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des crises volcaniques à La Réunion : simple

1.1.2. Deux éruptions hors-Enclos aux impacts conséquents

1977 : la naissance de Notre-Dame-des-Laves

L’éruption d’avril 1977 reste l’événement marquant du XXème siècle pour la plupart des Réunionnais. L’évacuation de 2500 personnes a permis d’éviter tout blessé mais 33 maisons ont été détruites à Piton Sainte-Rose et 290 ha de terres agricoles recouverts par la coulée [Souvet et Dorr 2000]. Le déroulement de cet événement est synthétisé en Tableau 14 et cartographié en Figure 36.

Tableau 14 - Déroulement de l'éruption d'avril 1977 au Piton de la Fournaise

Date Evénement

24 mars Après quatre mois d’inactivité, une fissure s’ouvre à 2000 m sur le flanc sud-est du Dolomieu, émettant des laves pendant une demi-journée.

05 avril Une nouvelle fissure s’ouvre sur les flancs nord-est du Dolomieu à environ 1900 m d’altitude, juste au pied du Nez Coupé de Sainte-Rose [Villeneuve et Bachèlery 2006].

du 06 au 07 Dans la nuit, la fissure se prolonge hors-Enclos.

08 avril Une nouvelle fissure s’ouvre à 1300 m. Dans la nuit, la coulée qu’elle émet s’arrête à 500 m du village de Bois Blanc.

09 avril Deux nouvelles fissures s’ouvrent : l’une vers 7h du matin à côté de celle du 8 avril, l’autre à 11h à 600 m d’altitude, 3 km plus au nord. La coulée de 50m de large qui s’échappe de cette dernière détruit 12 maisons à Piton Sainte-Rose pendant la nuit (coulée de gauche, Figure 36) .

10 avril Elle fait 250 m de large lorsqu’elle atteint la mer vers 2h30.

11 avril Une fissure émettant seulement des gaz s’ouvre à 500 m au-dessus de Piton Sainte-Rose.

12 avril Une nouvelle activité commence à 1500 m, au-dessus de Bois Blanc, à côté des sites éruptifs des 8 et 9 avril. Le village est évacué mais ne subit pas de dégâts.

13 avril La lave atteint à nouveau Piton Sainte-Rose à 18h30, détruisant 21 maisons et encerclant la gendarmerie (bâtiment bleu Figure 36) et l’église78 avant de se jeter en mer vers 22h [Krafft et de Saint-Ours 1977].

16 avril L’éruption s’achève. Les différents segments ouverts représentent une fissure longue de 10 km du point d’émission le plus haut au plus bas, dont 4 km hors-Enclos [Bachèlery 1999].

Cet événement revêt une grande importance du point de vue volcanologique : c’est la première fois qu’une éruption hors-Enclos est ainsi suivie et étudiée [Kieffer et al. 1977 ; Bachèlery 1999]. C’est elle qui « a permis de prendre conscience de l’exposition au risque volcanique des populations des communes de Sainte-Rose et de Saint-Philippe » et « motivé les pouvoirs publics pour la mise en place d’un observatoire et d’un réseau de surveillance » [Villeneuve et Bachèlery 2006]. L’Observatoire Volcanologique du Piton de la Fournaise voit le jour en 1979. En quelques années La Fournaise deviendra un des volcans les mieux instrumentés au monde. Parallèlement l’éruption de 1977 conduit à l’élaboration d’une annexe ORSEC « Eruption hors-Enclos » inspirée des dispositions prévues pour la protection des populations en aval des grands barrages. Elle comporte deux rubriques principales : d’une part l’alerte aux autorités, d’autre part

La g es tio n d es c ris es v ol ca ni qu es à L a R éu ni on : s im pl e f or m al ité o u c as se -tê te ?

l’alerte à la population, avec, pour celle-ci, l’alerte à l’évacuation pouvant être suivie de l’ordre d’évacuation

[Bertile 1987].

Figure 36 - Coulées de 1977 à Piton Sainte-Rose (fonds IGN France Raster v2, & Google Earth, 2011) et dégâts occasionnés (modifié d'après Krafft et de Saint-Ours [1977])

1986 : une répétition générale pour 2007 ?

L’éruption de 1986 est celle sur laquelle nous apporterons le plus de détails. D’une part, elle est beaucoup mieux documentée que les précédents événements, tant sur le plan scientifique qu’opérationnel ; d’autre part elle comporte de nombreuses similitudes avec celle de 2007, similitudes qui permettront une comparaison et une évaluation des avancées de la gestion des crises entre ces dates. Les grandes phases de l’éruption sont détaillées en Tableau 15 et cartographiées en Figure 37.

Tableau 15 - Phénoménologie synthétique de l'éruption d'avril 1986 au Piton de la Fournaise

Date Evénement

A partir de 1985 L’OVPF enregistre une activité sismique précursive. 18 mars 1986 Une crise sismique débute.

