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Les fondements du devoir d’informer 1. Le droit des obligations

Alain B. Lévy *

II. Les fondements du devoir d’informer 1. Le droit des obligations

Les relations entre l’avocat et son client sont indiscutablement régies par le droit du mandat lorsqu’elles ont pour objet une activité relevant de la profes-sion d’avocat, qu’il s’agisse d’une activité protégée ou non par le monopole, ou d’une activité typique ou non de la profession.

La principale disposition légale relative aux obligations du mandataire, l’article 398 al. 2 CO, se borne à prescrire lapidairement la bonne et fidèle exécution du mandat, ce que l’on traduit ordinairement par l’obligation de diligence et l’obligation de fidélité. En matière d’information, l’article 400 al. 1 CO dispose que le mandataire est tenu de rendre compte de sa gestion à la demande du mandant, ce qui est toutefois très loin de couvrir tous les aspects du devoir d’information, de l’avocat en particulier2.

On peut débattre des questions de savoir si les obligations d’information et de conseil du mandataire découlent du devoir de diligence ou de celui de fidélité, ou encore si le devoir de fidélité s’impose à tous les mandataires ou seulement à ceux qui ont qualité d’intermédiaire ou de fiduciaire3.

Peu importe ici car, tel étant le cas de l’avocat, le devoir de fidélité s’impose à lui en toute hypothèse. A cet égard, il faut relever que ce de-voir découle du statut de l’avocat, non de la nature du service qui lui est demandé4.

Dans le quasi silence de la loi, c’est donc à la jurisprudence civile ainsi qu’à la doctrine qu’il incombe de définir et cerner le devoir contractuel d’in-formation, sa portée générale et ses contenus particuliers. On examinera donc plus loin quelles sont les normes de comportement que le mandat impose en la matière à l’avocat, notamment à la lumière des règles professionnelles et déontologiques.

2 Fellmann W., Berner Kommentar, Obligationenrecht, Bd VI.2.4, OR 394-406, Der einfache Auf-trag, Bern 1992 (cité ci-après Fellmann BK), art. 398 No 146 et art. 400 Nos 53-54 ; Weber R.H., Basler Kommentar, Obligationrecht I, art. 1-529 OR, 4eéd., Bâle 2007, (cité ci-après Weber BaK), art. 400 No 1 ; Werro F., Commentaire romand, Code des obligations I, CO art. 1-529 (cité ci-après Werro CR), art. 400 Nos4-5. Cf. également Tercier P., Les contrats spéciaux, 3e éd., Zurich 2003 (cité ci-après Tercier), Nos4690 et 4699.

3 Bretton-Chevalier C., Les rétrocessions perçues par l’avocat, in Défis de l’avocat au XXIème siècle, Genève 2008, p. 207 ss, p. 211 ; Werro CR, art. 398 Nos13, 16 et 27 ; cf. également Fellmann BK, art. 398 No409 ; Tercier No4689 ; Weber BaK art. 398 No9.

4 Bretton-Chevalier, op. cit. p. 213 ; cf. également Lombardini C., La responsabilité civile de l’avocat vis-à-vis des clients, in Défis de l’avocat au XXIème siècle, Mélanges en l’honneur de Madame le Bâtonnier Dominique Burger, Genève 2008, p. 517 ss, p. 528.

Les règles professionnelles et déontologiques auxquelles l’avocat est par ailleurs tenu, à l’instar de règles de l’art, sont en effet propres à servir de cri-tères pour déterminer l’étendue de certaines des obligations contractuelles envers le client ainsi que le niveau de la diligence requise5. En outre, il faut admettre que le mandat conclu entre le client et son avocat comprend a priori l’engagement de ce dernier de respecter les règles professionnelles, en tout cas dans la mesure où celles-ci ont une portée bénéficiant au client.

On peut en déduire que la violation d’une telle règle professionnelle pré-sume la violation d’un devoir contractuel, avec pour conséquence que l’avocat aurait alors pour se libérer à prouver que la règle dépasse les exigences géné-rales ou concrètes du mandat. A l’inverse, le respect de la norme profession-nelle devrait présumer l’absence de violation, de sorte que ce serait alors au client de prouver que la règle est insuffisante au regard du droit du mandat ou du cas particulier6.

