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Après une question préalable, l’on s’interrogera sur la violation du devoir d’informer, puis sur les autres conditions de la responsabilité.

1. Un simple prétexte ?

A la lecture de la jurisprudence sur le défaut d’information dans le contexte d’un procès en responsabilité civile, l’on ne peut s’empêcher de ressentir un certain malaise. Le client (le patient) qui ne réussit pas à démontrer une vio-lation par le cocontractant de ses obligations – l’opération chirurgicale était conforme aux règles de l’art, le placement financier correspondait aux at-tentes exprimées par le client51 – cherche malgré tout à reporter le dommage qu’il subit sur son cocontractant, parfois avec succès. Ainsi, O. Guillod52 soutient-il, pour le domaine médical, que le développement de la théorie du consentement permet aux juges d’indemniser l’aléa thérapeutique à la seule condition d’un manquement à l’obligation d’informer. Dans ce cadre, le de-voir d’information a tout du prétexte. Même si en matière bancaire, la juris-prudence ne va pas aussi loin, et que l’étendue de l’information due dépend du contenu du contrat conclu avec la banque (simple achat et vente de titre, conseil en investissements ou mandat de gestion)53, on peut se demander si l’information dont le défaut est reproché au partenaire était réellement vou-lue au moment de prendre une décision qui se révèle ensuite préjudiciable aux intérêts de la prétendue victime.

Cette question prend un relief particulier si l’on songe au coût que repré-sente la prise de connaissance de l’information pour son destinataire. Celui-ci doit en effet prendre le temps (donc l’argent) nécessaire à comprendre l’in-formation pour former une décision bien pesée sur la base de celle-ci : Quel

51 Par ex., ATF 133 III 97, SJ 2007 I 252, JdT 2008 I 84 (en matière bancaire) ; ATF 133 III 121 (en matière médicale).

52 Guillod, p. 162.

53 Thévenoz, p. 41 ss ; Lombardini Carlo, Responsabilité de la banque dans le domaine de la ges-tion de fortune : état de la jurisprudence et quesges-tions ouvertes. Voir, par ailleurs, la contribuges-tion de Suzan Emmenegger au présent ouvrage, IV.1.

est le risque de tel placement ? Quels sont les risques que le client est prêt à prendre ? Quelles sont les solutions alternatives, leurs avantages et inconvé-nients ? Le client (patient) doit se déterminer sur toutes ces questions pour prendre sa décision. L’information en tant que telle n’apporte aucune réponse magique aux questions que se pose la future victime. Elle demande un traite-ment qui peut se révéler coûteux pour son destinataire. Lorsque celui-ci n’est pas prêt à entrer dans une telle démarche, il ne se laisse pas influencer par l’information donnée et peut-être, ne modifierait pas son comportement face à une information donnée de manière complète, un conseil précis, une mise en garde nette. Une réponse possible aux prétentions éventuellement dérai-sonnables de la victime et aux difficultés de preuve concernant l’information donnée consiste dans la démonstration, ouverte au responsable recherché, que, même si l’information avait été complète et correcte, le dommage se se-rait tout de même produit. Ce raisonnement est mené au titre du consente-ment hypothétique sur lequel nous reviendrons54.

Lorsque le reproche adressé au responsable recherché ne relève pas du simple prétexte, l’on doit encore se demander si le droit à être informé est véritablement justiciable, tant il est vrai que la victime se rend généralement compte de la violation de son droit alors qu’elle a déjà pris des dispositions qui se révèlent désavantageuses pour elle. En matière médicale, la question a pu être douteuse, mais on admet aujourd’hui que le patient dispose d’un véritable droit à être informé sur le diagnostic, la thérapie, ainsi que sur les questions financières relatives à l’assurance55. Il s’agit d’un droit autonome qui s’émancipe peu à peu de son fondement premier : la justification d’un acte médical portant atteinte à l’intégrité corporelle du patient et dont l’illicéité est levée à la condition d’un consentement libre et éclairé. En règle générale, il sera trop tard pour tenter de contraindre le débiteur de l’information à fournir celle-ci. La question se pose alors que les conséquences domma-geables se sont déjà produites. Ne reste alors que la question de la répara-tion du dommage. Il ne s’ensuit cependant pas que le droit comme tel ne soit pas justiciable.

2. La violation du devoir d’informer

Etablir le contenu du devoir revient à déterminer quel est le comporte-ment que le responsable recherché aurait concrètecomporte-ment dû adopter. Il s’agit ensuite de comparer le comportement effectivement adopté avec le devoir ainsi concrétisé : le responsable recherché s’est tu alors qu’il aurait dû

spon-54 Voir infra, II.B.1.

55 ATF 131 III 121 c. 4.1.2.

tanément renseigner le client, a informé celui-ci mais de manière inexacte ou incomplète, a donné un mauvais conseil ou n’a pas averti le client d’un risque56.

