moins une semaine avant l’éruption » [Kert 1999]. Il faut préciser que si les pays développés sont dotés de réseaux de surveillance performants, les pays en développement souffrent de grandes carences et restent souvent dépendants d’une coopération avec des pays développés (tant sur le plan matériel que celui des ressources humaines/savoir-faire). Le développement récent de la télédétection ouvre à ces égards des perspectives considérables puisqu’on peut désormais surveiller à distance un site non instrumenté sur le terrain [Lénat 2003].

Le second obstacle majeur réside dans l’incertitude scientifique, qui se répercute dans les prises de décision en matière de protection civile. La multiplicité de paramètres qui entrent en jeu dans la surveillance et l’absence d’une connaissance suffisamment parfaite (du site et des processus volcaniques) rendent la prévision complexe. A tel point que des divergences apparaissent parfois entre scientifiques sur l’interprétation des résultats, qu’ils soient obtenus à l’aide d’une méthode donnée ou de méthodes complémentaires. L’exemple le plus marquant à ce jour reste sans doute le désaccord qui a opposé H. Tazieff à C.-J. Allègre au moment du réveil de la Soufrière de Guadeloupe en 1976.

Quoi qu’il en soit, l’amélioration des prévisions ne se fera qu’au prix d’une évolution des réseaux de surveillance17 et d’une connaissance plus précise des conditions magmatiques et éruptives (l’une alimentant l’autre).

L’alerte

Lorsqu’un ou plusieurs paramètres faisant l’objet de la surveillance évoluent, les scientifiques transmettent l’information aux autorités18, qui peuvent décider de l’activation des niveaux d’alerte destinés à mettre en éveil les populations aussi bien que les autorités à tous niveaux. Certains seuils (propres à chaque méthode de surveillance et spécifiques à chaque édifice) marquent la nécessité du passage à un degré d’alerte supérieur. Dans la plupart des cas, six niveaux d’alerte ou moins sont employés pour définir les différents états d’un volcan, du repos au réveil brutal [Newhall 2000]. Des terminologies (vigilance volcanique, alerte, éruption imminente, éruption en cours, etc.) et codes (de couleurs, numériques, ou alphabétiques) y sont associés.

16 Un panache de cendres n’est détectable ni visuellement par les pilotes ni par les radars des avions qui ne les distinguent pas des autres nuages. Une surveillance spécifique destinée à assurer la sécurité aérienne en déroutant des avions ou en fermant des espaces aériens est donc indispensable. L’Organisation Civile Internationale de l’Aviation a chargé neuf VAAC (centres d’alerte aux cendres volcaniques, chacun responsable d’une portion de l’espace aérien mondial), de détecter les nuages de cendres et prévoir leurs trajectoires à l’aide de modèles de dispersion. Le centre Météo France de Toulouse assume cette fonction pour l’espace aérien recouvrant l’Europe (Royaume-Uni excepté), l’Afrique, le Moyen-Orient, jusqu’aux frontières orientales de l’Inde, la moitié occidentale du territoire russe. Les observatoires volcanologiques concernés par des éruptions sont en lien étroit avec les VAAC.

17[Robin et Lardy 2003] notent que cette évolution se fera autour d’une combinaison d’éléments : miniaturisation et extension des nouveaux capteurs, accroissement de la fiabilité, automatisation des réseaux de mesures sur le terrain et par le développement des observations satellitaires.

18 Des systèmes d’alerte existaient toutefois avant l’existence des moyens de surveillance modernes : aux Champs Phlegréens par exemple, l'alerte était donnée par les marins lorsqu'ils entraient dans le port de Pouzzoles. Ils savaient que le sol s'était soulevé quand ils n'arrivaient plus à amarrer leur bateau, le quai était trop haut.

G es tio n d es ri sq ue s et de s cri se s vo lc an iq ue s

Le plus haut niveau d’alerte, correspondant à une éruption en cours, peut lui-même être subdivisé en fonction de la phénoménologie éruptive et des impacts redoutés (et donc des mesures de protection que cela appelle). Il ne signifie pas la même chose d’un édifice à l’autre : une alerte rouge au Piton de la Fournaise n’aura pas les mêmes implications qu’une alerte de même niveau à la Soufrière de la Guadeloupe car les conséquences attendues diffèrent fortement. Il est à noter que la mise en alerte, théoriquement graduelle, peut s’effectuer brutalement, directement au stade le plus haut, si les prévisions n’ont pas tenu leur rôle. Toute alerte s’accompagne théoriquement de la divulgation des consignes spécifiques à suivre pour se protéger le plus efficacement possible de la menace encourue. Généralement, les niveaux d’alerte les plus élevés sont synonymes d’évacuation des populations.

Des mesures de protection multiples

Sur le plan individuel comme collectif, un certain nombre de réponses peuvent être apportées pour se prémunir ou se protéger de la menace volcanique, que ce soit en traitant directement l’aléa ou en agissant sur ses effets. Ces mesures s’envisagent et s’appliquent différemment selon les aléas (Tableau 2), rappelant la complexité de l’essence multi-aléas du risque volcanique.

Par ailleurs, pour tous les types d’aléas sans exception, une bonne gestion repose sur une information préventive qui permette aux populations d’améliorer leur compréhension des phénomènes éruptifs, des impacts potentiels, et leur connaissance des mesures à suivre pour se protéger. Elle doit aussi favoriser une meilleure compréhension et acceptation des mesures imposées par les autorités, notamment lorsqu’il s’agit d’évacuer. Au final, l’information préventive est censée accroître la capacité de réponse des populations et réduire les impacts sociaux [Johnston et Ronan 2000]. Sa diffusion se fait de l’échelle locale (parfois dans des petits villages isolés) à l’échelle internationale (les mesures à suivre pour se protéger des cendres sont décrites dans des livrets traduits dans sept langues et largement diffusés dans le monde par l’International Volcanic Health Hazard Network: http://www.ivhhn.org/pamphlets.html).