19 mars La crise sismique débouche sur une éruption à 1750 m d’altitude sur le flanc sud-est du Dolomieu. Elle n’a produit que 0,5x106m3 de lave lorsqu’elle s’achève quelques heures plus tard [Villeneuve et Bachèlery 2006].

20 mars A l’aube une nouvelle fissure de 700 m de long s’ouvre hors-Enclos dans la rift-zone sud-est vers 900 m d’altitude. La coulée qui s’en échappe est divisée en deux bras au niveau du Piton Takamaka. Le bras nord atteint l’océan en empruntant la ravine Citrons Galets ; le bras sud, qui s’écoule dans la ravine Takamaka, s’arrête en contrebas de la RN2.

Les vents d’Est entraînent le panache éruptif, créant une couche nuageuse bleutée vers 1200 m d’altitude sur le Sud et l’Ouest de l’île, jusqu’à Saint-Paul [Bertile 1987].

23 mars Dans la continuité de celle du 19 mars, une nouvelle fissure de 800 m s’ouvre à seulement 30 m d’altitude, à l’Ilet-aux-Palmistes. Il en sort un magma visqueux fortement dégazé [Delorme et al. 1989] qui construit une nouvelle plateforme de 24 ha en mer [Mairine et al. 2010]. Cet épisode est d’autant plus impressionnant pour les témoins qu’il est précédé de la formation, durant 9h, de fissures de plus d’un mètre de large sur la RN2 [Bachèlery 1999] ; il en sort de la vapeur en abondance.

28 - 30 mars Le réseau sismique est saturé, la localisation des séismes devient imprécise.

30 mars Une explosion phréatique se produit dans le Dolomieu, associée à la formation d’un pit-crater large de 150 m et profond de 80 m. Cet événement est concomitant de l’arrêt des éruptions hors-Enclos [Dubois 2007], ce qui prouve l’existence d’une connexion entre les points d’émission de basse altitude et la zone centrale du volcan [Bachèlery 1999].

Jusqu’au 25 avril L’activité sismique décroît progressivement jusqu’à son arrêt total. L’éruption a émis 9x106m3 de lave [Delorme et al. 1989].

L’éruption a entraîné l’évacuation de 109 familles du Tremblet et de l’Ilet-aux-Palmistes, soit 429 personnes. Huit maisons, 350 mètres de RN2, deux ponts, les réseaux électrique et d’adduction d’eau sont

engloutis dans le quartier du Tremblet. Bertile [1987] dresse un bilan détaillé des dommages que nous synthétisons en Annexe 11.

Figure 37 - Dispositif opérationnel déployé face aux coulées de 1986 à Saint-Philippe (modifié d'après Bertile [1987])

Villeneuve et Bachèlery [2006] soulignent que cette éruption « constitue un excellent exemple du bon

fonctionnement du plan et de l’optimisation des secours ». Sur le plan opérationnel, elle prouve en effet la bonne réactivité des collectivités (DDE, SDASS, ONF, Service Transmissions de la préfecture, mairie, …) et de certains citoyens. Wilfrid Bertile, à l’époque maire de Saint-Philippe, dresse également dans son ouvrage [Bertile 1987] le constat d’une gestion de crise bien menée, soulignant toutefois directement ou indirectement quelques ombres au tableau :

Un réseau sismique « sourd » hors-Enclos

1986 est la première éruption hors-Enclos instrumentée par l’OVPF. Élément essentiel mis en évidence sur le plan volcanologique : la progression latérale de l’intrusion sur les flancs a été accompagnée de déformations de surface localisées mais a été très discrète d’un point de vue sismique : leur ouverture n’a pas pu être correctement observée. Cela est lié au fait que les intrusions magmatiques progressent sans effort sous l’effet de la seule pression hydrostatique dans les rift-zones de la Fournaise [Bachèlery 1999]. Il faut aussi tenir compte du fait que les fissures hors-Enclos étaient situées en dehors du réseau de surveillance. Il est alors doté de 14 stations sismiques, d’un réseau de déformation développé (25 stations) et d’un réseau magnétique composé de 4 stations [Delorme et al. 1989]. Le réseau sismique a depuis été complété hors-Enclos au Sud par l’implantation de trois stations supplémentaires [Dubois 2007], dont une pendant l’éruption, à la Crête, dans les Hauts de St-Joseph [Bertile 1987]. Le 20 mars à l’aube, ce sont donc les habitants du Tremblet qui, apercevant une épaisse fumée au-dessus du village, alertent la mairie et la gendarmerie. Une reconnaissance aérienne est alors engagée.

Une erreur d’interprétation synonyme de dégâts accrus

Les observations menées lors de cette première reconnaissance aérienne conduisent à penser que le bras nord de la coulée va emprunter la ravine Pavée. Le Préfet ordonne l’évacuation des familles habitant entre la ravine Citrons Galets et le Brûlé de Takamaka. Vers 10h, une seconde reconnaissance permet de

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localiser la coulée dans la ravine Citrons Galets : l’évacuation se poursuit alors jusqu’à la pointe du Tremblet (Figure 37) mais l’ordre d’évacuation tardif ne permet plus de vider les maisons menacées : 7 familles perdent tout, soit 70% du total des pertes mobilières liées à cette éruption.

