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des crises volcaniques à La Réunion : simple

2.1. U NE ERUPTION AUX CARACTERISTIQUES INHABITUELLES

2.1.2. Avril 2007 : « l’éruption du siècle »

Un événement de forte intensité dans les zones basses de l’Enclos

La localisation de l’éruption d’avril 2007, à 590 m d’altitude seulement, lui confère un caractère exceptionnel. Jusqu’à 2007, seule une éruption historique avait pris place dans le Grand-Brûlé, en partie basse de l’enclos à 360 m d’altitude, en avril-mai 1943. Elle avait produit un faible volume de lave (3.2x106

m3 de lave qui ont recouvert 0.4 km2) [Bachèlery 1981] au regard des 230x106 m3 [Bachèlery et al. 2010] qui ont recouvert 3.8 km2 en 2007 [Staudacher et al. 2009]. Les caractéristiques éruptives de l’événement d’avril 2007 sont par ailleurs toutes hors normes par rapport à celles des autres éruptions historiques. Le Tableau 21 résume les principaux paramètres qui la caractérisent comme inhabituelle sur le plan phénoménologique. Lorsqu’il était quantifiable nous avons renseigné une colonne indiquant un facteur multiplicateur moyen pour chaque paramètre afin de marquer le caractère hors norme de l’éruption de 2007.

Tableau 21 - Phénoménologie éruptive dans les parties basses : comparaison entre la moyenne des éruptions récentes de la Fournaise et l’éruption d’avril 2007

Références citées : Staudacher et al. (2009) (a) ; Peltier et al. (2009) (b) ; Bhugwant et al. (2009)(c); Bhugwant et al. (2002) (d) ; Aubaud & Besson (2007)(e) ; Viane et al. (2009)(f) ; Copolla et al. (2009)(g) ; les indicateurs (h) ont été calculés à partir des données brutes sur les éruptions de 1998 à 2007 in Peltier (2007) ; Guezello (2008) (i) ; Bachèlery et al. (2010) (j)

Phénomènes observés Moyenne pour les éruptions de 1998 à avril

2007 Eruption du 2 avril 2007 Facteur

Durée de l’éruption 25 jours (h) 29 jours 1.2

Altitude de l’évent 2145 m d'altitude (h) 590 m d'altitude /

Hauteur fontaines de

lave entre 50 et 100 mètres de haut (a) Entre 100 et 150 mètres de haut, avec un maximum à 200 mètres le 06/04/07, le jour du 1er effondrement sommital (a)

2 Epaisseur moyenne

des coulées 3,7m

(h) Superposition de plusieurs dizaines de coulées : 10-20 m sur les 50% N, 30-60 m au S près du Rempart

Tremblet(a) ; 34 m en moyenne

9

Volume de lave émis 10x106m3(b) Environ 230x106 m3 (j) 23

Débit moyen de lave et

vitesse d’écoulement 1 et 15 m

3/s au Piton de la

Fournaise (a) ; 6.3m3/s (h) 92m3/s (j) ; augmentations périodiques du débit dépassant 200 à 300 m3/s le 06/04/07 (g) ; coulées dépassant les 60 km/h en chenal

14 Surfaces recouvertes

par la lave 1.9 km²

(h) 3.8 km2 à terre + plate-forme littorale de 0.45 km2 (a) 2 Morphologie du cône

formé Diamètre de base du cône : 384 m ; diamètre du cratère : 70 m ; égueulé vers la mer

Diamètre moyen de la base du cône : 311 m ; diamètre moyen du cratère : 63 m (pour 82 cônes non datés recensés sur le Massif de la Fournaise)(i)

1.2 Projections de

cheveux de Pele

Occasionnelle dans les

plaines Dispersion de cheveux de Pele en abondance au SE de l’île de Saint Joseph à Bras Panon et dans une moindre mesure jusque sur Saint Denis(a)

/ Cendres/lapilli Pas d’événement recensé Plus d’1cm de dépôts infra à pluri millimétriques au

