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Du concept du texte littéraire

E- Le texte littéraire et l’intertextualité

1- Formes d’intertextualité

a- La naissance du mot : J. Kristeva

C’est Julia Kristeva qui compose et introduit le terme d’intertextualité, dans deux articles parus dans la revue Tel Quel, et repris ensuite dans son ouvrage de 1969, "Séméiotikè,

Recherches pour une sémanalyse".

Selon T. Samoyault (2001, p.09), c’est de le deuxième article intitulé "Le texte clos" (1969) [le premier"Le mot, le dialogue, le roman", datant de 1966, contient la première occurrence du terme], que J. Kristeva affine la définition du terme : il est « croisement dans un texte d’énoncés pris à d’autres textes », « transposition […] d’énoncés antérieurs ou synchroniques. »

Se basant sur l’œuvre de Bakhtine (diffusée en France), J. Kristeva produit la notion et sa définition :

« L’axe horizontal (sujet destinataire) et l’axe vertical (texte-contexte) coïncident pour dévoiler un fait majeur : le mot (le texte) est un croisement de mots (de textes) où on lit au moins un autre mot (texte). Chez Bakhtine, d’ailleurs, ces deux axes, qu’il appelle respectivement dialogue et ambivalence, ne sont pas clairement distingués. Mais ce manque de rigueur est plutôt une découverte que Bakhtine est le premier à introduire dans la théorie littéraire : tout texte se construit comme une mosaïque de citations, tout texte est absorption et transformation d’un autre texte. »

Par ailleurs, Todorov réserve le mot dialogue à l’échange de paroles, c’est-à-dire à son acception courante : « […] j’emploierai donc ici de préférence, pour le sens inclusif, le terme d’intertextualité, introduit par J. Kristeva dans sa présentation de Bakhtine, réservant l’appellation dialogique pour certains cas particuliers de l’intertextualité, tel l’échange de répliques entre deux interlocuteurs, ou de la conception élaborée de la personnalité humaine. » Mais pour Bakhtine, le dialogue est intertextuel, du moment que chaque réplique, chaque séquence interpelle une réponse. Chaque énoncé répond ainsi à un autre énoncé : de

l’œuvre scientifique à la discussion intime, en passant par le discours rapporté, la parodie, le discours polémique, etc.

Aussi est-il important de signaler que l’énonciateur peut inclure l’énoncé d’un autre dans son propre énoncé, ou lui donnant l’orientation qu’il désire. Il peut aussi se séparer nettement du discours d’autrui. Dans le premier cas, il s’agit de rapport dit dyphonique ; dans le second, le rapport est dit monophonique.

Le schéma suivant, emprunté à D. Kadik (2002, p.241), résume la classification (proposée par Bakhtine) à propos de la manière dont peut être représenté le discours :

monophonique (style direct)

discours convergent (stylisation).

représenté passif divergent (parodie).

Dyphonique actif (polémique cachée ou ouverte).

En somme, J. Kristeva parle de "transposition" qui, selon elle, « a l’avantage de préciser que le passage d’un système signifiant à un autre exige une nouvelle articulation du thétique - de la personnalité énonciative et dénotative. »

b- La conception de M. Bakhtine

Il faut reconnaître que c’est à Bakhtine, auteur d’"Esthétique et théorie du roman" et de "La Poétique de Dostoïevski" que revient le mérite d’être le premier à avoir orienté (poussé - inspiré) des auteurs comme J. Kristeva à utiliser le terme d’intertextualité ou d’intertexte.

Ses études sur le roman introduisaient l’idée d’une multiplicité de discours portés sur les mots, donnant ainsi naissance aux possibilités d’intégration du genre et ses composantes linguistiques, sociales et culturelles.

Le texte apparaît, selon T. Samoyault (2001, p.11), comme « le lieu d’un échange entre des bribes d’énoncés qu’il redistribue ou permute en construisant un texte nouveau à partir de textes antérieurs. Il ne s’agit pas dès lors de repérer un intertexte quelconque, puisque tout devient intertextuel ; il s’agit plutôt de travailler sur la charge dialogique des

mots et des textes, les fragments de discours que chacun fait entrer en dialogue. » Car, comme le disait Bakhtine, "le langage du roman est un système de langages qui s’éclairent mutuellement en dialoguant".

Il faut toutefois signaler, selon C. Achour et A. Bekkat (2002, p.104), que Bakhtine n’emploie à aucun moment le terme d’intertextualité. Il utilise dans ses études une notion essentielle, la polyphonie. Il déclare en ce sens :

« On voit apparaître dans ses œuvres (celles de Dostoïevski) des héros dont la voix est dans sa structure identique à celle que nous trouvons normalement chez les auteurs. Le mot du héros sur lui-même et sur le monde est aussi valable et entièrement signifiant que l’est généralement le mot de l’auteur […]. Il possède une indépendance exceptionnelle dans la structure de l’œuvre, résonne en quelque sorte à côté du mot de l’auteur se combinant avec lui ainsi qu’avec les voix tout aussi indépendantes et signifiantes des autres personnages sur un mode tout à fait original. »

Cette polyphonie où toutes les voix résonnent d’une façon égale implique le

dialogisme : les énoncés du héros qui résonnent, dialoguent avec ceux de l’auteur se

combinent avec lui.