Concrétisons la violation du devoir avec les exemples introductifs. Le chirurgien aurait dû informer le patient des risques importants et du pro-nostic défavorable de l’opération de la hernie ; le banquier aurait dû mettre les clients en garde contre la concentration excessive d’une seule action dans leur portefeuille. La fiduciaire suisse57 qui accepte de recevoir une garantie à son nom, puis la transfère à son client, assume un devoir de rendre celui-ci attentif à d’éventuels risques spécifiques liés à l’investissement, même si le client n’a pas expressément demandé à être conseillé. Lorsqu’elle se tait et ne signale pas à celui-ci qu’en réalité elle ne connaît guère les partenaires de l’opération et qu’elle n’a pas vérifié la validité de la garantie, la société fidu-ciaire viole ses devoirs à l’égard du client.

Dans une affaire récente58, une obligation de conseil et de mise en garde est admise nonobstant l’absence d’un mandat formel de conseil sur la base des contacts étroits et de durée établis entre les parties. La banque, qui avait incité le client à la prudence et l’avait rendu attentif aux risques du place-ment qu’il avait choisi dans le domaine des technologies de l’information, a respecté le devoir qui lui incombait59. Il ne suffit bien entendu pas d’établir l’existence d’un devoir d’informer, encore faut-il que le responsable recherché ait violé ce devoir pour être tenu de réparer le dommage.

3. Les autres conditions

La responsabilité du donneur d’information est engagée aux conditions ha-bituelles, en particulier celles du dommage et de la causalité à prouver par la partie demanderesse. Celle-ci aura la charge – qui pourra se révéler déli-cate – de prouver que son patrimoine est diminué suite à la violation du de-voir d’information. Il faudra donc s’interroger sur le comportement qu’aurait adopté la partie lésée si elle avait été informée correctement : aurait-elle mo-difié les mesures prises, ce qui aurait eu des répercussions positives sur son patrimoine ? Dans cette hypothèse, le lien de causalité (naturelle et adéquate) se confond presque avec le dommage. En effet, il faudra établir la différence

56 Loser-Krogh, Vertrauenshaftung, N 680 ss.

57 ATF 131 III 377, JdT 2005 I 612, SJ 2005 I 409.

58 ATF 133 III 97, JdT 2008 I 84.

59 Les pertes importantes subies par le client n’étaient donc pas dues aux recommandations de la banque dont la responsabilité n’était pas engagée.

entre le patrimoine actuel (affecté par le défaut d’information) et le patrimoine hypothétique dans l’éventualité où l’information aurait été correctement donnée. Le fil conducteur de ce raisonnement est de replacer la partie lésée dans la situation qui serait la sienne si l’information aurait été correctement donnée. La partie lésée devra rendre vraisemblable qu’elle aurait adopté un certain comportement qui aurait eu des répercussions patrimoniales posi-tives. S’agissant d’une hypothèse portant sur un fait, une preuve stricte ne peut certainement pas être exigée. L’on se trouvera donc dans une situation d’état de nécessité en matière de preuve (Beweisnot), un cas dans lequel le juge se contente de la « vraisemblance prépondérante » et n’exige pas la preuve stricte de l’hypothèse avancée par la partie lésée60.

La tâche est particulièrement délicate dans le domaine bancaire, où il s’agira de déterminer ce qui se serait passé si, au lieu de garder une concen-tration excessive d’actions Vivendi Universal61, le carreleur avait diversifié son portefeuille et si, dûment averti du risque, il avait renoncé à l’investissement qu’il s’apprêtait à faire. Quel investissement de remplacement aurait-il alors choisi ? Quel en aurait été le rendement ? A quel moment doit-on évaluer le rendement de l’investissement de substitution ? La difficulté est tout aussi grande dans d’autres domaines. Ainsi, le client que l’avocat n’avait pas rensei-gné sur le mécanisme de la reprise de dette62, n’a-t-il pas réussi à convaincre les juges que sa situation patrimoniale aurait été meilleure sans la violation du devoir d’information.

Ces questions délicates ne se posent en principe pas en matière médicale.

En effet, une fois la violation du devoir d’informer retenue, la jurisprudence admet que le médecin répond de toutes les conséquences négatives de son intervention, même menée de manière parfaitement conforme aux règles de l’art. Cela signifie-t-il vraiment que le chirurgien pourra être condamné à une indemnité destinée à compenser entièrement l’atteinte à l’avenir économique du boucher qui a perdu l’usage de ses deux jambes ? L’arrêt63, limité au prin-cipe de la responsabilité, ne le dit pas.

On le voit, la tâche de la partie lésée, même si elle parvient à établir la violation d’un devoir d’information à son égard, n’est pas des plus faciles.

60 Chappuis C., Causes du dommage. p. 299 s. et réf. cit.

61 Voir supra, n. 2.

62 Voir supra, n. 1.

63 Arrêt mentionné supra, n. 5.