Tremblet (e) ; cendres éparses jusque sur Saint Denis / Caractéristiques

pétrologiques Pas d’événement recensé Emission, jusqu’alors jamais observée, de ponces trachytiques et enclaves de roches hydrothermalisées au point de sortie principal ; incrustation de cristaux d’olivine dans les arbres près du Piton Tremblet

/

Epanchement de gaz Augmentation de la concentration en SO2 corrélée avec l’intensité du trémor, taux de SO2 facteur 5-20 sur différentes régions de l’île en conditions anticycloniques (d); occasionnellement vog (f)

Dégazage inhabituellement fort : augmentation SO2 (facteur 10-30 dans les localités côtières), seuils d’alerte dépassés à plusieurs reprises & vog important (a ; c) ; très mauvaise qualité de l’air dans une large aire située au NW et SW de l’évent éruptif, concernant environ 10 % de la population insulaire, concentrations moyennes sur 7 à 10 j entre 38 et 379 mg/m3 (c) ; pluies acides sur le sud atteignant des Ph < 2 (c)

/

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dimension temporelle. En 2007, 230 x 106 m3 ont été émis en 30 jours. En comparaison, l’éruption du 30 août 2006 au 1er janvier 2007, n’a délivré que 19 x 106 m3 en 124 jours. Les précédentes éruptions, au cours desquelles de forts volumes ont été éjectés, ont duré 216 jours en 1931 (130 x 106 m3), 196 jours en 1998 (60 x 106 m3) [Staudacher et al. 2009], et 11 jours en 1977 au cours desquels le village de Piton-Sainte-Rose a été détruit (100 x 106 m3). Ce rapport volume/temps s’explique par des débits en moyenne plus de dix fois supérieurs à la normale au cours de l’éruption d’avril 2007. Aucun des habitants vivant à proximité du Grand-Brûlé n’a souvenir d’une éruption aussi intense.

Les coulées se sont accumulées sur plus de 4 km de longueur et près de 1,7 km de largeur au niveau de la côte, où trois nouvelles plages d’une longueur cumulée de 350 mètres se sont mises en place à côté de la nouvelle plateforme de 0,45 km2[Staudacher et al. 2009]. Elles atteignent l’épaisseur exceptionnelle de 60 m contre le rempart du Tremblet, avec une épaisseur moyenne de 34 m contre 3,7 m pour les éruptions de 1998 à 2007 (calculé d’après [Peltier 2007]). Leur progression en mer a pu être reconnue jusqu’à plus de 700 m de profondeur [Bachèlery et al. 2010] détruisant des habitats de poissons des grandes profondeurs, parmi lesquels plusieurs espèces totalement inconnues [Durville et al. 2009].

Un dégazage et des retombées inédites

L’éruption d’avril 2007 a été accompagnée d’un dégazage inhabituellement fort90 [Bhugwant et al. 2009 ;

Staudacher et al. 2009 ; Gouhier et Coppola 2011 ; Tulet et Villeneuve 2011], avec une quadruple

provenance. Les trois principales sources étaient l’évent éruptif situé dans le Grand-Brûlé et le cratère Dolomieu après son effondrement, qui émettaient un panache essentiellement constitué de gaz volcaniques (en particulier du SO2),et le point d’entrée des coulées en mer à l’origine d’un panache acide chargé en particules solides générées lors de l’interaction eau-magma. La quatrième source provenait ponctuellement d’un contact entre l’eau de la ravine Criais et les coulées sur lesquelles elle tentait de reprendre son cours initial dans le Grand-Brûlé le long du rempart, provoquant des panaches denses et un brouillard épais dans toute la zone du Tremblet (obs. pers. du 6 au 8 avril).