2. Les règles professionnelles

Depuis l’entrée en vigueur le 1er juin 2002 de la Loi fédérale sur la libre cir-culation des avocats, dont le but n’est pas seulement de garantir cette libre circulation mais également d’unifier et de fixer les principes applicables à la profession d’avocat en Suisse, le droit fédéral régit de manière exclusive les règles professionnelles auxquelles est soumis l’exercice de la profession7.

Il n’y a donc en la matière plus place pour le droit cantonal, ce dernier, comme par exemple la loi genevoise sur la profession d’avocat, n’ayant dès lors plus d’autre vocation que celle de législation d’application de la loi fédé-rale. Il n’est pas question non plus d’une application directe des règles déon-tologiques, auxquelles renvoyaient expressément certaines lois cantonales.

La LLCA conduit ainsi à opérer une distinction claire entre règles profession-nelles, édictées par l’Etat, aujourd’hui la Confédération, et les règles déonto-logiques émises par les organisations professionnelles, ordres d’avocats ou barreaux8.

5 Fellmann BK, art. 398 No178 ; Tercier No4670 ; Werro CR, art. 398 No14 ; cf. également Chappuis B., Signification et fonction des règles déontologiques, in Droit suisse des avocats, Berne 1998, p. 127 ss, p. 129.

6 Tercier No4671.

7 Message du Conseil fédéral concernant la loi fédérale sur la libre circulation des avocats du 28 avril 1999, FF 1999 (cité ci-après Message), p. 5335 et 5355 ; Lévy A. B., Le Code Suisse de Déontologie, in Défis de l’avocat au XXIème siècle, Genève 2008, p. 147 ss, p. 150-151 ; Reiser C., La Commission du Barreau et la surveillance des avocats sous l’angle de la LLCA et de la LPAv/Ge, in SJ 2007 II 237, p. 239-242.

8 Message p. 5367 ; ATF 130 II 270, cons. 3.1.2 p. 275.

Les règles professionnelles régissent l’activité d’avocat dans un but d’in-térêt public, afin de protéger à la fois la confiance que le public doit pouvoir faire à la profession, les intérêts des particuliers qui ont recours aux services de l’avocat, ainsi que le fonctionnement de la justice dont les avocats sont les auxiliaires. Elles sont notamment le corollaire du monopole que l’Etat concède à l’avocat9. Tous les avocats y sont soumis quel que soit le canton au registre des avocats duquel ils sont inscrits, et qu’ils appartiennent ou non à un ordre d’avocats10.

La transgression des règles professionnelles est sanctionnée par une res-ponsabilité disciplinaire instituée par la loi. Elle l’est indirectement seule-ment par la responsabilité à l’égard du client, dans la mesure où, comme on l’a indiqué ci-dessus, les règles en cause se trouvent comprises dans le droit du mandat, soit qu’elles permettent de préciser l’étendue des obligations dé-coulant de la loi, soit qu’on les considère comme incluses dans les conditions du contrat conclu avec l’avocat.

La LLCA régit certes de manière exclusive la profession d’avocat en Suisse, mais on ne saurait dire, s’agissant des règles professionnelles, qu’elle le fasse de façon exhaustive11. En effet, si plusieurs des règles posées à l’article 12 de cette loi sont assez précises, il en est d’autres de portée beaucoup plus géné-rale, en particulier celle (lit. a) selon laquelle l’avocat exerce sa profession avec soin et diligence.

Le devoir d’information par exemple ne fait l’objet d’une disposition que sur un de ses aspects ponctuels, celui des honoraires (lit. i), les autres obliga-tions en matière d’information devant être déduites de la notion générale de soin et diligence, notion dont il appartient le cas échéant à la jurisprudence disciplinaire de détailler la portée.