L’auteur conserve néanmoins (cela pourrait paraître paradoxal avec ce qui est annoncé précédemment) une position extérieure lui, permettant de voir le personnage comme un tout et d’englober l’ensemble des points de vue.

Aussi voit-on tous les personnages dialoguer avec l’auteur, comme l’explique Bakhtine :

« Notre point de vue ne revient pas du tout à affirmer une sorte de passivité de l’auteur, qui ne ferait qu’un montage de points de vue des autres, des vérités des autres, qui renonce entièrement à son point de vue, à sa vérité. Il ne s’agit pas du tout de cela, mais d’une interrelation entièrement nouvelle et particulière entre sa vérité et la vérité d’autrui. L’auteur est profondément actif, mais son action a un caractère dialogique particulier. »

Todorov explique, quant à lui, le phénomène de dialogisme intérieur, en stipulant qu’il « est plus ou moins présent dans tous les domaines du discours […] dans la prose littéraire, en particulier dans le roman, le dialogisme innerve de l’intérieur le monde même sur lequel le discours conceptualise son objet […]. L’orientation dialogique réciproque devient ici comme un événement du discours même, l’animant et le dramatisant de l’intérieur, dans tous ses aspects. »

Le texte littéraire s’ouvre donc aux mots (aux maux ?) de l’autre, et la pensée française lui a accordé une grande importance. Ainsi, et grâce à cette primauté du texte que la notion d’intertexte a pu se développer et connaître la fortune que l’on sait.

c- La classification de G. Genette :

G. Genette (1992), cité par D. Kadik (2002, pp.241-242), dans un esprit plutôt poétique propose une classification autre quant à la notion d’intertextualité. Pour lui, cette notion acquiert une acception plus restreinte que le dialogisme : le plagiat, l’allusion, la citation sont des variétés d’intertextes.

Chez Genette, les notions d’intertexte, paratexte, métatexte, architexte et hypertexte sont englobées par un terme, à savoir transtextualité, considéré comme néologisme.

« […] L’objet de la poétique, disais-je à peu près, n’est pas le texte, considéré dans sa singularité (ce qui est plutôt l’affaire de la critique) mais l’architexte ou si l’on préfère l’architextualité du texte, (comme on dit, et c’est un peu la même chose), «la littérarité de la littérature », c’est-à-dire l’ensemble des catégories générales ou transcendantes - types de discours, modes d’énonciation, genres littéraires, etc.- dont relève chaque texte singulier. Je dirais plutôt aujourd’hui, plus largement, que cet objet est la transtextualité, ou transcendance textuelle du texte, que je définissais déjà grossièrement par « tout ce qui le met en relation, manifeste ou secrète, avec d’autres textes. »

Avec un peu plus de détails, nous dirons que l’auteur de Palimpsestes (1982), a introduit le travail sur la relation d’un texte à un autre texte, et a défini l’intertextualité comme « la présence effective d’un texte dans autre », en inventoriant cinq types de textes (cités auparavant) et que nous reproduisons comme suit :

1- le premier est l’"intertextualité", définie par un rapport de coprésence entre deux ou plusieurs textes (plagiat, etc.) ;

2- le deuxième est la "paratextualité", constituée par la relation, généralement moins explicite et plus distante que l’ensemble formé par l’œuvre littéraire, le texte lui-même (titre, préface, etc.) ;

3- le troisième est la "métatextualité", décrite comme la relation de commentaire qui unit un texte au texte dont il parle ;

4- le quatrième est l’"hypertextualité", il fait justement l’objet de Palimpsestes, « l’hypertextualité est tout texte dérivé d’un texte antérieur par transformation simple, ou indirecte, donc imitation » ; 5- le cinquième est l’"architextualité", détermine le statut général du texte.

d- L’intertexte chez R. Barthes :

R. Barthes, dans l’article "Théorie du texte", paru dans l’Encyclopédia Universalis, met au premier plan l’intertexte, et propose cette définition, désormais incontournable :

« Le texte est une productivité. Cela ne veut pas dire qu’il est le produit d’un travail […], mais le théâtre même d’un produit où se rejoignent le producteur du texte et son lecteur. Le texte travaille à chaque moment et de quelque côté qu’on le prenne […]. Le texte redistribue la langue (il est le champ de cette redistribution). L’une des voies de cette déconstruction- reconstruction est de permuter des textes, des lambeaux de textes qui ont existé ou existent autour du texte considéré et finalement en lui : tout texte est un intertexte ; d’autres textes sont présents en lui, à des niveaux variables, sous de formes reconnaissables : les textes de la culture antérieure et ceux de la culture environnante ; tout texte est un tissu de citations révolues. »

L’intertexte est en définitive, un effet de lecture en ce sens qu’il oriente la lecture du texte, en gouverne éventuellement l’interprétation qui évidemment le contraire de la lecture linéaire.

C’est aussi une catégorie de l’interprétance, c’est-à-dire tout indice, toute trace, toute allusion perçus par le lecteur ; c’est en outre l’ensemble des textes que l’on retrouve dans sa mémoire à la lecture d’un passage donné.

Nous terminerons ce chapitre (dans lequel nous avons évoqué deux notions indissociables si l’on veut aborder le texte littéraire sous de bons auspices, et par conséquent favoriser l’écrit à partir de la lecture, dans tous ses aspects), par un tableau récapitulatif, un bilan synoptique du parcours, tableaux empruntés à Samoyault (2001, pp. 115-116) :