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Chapitre I - Gestion des risques et des crises volcaniques

1.2. L A GESTION DES CRISES

1.2.2. Approches scientifiques de la gestion des crises

Le concept de crise vient du grec krinein, qui signifie discerner : il implique de faire un choix. Morin [1976] montre que le terme, en se généralisant à tous les domaines au XXème siècle, a perdu son sens initial. A l’origine, krisis, la décision, on l’utilise aujourd’hui au sens de krasis, la confusion, l’indécision. « C’est le moment où, en même temps qu’une perturbation, surgissent les incertitudes ».

Au sens opérationnel, « on définit la crise comme un processus qui, sous l’effet d’un événement déclencheur, met en éveil une série de dysfonctionnements » Roux-Dufort in Portal [2009]. Plus précisément, « La crise est une situation d’urgence où les capacités sont débordées (difficultés qui s’amoncellent et se croisent, logistique impuissante, protections illusoires, aléatoire et inconnu, exigences tactiques contradictoires qui se multiplient). Il y a ainsi une menace de désintégration du système (désengagement des structures, rouages distendus, perte des capacités d’autocorrection, antagonismes, fuite dans l’imaginaire), ainsi qu’une menace de désintégration de l’univers de référence (blocages, irréversibilité des inflexions, représentations figées instantanément et définitivement, réouverture de tous les dossiers difficiles, passés et connexes, options et valeurs fondamentales dénoncées) : la crise finit par prendre son autonomie ». Gilbert rappelle toutefois qu’il peut y avoir des crises sans accidents [Gilbert

2000].

La gestion de crise correspond à la gestion de cette situation d’urgence. Elle s’appuie généralement sur un dispositif planifié en amont des crises, dans le cadre de la réflexion globale sur la réduction du risque. Aussi parfaite soit-elle, une gestion de crise n’est pas forcément en mesure d’empêcher la survenue d’une catastrophe, notamment lorsque l’aléa en jeu est d’une intensité exceptionnelle. Son but est généralement une mise en sécurité prioritaire des populations. A contrario, une mauvaise gestion de crise peut être facteur d’aggravation des impacts lorsqu’un événement se produit.

Quoi qu’il en soit, la crise est, au même titre que la catastrophe, révélatrice de vulnérabilités préexistantes

[Metzger 2009]. Lagadec définit ainsi les crises comme un « phénomène de résonance entre l'événement

et son contexte » [Lagadec 1991]. La nature et l’intensité de la crise, qui s’alimente de toutes les faiblesses existantes, résultent ainsi de la convergence de différents facteurs de vulnérabilité et de leurs combinaisons. En ce sens, la crise se trouve à la confluence des contraintes externes provoquées par des événements et des contraintes internes générées par les collectivités concernées [Gilbert 2005]. Il est donc possible d’identifier, hors contexte de crise, les processus sociaux susceptibles de générer ou d’aggraver une situation de crise [Gilbert 2002]. Gilbert [2002] souligne ainsi que risques et crises sont mal délimités et se rejoignent dans la vulnérabilité. Ainsi, la littérature sur les crises, peu abondante en apparence, se nourrit en réalité des très nombreuses études réalisées sur les risques et catastrophes.

Approche rétrospective des crises

La majorité des recherches sur les crises sont des retours d’expérience de catastrophes, mettant l’accent leur nature, leurs causes et leurs conséquences. Elles dressent des constats d’endommagement ou

s’intéressent à un ou plusieurs facteurs ayant conduit à la situation critique observée. Ces RETEX mettent en évidence des facteurs récurrents dans la construction des situations de crise [Lagadec et Guilhou

2002] : (1) mauvaises représentations du risque comme lors du tsunami à Banda Aceh en décembre 2004

[Morin et al. 2008] ; (2) effets domino dans les cas de Katrina [Neuilly 2008] et Fukushima [IRSN 2012] ; (3)

défaillances de communication lors de l’éruption du Kelut [De Bélizal et al. 2012] et de l’accident de Fukushima [Perko 2011] ; (4) défaillances en matière de gestion lors des tempêtes Xynthia [Chauveau et al.

2011] et Katrina [Kelman 2008]. En plus d’être chacun intrinsèquement crisogènes, généralement ces

facteurs se combinent.

Lagadec, en préface de l’ouvrage de [Portal 2009], met en avant l’importance du facteur humain dans la gestion des crises : « Dans ces tempêtes, « l’humain » n’est pas un facteur supplémentaire de complication à annihiler grâce à davantage de normes, d’outils. L’humain est présent de part en part dans cette terre inconnue qu’est la crise, où l’angle mort est l’essentiel et le mesurable l’accessoire ».