Figure 43 - Panaches éruptif et littoral atteignant environ 5000 m d'altitude le 04/04/07 vus depuis Sainte-Rose (J. Morin) et détail sur le panache littoral à proximité des habitations de la Pointe du Tremblet le 06/04/07 (F. Caillé)

Les gaz émis lors de l’éruption ont parcouru de grandes distances à travers l’océan indien occidental, notamment du 7 au 9 avril, atteignant le Nord de Madagascar, puis Maurice et la côte occidentale de l’Australie, à plus de 6000 kilomètres du lieu de l’éruption [OMI 2007 ; Bhugwant et al. 2009]. Les directions opposées de dispersion du panache sont liées au phénomène de cisaillement des masses d’air, qui se déplacent vers l’ouest dans la partie basse de la troposphère, et vers l’est au-dessus de 6000 mètres [Tulet

et Villeneuve 2011]. Sur l’île, les concentrations en SO2 ont été très supérieures à la normale dès les premiers jours de l’éruption, particulièrement dans le Sud, le Sud-Ouest et le Nord-Ouest [Viane et al.

2009]. Hors période volcanique, la valeur moyenne de SO2 dans les villes côtières proches du volcan est

comprise entre 1 et 20 µg/m3 sur 10 jours. Durant l’éruption du 02 avril 2007, ce taux a été multiplié par 10-30, avec des concentrations de 38 à 379 µg/m3 sur 7 à 10 jours et un maximum horaire atteignant 2486 µg/m3 au Tremblet [Bhugwant et al. 2009]. Ces concentrations exceptionnelles s’expliquent, au Tremblet, par la proximité de l’évent éruptif, et plus généralement pour les régions Sud et Ouest de l’île par les conditions météorologiques combinant des systèmes de brise et d’alizés préservant les régions est à nord-est de l’île des masses d’air polluées [Bhugwant et al. 2002]. Toutes nos observations de terrain ont corroboré cette assertion, avec un panache systématiquement orienté WSW, couvrant la Pointe du Tremblet la majeure partie du temps (Figure 43B).

Engendrées par le panache littoral, des particules solides sous forme de cendre et de lapilli (ainsi que des cristaux de sel marin) ont également été déposées à plus d’un km ([Staudacher et al. 2009] ; obs. pers.).

Aubaud et Besson [2007] (in [Staudacher et al. 2009]) ont relevé, au Tremblet, jusqu’à 1 cm de dépôts,

principalement de verre basaltique, cristaux d’olivine et cheveux de Pele. La dispersion de cheveux de Pele a été inhabituellement importante, avec des retombées sur l’ensemble de l’île, en abondance au Sud-Est entre Saint-Joseph et Bras-Panon, et dans des quantités moindres jusqu’à Saint-Denis. La combinaison des différents composants des panaches (principalement SO2, HCl, HF, CO2, H2SO4) a par ailleurs engendré des pluies acides sur tout le sud de l’île [Bhugwant et al. 2009].

Une cartographie des aléas et impacts perçus permet de visualiser la répartition de ces phénomènes (Figure 44). Sans surprise, on y découvre que la moitié Est de l’île a beaucoup plus subi les retombées de l’éruption (en particulier le Tremblet) et que les cirques apparaissent protégés. En plus d’être localisés, les aléas ont été quantifiés à l’aide de scores présentés dans la première colonne d’encarts (cendre / cheveux de Pele / lapilli). Un score de 2,5 à 3 signifie que tous les répondants ont mentionné que l’aléa les a touchés « partout en quantité importante » sur leur lieu de vie. La méthodologie d’élaboration de la carte est décrite en Annexe 13. Cette cartographie est à prendre avec précaution (reconstruction possible du discours a posteriori sous l’influence des médias, difficultés à quantifier les phénomènes, erreurs dans les réponses données, répartition inégale du nombre de répondants par commune, etc.). Il est par exemple avéré que des lapillis ne sont pas retombés en dehors des communes de Saint-Philippe et Sainte-Rose contrairement à ce qui est exprimé par les répondants. Ces cartes restent toutefois intéressantes et indiquent des tendances qui correspondent globalement bien aux données scientifiques et médiatiques produites lors de l’événement.

