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Chapitre I - Gestion des risques et des crises volcaniques

2.2. L A GESTION COMPLEXE DES RISQUES ET DES CRISES VOLCANIQUES

2.2.2. Des mesures inadaptées aux réalités socio-économiques

Choix et refus d’évacuation

Le plus souvent l’évacuation des zones exposées reste le plus sûr moyen de mettre les populations en sécurité lorsqu’une crise éruptive se manifeste. Le recours aux évacuations et relocalisations de populations est devenu de plus en plus commun au 20ème siècle, notamment grâce aux progrès de la surveillance volcanologique et des pratiques de gestion du risque [Tobin et Whiteford 2002], à une conscience accrue des risques volcaniques, à la volonté dans beaucoup d’endroits d’entreprendre des procédures de protection civile coûteuses et continues, et en lien avec l’accroissement des populations dans les zones à risque [Chester et al. 2001]. Les Philippines, l’Equateur, l’Indonésie, et l’Italie sont les pays qui totalisent le plus grand nombre d’évacués [Witham 2005]. Ces procédures ont permis d’éviter la survenue de catastrophes majeures comme celles de la Montagne Pelée ou, plus récemment, du Nevado del Ruiz.

Les évacuations ne sont pas pour autant toujours positives. Elles ont en premier lieu un impact important sur le quotidien des évacués forcés à abandonner leurs biens et parfois leur cheptel et animaux domestiques (avec les possibilités de pillage et de pertes induites). En plus de constituer un processus souvent traumatisant psychologiquement, une évacuation rend souvent la population concernée excessivement vulnérable. La limitation de l’accès habituel aux ressources liée aux zones de restriction les place en situation de vulnérabilité socio-économique accrue (perte temporaire voire définitive des moyens de revenu, des réseaux sociaux, etc.). L’entassement des évacués dans des abris bondés fait peser une menace sanitaire, y compris avec les ressources actuelles de l’aide internationale. A cela, s’ajoutent le coût économique élevé supporté par la société et des enjeux politiques forts.

Pour ces raisons, une évacuation est rarement bien acceptée, que ce soit par les populations qui la subissent, ou les autorités qui doivent prendre la décision de la décréter et tenter de la faire respecter pour minimiser les dommages potentiels. Elle l’est d’autant moins qu’elle est durable et/ou qu’elle n’est pas suivie d’une crise éruptive. Robin et Lardy [2003] décrivent comment 20 000 habitants évacués des flancs du Tungurahua en 1999 ont commencé à regagner progressivement leurs villages au bout de trois mois contre l’avis des autorités. La décision d’évacuer était motivée par la forte probabilité d’une activité fortement explosive, qui ne s’est finalement produite qu’en 2006. Des crises bradysismiques aux Champs Phlégréens en 1983-84 ont conduit à deux reprises à l’évacuation des 40 000 habitants de la ville de Pozzuoli, avant que tout redevienne calme. Une évacuation « non justifiée » peut avoir des conséquences désastreuses, avec une perte de confiance (des populations envers les autorités et/ou les scientifiques, et des autorités envers les scientifiques), potentiellement synonyme de réticence ou refus d’évacuer ou de faire évacuer en cas de nouvelle crise. Justifiée ou non, « il a de toute façon été maintes fois prouvé que les meilleures explications du monde ne pouvaient convaincre les populations du bien-fondé des décisions d’évacuation » [Kert 1999].

Reste que, dans certains cas, l’incertitude scientifique est loin de constituer le principal obstacle aux choix formulés par les autorités. En 1902 à la Montagne Pelée, les politiques auraient décidé de ne pas faire évacuer pour maintenir la population en ville à l’approche des élections. Une politique des urnes payée au prix fort : 92 000 morts, deux survivants [Chrétien et Brousse 2002].

La légitimité populaire à l’assaut de la gestion technocratique des risques

Au-delà de l’exemple de la Pelée en 1902, l’exemple du Tungurahua précédemment cité est très symptomatique de l’absence d’adaptation des mesures imposées aux populations. Ces mesures ne prennent en compte que les besoins jugés primaires (un abri provisoire, de l’eau et de la nourriture). Elles négligent les questions essentielles de l’accès aux moyens de subsistance, de l’attachement au lieu, du maintien des activités habituelles, des réseaux sociaux et règles coutumières, de l’incapacité pour les individus à maintenir un état d’alerte permanent avec une perception adéquate du danger alors qu’aucune situation de danger immédiat ne se présente à eux, de la précarité des hébergements temporaires (absence d’intimité, risques sanitaires…), etc. Au Tungurahua, le retour dans les villages s’est notamment fait sous la pression des petits agriculteurs [Robin et Lardy 2003], comme dans beaucoup d’autres cas d’études, que la menace soit d’origine volcanique ou non. Privés de leurs moyens de subsistance, ils sont logiquement les plus prompts à refuser une évacuation de longue durée et tenter des retours en zone interdite. La nécessité d’un retour aux activités « normales », a, quelques mois plus tard, entraîné le retour des acteurs du tourisme (engendrant au passage une reprise problématique de la fréquentation touristique, la population de certains villages situés dans les zones les plus exposées triplant le week-end). Le retour des premiers habitants dans les zones menacées s’est fait au prix d’affrontements violents avec les forces de l’ordre ; la « population, ne reconnaissant plus aucune autorité, municipale ou provinciale, s’est organisée elle-même, dans l’éventualité d’une recrudescence de la crise volcanique ».