Des barrages polémiques vs. des flux de visiteurs ingérables

Dès 11h30 le 20 mars la circulation est interdite entre Saint-Philippe et Bois-Blanc. A 15h, la RN2 est coupée par la coulée de Takamaka sous les yeux de 200 personnes. Le même scenario se reproduit à 21h30 quand « 1000 curieux contenus à grand peine, assistent à la traversée de la RN2 par la coulée des Citrons Galets » [Bertile 1987]. Dans la nuit du 20 mars, le Tremblet est assailli par un défilé de visiteurs, parfois mal équipés, venus à pieds depuis Saint-Philippe à 6 km de là. Les voitures de service ont du mal à se frayer un chemin parmi les piétons. Le vendredi 21 mars, dès 8 h, un nouveau dispositif de sécurité est mis en place au nord des coulées par la gendarmerie. La circulation est interdite à Bois-Blanc et un barrage empêchant tout passage dressé au niveau de la vierge au Parasol. Le 23 mars, c’est depuis Basse-Vallée que les véhicules autres que de sécurité ou des riverains sont arrêtés. De là, des autocars et taxis collectifs emmènent les gens sur site. Le produit des navettes est reversé aux sinistrés du volcan. Pour les habitants de Saint-Philippe les conditions de circulation et les barrages successifs perturbent la vie quotidienne. Quant aux curieux frustrés, ils s’en prennent verbalement (voire physiquement du côté de Sainte-Rose) aux forces de l’ordre. Il faut dire que la question des passe-droits au niveau des barrages crée déjà des tensions à l’époque[Bertile 1987].

Les barrages interdisant l’accès total à la zone évacuée sont d’ailleurs inefficaces auprès des « locaux » qui y accèdent par des sentiers forestiers connus d’eux seuls. Des vols recensés dans cette zone obligent la gendarmerie à installer un poste à l’école du Tremblet pour organiser des patrouilles de surveillance. L’événement a fait l’objet d’une intense couverture médiatique. Lorsque les restrictions à la circulation sont levées début avril, les visiteurs affluent. Le dimanche 6 avril, 15 000 voitures créent un embouteillage mémorable. Une fois sur place, de nombreux visiteurs dégradent les tunnels sous laviques pour ramener de la lave en souvenir, et se permettent d’entrer sur les terrains privés d’où ils emportent de la vanille. Maurice Krafft profite de cette éruption pour obtenir la création de la Maison du Volcan, qui doit constituer un lieu où les spectateurs peuvent assister sans risque à une éruption et en comprendre le fonctionnement. Son inauguration a lieu en 1992.

Des tensions autour des aides apportées pendant et après la crise

Si des animations sont prévues au centre d’hébergement pour occuper les enfants, globalement les adultes s’ennuient. La mairie décide d’en payer certains pour y accomplir des tâches. Cela marque le début d’une désolidarisation : les individus non rémunérés ne veulent plus participer à aucune tâche.

Une seconde erreur « socio-stratégique » consiste à employer des chômeurs, parfois extérieurs au Tremblet, pour le transport à dos d’homme de nourriture (fournie gracieusement par l’Union Réunionnaise des Coopératives Agricoles) pour les animaux restés en zone évacuée. L’ONF a aménagé un sentier pour accéder à la zone enclavée dès le 22 mars.[Bertile 1987] souligne que « les bénéficiaires auraient pu et dû s’en charger ».

Un gros élan de solidarité se manifeste au sein de la population réunionnaise, des dons, notamment en nature, affluent à la mairie de Saint-Philippe. Le 24 mai, un Comité d’Aide aux Sinistrés du Volcan est créé à l’hôtel de ville, il recueille plus d’un million de francs. Une polémique naît rapidement autour de l’utilisation des fonds. « Certains habitants évacués non sinistrés se faisaient l’apôtre d’un faux égalitarisme en demandant que les sommes recueillies soient de façon égale remises en espèces aux familles, accusant

les responsables de s’en mettre plein les poches. » [Bertile 1987]. Ils organisent même un barrage sur la RN2 à la coulée Takamaka le 6 mai. Une réunion d’information publique se tient le 6 juillet à l’école du Tremblet pour rétablir certaines vérités. Bertile [1987]concède que « répartir équitablement ces aides était une tâche délicate », malgré tout des remises de chèques ont été faites aux familles sinistrées au prorata des dommages subis (dommages que certains administrés gonflent exagérément pour leur demande d’indemnisation…). Ainsi, l’auteur révèle la mentalité d’assistanat qui s’est développée à cette occasion, tout en dénonçant les délais d’attribution de l’aide d’urgence débloquée par l’Etat qui interviendra seulement en juillet.

L’année suivant cette éruption, la législation à l’échelle nationale est marquée par la mise en place des Plans de Secours Spécialisés (PSS ; loi n°87-565 du 22/07/87) qui complètent les dispositions générales figurant sur les plans ORSEC.