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La formation d’une caldeira sommitale, première historique à la Fournaise

L’éruption a également pris une tournure exceptionnelle en zone sommitale avec la survenue d’un effondrement polyphasé du Dolomieu d’une ampleur sans précédent pour la période historique91. Sa taille (1100 x 800 m pour une surface de 82 x 104 m2) et sa profondeur (340 m) ont permis à Michon et al. [2007] d’évaluer son volume à 100-120 x 106 m3, soit des proportions suffisantes pour qualifier le « nouveau » Dolomieu de caldeira92. Le Dolomieu avait connu plusieurs épisodes d’effondrements historiques comme en 1986 (0.0014 km3[Delorme et al. 1989]) et 2002 (0.0003 km3 [Longpré et al. 2006]), formant seulement des pit-craters.

Figure 45 - Cratère Dolomieu rempli le 31/10/2006 et immédiatement après le premier effondrement le 06/04/07 (OVPF ; J. Morin, vues d’hélicoptère orientées vers le Nord-Est et l’Est)

L’effondrement caldeirique de 2007 est attribué à la disparition de la pression hydrostatique dans la colonne située entre le Dolomieu et la chambre magmatique, fragilisée par l’activité intense depuis 1998, à un moment où l’accumulation de coulées depuis 2003 avait entièrement comblé le Dolomieu. La disparition de pression en elle-même est corrélée à la vidange latérale de la chambre depuis le point d’émission distal du Tremblet [Michon et al. 2007]. Il a été accompagné d’une sismicité localisée à l’aplomb du sommet, exceptionnelle tant en quantité (plus de 1000 séismes en 24 heures du 4 au 5 avril) qu’en magnitude (avec des événements jusqu’à une magnitude 5 ressentis au Pas de Bellecombe). Dans la zone sommitale du volcan, de nombreux panaches de cendre d’origine phréatique ont été observés lors des effondrements successifs. Jusqu’à 15 mm d'épaisseur de retombées de cendres ont été mesurés autour du sommet, 4 mm dans l’Enclos [Staudacher et al. 2009].

Conséquences physiques de l’effondrement

Une forte instabilité des pourtours du Dolomieu s’est installée, matérialisée par l’intensification des systèmes de fractures péri-cratériques et concentriques préexistants. Des campagnes de mesures DGPS montrent des réajustements majeurs sur l’ensemble de la partie sommitale durant plusieurs mois [Michon et al. 2007 ; Michon et al. 2009]. Jacquard [2008] a dressé une synthèse cartographique des déplacements horizontaux et verticaux93 combinés pour la période novembre 2007 - mai 2008 (Figure 46). On notera que ces déplacements ont été encore plus significatifs de mars à novembre 2007, avec des déplacements supérieurs à deux mètres sur les deux axes.

91 Voir la description de l’activité en Chapitre II, 2.1, p.58.

92 96x106m3 pour Urai et al. [2007] ; 90x106m3 pour Staudacher et al. [2009]. Notons que la qualification « caldeira » implique, selon la définition de l’IAVCEI, qu’il y ait un lien direct établi entre l’effondrement et le réservoir magmatique superficiel du volcan.

93 Qui témoignent respectivement de mouvements d’inflation/déflation du sommet, et des réajustements liés à l’effondrement du cratère avec un appel au vide des parois internes du Dolomieu.

Figure 46 - Cartographie synthétique de l'instabilité sommitale de novembre 2007 à mai 2008 (modifié d'après Jacquard [2008] ; fonds Google Earth)

L’éruption d’avril 2007 a à tous points de vue été une éruption de très forte intensité, probablement la plus importante depuis le début des observations historiques menées sur la Fournaise, il y a environ 350 ans. On peut, à ce titre, la classer dans la catégorie des éruptions centennales à pluri centennales de la Fournaise. Cette caractérisation de l’aléa est importante car elle ouvre la possibilité d’un classement en événement CATNAT. Or, l’éruption a affecté une large zone Sud du Grand Brûlé, le village du Tremblet, la partie sommitale du volcan, et dans une moindre mesure l’île dans son ensemble et le bassin indien occidental.