La question des agissements humains en situation de crise a alimenté les travaux de géographes s'intéressant aux comportements de foule [Provitolo 2005 ; Ruin 2007 ; Beck et al. 2010 ], aux pratiques et décisions des acteurs impliqués [Metzger et al. 1999 ; Sarant et al. 2003 ; November et al. 2007 ;

Créton-Cazanave et al. 2009],ou encore aux facteurs cognitifs expliquant ces comportements [Burton et al. 1978 ;

D'Ercole 1991] (voir encadré sur la théorie de l’adaptation des comportements au danger selon Burton et

al. [1978]).

Approche prospective par scénario

A la différence des analyses coûts-bénéfices, où l’exercice consiste notamment à estimer les dommages potentiels à partir de scénarii d’aléa [Coburn et al. 1994 ; Sahal 2011], une nouvelle approche consiste à mettre en place des scenarii de gestion de crise comme au Maroc face à l’aléa tsunami [Leone et al. 2012] ou en milieu urbain face aux séismes [Jones et al. 2008 ; Tantala et al. 2008]). Les questions de mobilité et d’accessibilité y sont centrales, pour anticiper les dysfonctionnements des réseaux de transport, des paralysies urbaines, voire l’isolement total de territoires [Demoraes 2004 ; Gleyze 2005 ; Voiron-Canicio et

Olivier 2005 ; Appert et Chapelon 2008 ; NCHRP 2009 ; Leone et al. 2011 ; Robert 2012]. Des outils

géomatiques de plus en plus performants sont par ailleurs mobilisés pour la gestion des crises, tels que les logiciels de simulation d’accès aux ressources de gestion de crise [Griot 2007 ; Gournay et Audoin 2010], et des logiciels de simulation d’évacuation, basés sur des modèles multi-agents [Sahal 2011] ou la théorie des graphes [Lavigne et al. 2012]. Les gestionnaires disposent quant à eux de logiciels permettant un échange instantané de données géolocalisées pour aider en direct à la gestion de crise (SYNERGI en France), ou d’entrainement pour se préparer aux situations de crise (comme la plateforme Janus pour les militaires français).

G es tio n d es ri sq ue s et de s cri se s vo lc an iq ue s

Théorie de l'adaptation des comportements face au danger de Burton et al. [1978]

De nombreuses théories ont cherché à expliquer les comportements humains face au risque et en temps de crise. La plus connue, celle des géographes américains Burton et al. [1978], envisage les réactions comme des formes d’adaptation contrastées, dictées par un niveau socio-culturel et économique qui permet ou inhibe l’adaptation aux effets des désastres. Ils définissent trois seuils (de prise de conscience, d’action, et d’intolérance) qui séparent quatre modes de comportement face aux crises et aux catastrophes :

(1) l’absorption passive de l’endommagement répété, qui peut provenir d’une absence de conscience du risque chez l’individu, et/ou de l’absence de préparation à la crise chez la communauté. Elle peut par exemple se traduire par la fuite des individus ; (2) l’acceptation de l’endommagement, qui intervient quand le seuil de prise de conscience est acquis. Elle conduit à un partage des pertes et des coûts des dommages (mise en place d’un système d’assurance, solidarité lors des opérations de secours, etc.) ;

(3) la réduction de l’endommagement par une atténuation individuelle ou collective avant, pendant et après la catastrophe (par exemple avec la mise en place d’outils de planification) ;

(4) la modification radicale du comportement, qui se traduit par une intervention a priori sur les conséquences du désastre (identification de zones non constructibles à travers l’aménagement du territoire, délocalisations, etc.).

Schoeneich et Busset-Henchoz [1998] soulignent que cette théorie a le défaut de ne pas proposer de

véritable théorie explicative des comportements, souvent considérés comme inconscients ou paradoxaux. Selon eux, la théorie de la dissonance cognitive fournit donc le facteur explicatif manquant. La dissonance cognitive (Festinger 1962 in Schoeneich et Busset-Henchoz [1998]) existe lorsque le comportement ou la situation vécue par un individu sont en conflit avec ses connaissances ou ses convictions. C’est typiquement le cas lorsqu’un individu habite une zone à risque tout en étant conscient qu’elle est à risque. « La dissonance cognitive provoque un inconfort psychologique, que l'individu cherche normalement à réduire. Ces attitudes de réduction de la dissonance cognitive constituent donc une forme d'adaptation psychologique à la situation de risque et ne résultent pas d'une inconscience de la situation » [Schoeneich

et Busset-Henchoz 1998], autrement dit, elles constituent une façon d’accepter de vivre avec le risque, et