Tableau 2 - Les mesures de protection et d’alerte face aux aléas volcaniques

Aléa

Types de protection :

mesures destinées à réduire l’aléa

mesures structurelles destinées à réduire les impacts des aléas mesures individuelles destinées à réduire les impacts des aléas systèmes de surveillance / d’alerte spécifiques à un aléa donné

Coulées de lave

Edification de levées pour les stopper ou détourner [Lockwood et Romano 1985 ; Barberi et al. 1993 ; Barberi et al. 2003]. Exemple : Zafferana, sauvé des coulées de 1992 sur l’Etna grâce à l’édification de levées de 21 m qui ont stoppé la lave 4 semaines avant d’être débordées [Blong 2000]

Refroidissement du front par aspersion d’eau [Williams et Moore 1983] à Heimaey en 1973, semi succès qui a permis d’épargner le port et certaines habitations ; tentative ratée sur la rift-zone orientale du Kilauea en 1986-87

Utilisation d’explosifs pour détruire les levées créées par les coulées et qui les canalisent ou obstruer les tunnels [Barberi et al. 1993] : contribution au succès de Zafferana en 1992, échec à Hawaii en 1975

Maisons sur plateformes amovibles (Hawaii)

Lahars

Ouvrages Sabo Dam pour les canaliser, réduire leur énergie, arrêter les gros blocs et piéger les sédiments (Sakurajima, Usu, Unzen, Merapi, Galunggung, Saint Helens), bassins de rétention

Vidange de lacs de cratères via des galeries-déversoirs (Kelut, Spirit Lake [Blong 2000], Kawa Ijen) Revégétalisation des pentes recouvertes de tephra

Ponts là où les voies de communication coupent des chenaux

Systèmes de détection (acoustique, vidéo, sensibles aux vibrations ou jauges situées en amont) couplés à des systèmes d’alerte dans les vallées [Lavigne et al. 2000b]

Coulées

pyroclastiques Bunkers de refuge quand l’évacuation n’a pas été possible (Merapi, Indonésie) Retombées de

blocs

Abris anti-blocs (près des habitations au Sakurajima [Blong 2000], pour les randonneurs au sommet du Stromboli)

Port du casque aux abords de l’évent éruptif

Retombées de tephra19

Maisons résistantes aux retombées (toits fortement inclinés et disposition spécifique des tuiles pour empêcher l’accumulation de dépôts [Blong 2000])

Balayage des toits pour éviter les surcharges Protection et assainissement des réserves d’eau Protection des voies respiratoires et des yeux

réseau des VAAC (cf. note de bas de page n°16, p. 28)

Dégazage

Systèmes de tuyaux pour forcer le dégazage progressif des eaux profondes vers la surface dans les lacs présentant une menace d’éruption limnique (Monoun, Nyos [Halbwachs et al. 2004 ; Kling et al. 2005])

Protection spécifique des voies respiratoires aux abords de l’évent éruptif (masque à gaz) Préservation des réserves d’eau des pluies acides

Systèmes de mesure des concentrations en gaz au Nyos et au Monoun dotés d’alarmes en cas de dépassement d’un seuil critique [Clarke 2001]

Tsunamis Reconnaissance de précurseurs spécifiques (retrait de la mer, changements de niveau, de couleur et

d’odeur de l’eau des puits [Morin et al. 2008]), capteurs de pression et systèmes d’alerte littoraux

Sismicité

associée Normes parasismiques

19 La réduction des conséquences des retombées de tephra compte parmi les objectifs prioritaires de la réduction des risques volcaniques [Blong 2000]. C’est l’aléa volcanique qui menace le plus grand nombre d’individus et de structures de par le monde.

G es tio n d es ri sq ue s et de s cri se s vo lc an iq ue s

Les nombreuses réponses envisageables n’assurent souvent qu’une protection partielle face aux menaces volcaniques pour plusieurs motifs :

- Elles peuvent être défaillantes. Au Mayon, des lahars sont parfois passés du mauvais côté des barrages censés les contenir. De nombreux ouvrages de ce type ont également été mis en échec autour du Pinatubo en 1994 [Blong 2000]. En 2006, au Merapi, des habitants du village de Turgo sont morts piégés dans les bunkers censés les protéger de coulées pyroclastiques [Gertisser et al. 2011].

- Elles ne sont pas multi-aléas alors qu’un volcan se contente rarement de produire un seul type d’aléa au cours d’une éruption.

- Elles sont dimensionnées pour des événements de taille modérée. Etant données les puissances en jeu, les solutions de protection sont dérisoires lorsqu’une éruption cataclysmale se déclenche.

- Elles sont envisagées uniquement lorsque la menace est connue, ce qui n’est pas toujours le cas. Par ailleurs, Blong [2000] souligne la faiblesse des retours d’expérience post-éruptifs qui devraient permettre d’analyser les performances des infrastructures et réseaux et développer des codes de construction comme dans le cas du risque sismique (notamment pour réduire l’impact des retombées de tephra). - Même lorsqu’elles sont prescrites, le niveau de développement socio-économique des communautés ne

permet pas toujours de les mettre en place ou de les appliquer correctement dans la mesure où elles sont coûteuses et parfois techniquement complexes à mettre en œuvre. Parfois leur mise en place avec les moyens locaux sous forme dégradée peut même conduire à une aggravation de la menace (digues mal construites menaçant de céder…).