La gestion des risques volcaniques n’échappe pas au penchant de l’approche technocratique top-down. Les mesures ne sont pas toujours très bien reçues par les populations, concernées au premier chef mais rarement consultées dans les phases d’élaboration et de conception des plans ou projets. Aussi, se dotent-elles parfois de moyens de gestion autonomes en parallèle ou en remplacement de ceux adoptés par les autorités. Elles s’appuient pour cela sur leur représentation individuelle ou collective du risque et des logiques propres (relevant des croyances, de la hiérarchie communautaire, etc.).

G es tio n d es ri sq ue s et de s cri se s vo lc an iq ue s

Dans de nombreux pays, la volonté de réduction des aléas passe par la prière ou des offrandes faites aux esprits qui habitent les volcans. Le Bromo (Indonésie) est un lieu de pèlerinage hindou où des offrandes sont faites pour apaiser l’esprit du volcan20. La logique veut donc que la coutume attire les fidèles au lieu de les éloigner quand une crise est annoncée par les volcanologues [Grelou 1963].

La confiance des populations (pour la prévision et/ou les décisions à suivre) peut être accordée à une figure locale à qui sont attribués des compétences ou pouvoirs (politique, mystique…). Les habitants des pentes du Merapi l’accordent à Mbah Marijan, un vieil homme qui incarne le gardien des clefs du volcan (« juru kunci ») et est censé communiquer avec les esprits de la montagne. En 2006, tout en recommandant de respecter l’évacuation ordonnée par les autorités, il a lui-même refusé d’évacuer pour rester en contact spirituel avec le volcan et tenter de limiter les destructions. Alors que les habitants d’autres villages avaient fui avant même l’ordre officiel d’évacuation, ceux de Kinahrejo, le village de Mbah Marijan, faisant confiance au vieil homme et se sentant protégés, ont également refusé d’évacuer [Lavigne et al. 2008].

Enfin, certains individus ont parfois la certitude qu’ils comprennent mieux les choses que les scientifiques du fait du rapport intime qui les lie à leur volcan. Ils sont alors convaincus du bien-fondé de leur analyse personnelle (y compris lorsqu’elle est très éloignée de la réalité volcanologique) et des réactions à adopter pour faire convenablement face à la situation. Cela peut mener à des comportements inadaptés, du refus d’évacuer aux évacuations spontanées qui peuvent s’avérer extrêmement complexes à gérer21.

Il n’en reste pas moins vrai que leur pouvoir d’observation leur sert parfois efficacement de technique de surveillance : sur les flancs du Semeru (Indonésie), certaines personnes âgées sont capables de distinguer une coulée pyroclastique d’un lahar au bruit qu’ils font en s’écoulant en amont dans la vallée ; l’observation de comportements inhabituels chez les animaux peut servir de signal d’alerte.

Les recherches au cours des années 1980-90 ont montré que la majorité des populations n’engagent pas les mesures auto protectrices préconisées par les autorités en dehors des périodes de crise [Johnston et

Ronan 2000]. Les éléments précédemment énoncés participent sans doute de cette observation (confiance

parfois accordée aux Dieux, à un intermédiaire choisi, à eux-mêmes plutôt qu’aux autorités officielles). Une raison essentielle réside aussi dans le fait que les populations cherchent le moyen de minimiser les désagréments quotidiens plutôt que des événements hypothétiques à plus ou moins long terme. Il est illusoire de vouloir proposer ou imposer des mesures qui, du fait d’une précarité quotidienne, sont déconnectées et inapplicables.

Les autorités de certains pays commencent tout juste à prendre conscience de ce décalage, sans toujours chercher à comprendre pourquoi elles ne sont pas entendues. En Indonésie, la création en 1990 d’un faux « juru kunci » (Mbah Ronggo), à la botte des autorités, était censée faciliter l’acceptation des évacuations au Kelut. La stratégie s’est soldée par un échec en 2007, les populations n’étant pas dupes et ne reconnaissant pas ce gardien des clefs politique [De Bélizal et al. 2012].

Si le respect des spécificités socio-culturelles des populations, essentiel à toute gestion de crise, commence à être pris en compte, le décalage dans sa mise en application est édifiant. Les populations, qui

20 Ce cas d’étude est d’ailleurs intéressant au regard de la thématique de l’accès aux ressources que nous développons dans cette thèse. Les hindous jettent entre autres des bouquets de fleur et de la nourriture dans le cratère pour apaiser l’esprit du volcan. Quelques individus d’autres confessions religieuses descendent alors récupérer les offrandes – jusque dans des zones très escarpées – pour leur consommation personnelle ou les vendre aux touristes montés observer le panorama, à qui l’on conte qu’une offrande jetée au volcan porte bonheur. Les vendeurs redescendent alors la chercher et ainsi de suite... Un véritable business s’est monté autour de ces allers-retours intracratériques…

21 Evacuations spontanées de plusieurs centaines de milliers d’habitants de Goma pendant l’éruption du Nyiragongo en 2002 : une action clef des autorités a été de purifier dans l’urgence les réserves d’eau pour réduire les risques d’apparition du choléra [Baxter et Ancia 2002]. Ces évacuations ont montré qu’en dehors de toute forme de croyance ou organisation, des sentiments (ici la peur) peuvent pousser à réagir. Le problème doit pouvoir être partiellement résolu par le biais d’une information préventive efficace.

sont les plus à même de définir leurs vulnérabilités et capacités de réponse, attendent toujours d’être pleinement intégrées dans les processus de décision.

Malgré les limites énoncées au cours des dernières pages, la gestion des risques volcaniques a permis à de nombreuses reprises d’éviter des catastrophes majeures et a fait d’énormes progrès ces dernières décennies, notamment du fait des leçons tirées de quelques grandes crises.