Les normes déontologiques gardent par conséquent une certaine portée juridique dans la mesure où elles peuvent aider à interpréter et préciser les règles professionnelles12. Cependant, les dispositions de la LLCA doivent d’abord chercher à s’appliquer de manière autonome13. En outre, la référence à des règles déontologiques suppose qu’il s’agisse de normes reflétant une opinion largement répandue au niveau national14.

9 Message p. 5339.

10 Message p. 5367.

11 Cf. Message, p. 5355 et 5368 où le terme d’exclusif serait préférable à celui d’exhaustif.

12 Message p. 5368 et 5355 ; Reiser, op. cit. p. 242.

13 ATF 130 II 270, cons. 3.1.3 p. 276 ; ATA/Ge 500/2006 du 19.09.06 in Valticos M. et Jacquemoud-Rossari L., La jurisprudence de la Commission du barreau 2002-2006 in SJ 2007 II 255, p. 260 ; Lévy, op. cit. p. 151.

14 ATF 130 II 270, cons. 3.1.1 p. 275 ; ATA/Ge, ci-dessus note 12, ibidem.

3. Les normes déontologiques

L’unification des règles professionnelles au niveau suisse a en particulier pour but d’assurer la libre circulation des avocats en soumettant ceux-ci à des normes uniformes de comportement, quel que soit le canton où ils déploient leur activité. Il en découle que l’ordre juridique ne saurait se satisfaire de règles déontologiques matériellement différentes d’un canton à l’autre15.

C’est donc afin d’unifier les règles déontologiques sur tout le territoire de la Confédération que la Fédération suisse des avocats (FSA) a adopté le 10 juin 2005 un Code suisse de déontologie (CSD)16. Les règles de celui-ci s’imposent à tous les membres de la FSA, soit aux avocats eux-mêmes qui appartiennent aux différents ordres cantonaux d’avocats.

Les règles déontologiques, contrairement aux règles professionnelles qui s’imposent à l’ensemble des avocats, ne s’appliquent directement qu’aux membres de l’organisation professionnelle qui les émet. Elles possèdent néan-moins une certaine portée normative à l’égard de tous puisqu’elles peuvent servir à interpréter ou préciser le contenu des règles professionnelles.

A l’instar de la LLCA, le Code suisse de déontologie contient une norme générale (art. 1) selon laquelle l’avocat exerce sa profession avec soin et dili-gence et dans le respect de l’ordre juridique. En matière d’information, il est un peu plus précis que la loi puisque, en plus de la question des honoraires (art. 18), il fait obligation à l’avocat d’établir avec son client des relations clai-rement définies (art. 2 al.1) et d’informer son client de l’évolution du mandat (art. 2 al. 2).

Il faut en outre relever que le Code de déontologie des avocats européens, édicté par le Conseil des Barreaux de la Communauté Européenne (CCBE) et auquel la FSA a adhéré, s’applique aux avocats suisses membres de celle-ci dans leurs rapports professionnels avec des avocats de l’Union Européenne ou lorsqu’ils y déploient une activité17. Le contenu de ce code, quoique plus détaillé, est comparable au Code suisse de déontologie, notamment en ma-tière d’information.

4. L’obligation d’informer des tiers

Si l’avocat a un devoir d’information principalement à l’égard de son client, il n’en est pas moins tenu dans l’exercice de sa profession à certaines obligations

15 Cf. notamment note 6 ci-dessus.

16 Sur la genèse du CSD, Lévy, op. cit. p. 152-153.

17 Art. 14 et 15 ; cf. Message p. 5368.

d’information à l’égard de tiers, nonobstant la protection du secret profes-sionnel dont bénéficie le client. Ces obligations, sur quelques unes desquelles on reviendra ci-dessous, ont des fondements très divers qui vont des prin-cipes généraux du droit, en particulier les règles de la bonne foi et le respect de l’ordre juridique, aux prescriptions ou règles jurisprudentielles plus pré-cises, sur le blanchiment d’argent ou l’obligation de témoigner par exemple, en passant par des règles professionnelles ou déontologiques imposant des devoirs envers le juge ou les confrères.

III. Objet et contenu de l’information due