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Distinction selon les transactions bancaires

Susan Emmenegger *

IV. Etendue du devoir d’information

1. Distinction selon les transactions bancaires

Selon les termes du Tribunal fédéral, les devoirs d’information et de conseil de la banque sont « des notions à géométrie variable »34. L’objet et l’étendue du devoir d’information dépendraient, selon le Tribunal fédéral, du genre de service et des circonstances du cas d’espèce, notamment de l’expérience et des connaissances du client. Il faudrait donc plutôt parler de « devoirs d’infor-mation » au pluriel que d’« un devoir » au singulier35. Toutefois une première grande subdivision résulte de la distinction entre le conseil en placement, la gestion de fortune et le simple rapport de compte/dépôt (Execution-Only)36. a. Execution-Only

Dans les rapports Execution-Only, la banque exécute, sur les instructions ci-blées du client, des transactions boursières. Aujourd’hui, de telles instruc-tions sont souvent transmises par voie électronique.

En principe, les règles du mandat sur les devoirs d’information (soit direc-tement ou sur la base du renvoi de l’art. 425 al. 2 CO), sont ici aussi applicables Mais, l’étendue de ce devoir est limitée en cas de rapports Execution-Only.

Nous avons déjà signalé que la banque qui exécute seulement de manière ponctuelle des transactions boursières pour son client n’a pas un devoir gé-néral de sauvegarder les intérêts dudit client. Elle n’est en principe pas non plus soumise à un devoir général de conseil, lorsque le client signale par des mandats ou instructions inconditionnels qu’il n’a pas besoin ou ne désire pas recevoir d’informations ou de conseils de la part de la banque. Un devoir de mise en garde n’existe qu’exceptionnellement37.

Ces principes du devoir d’information doivent être relativisés à plusieurs égards. Premièrement, il faut rappeler que dans des cas exceptionnels, il existe malgré tout un devoir de mise en garde. Tel est par exemple le cas, si la banque doit reconnaître, en faisant preuve de l’attention requise, que le client n’a pas identifié un risque lié au placement, ou si le client peut, compte tenu de la relation d’affaires, attendre conseil et mise en garde selon les règles de

34 TF, 4C.205/2006, consid. 3.2, arrêt du 21 février 2007.

35 TF, 4C.205/2006, consid. 3.2, arrêt du 21 février 2007.

36 Cf. par exemple ATF 133 III 97 consid. 5a p. 102.

37 Voir supra III./2. Pour la jurisprudence cf. par exemple ATF 133 III 97 consid. 7.1.2 p. 103 ; TF, 4A_189/2007, consid. 2.3, arrêt du 31 juillet 2007 ; TF, 4C.45/2001, consid. 4a, arrêt du 31 août 2001.

la bonne foi, même s’il ne les a pas demandés38. Deuxièmement, il existe un devoir accru d’information au cas où la banque consent au client un crédit pour financer l’investissement39. Troisièmement, la banque doit renseigner sur demande40.

Au-delà de ces exceptions propres, on constate des atténuations du prin-cipe de la « non-information » : premièrement, il faut rappeler que le Tribu-nal fédéral a admis relativement facilement, ces dernières années, l’existence d’un contrat tacite de conseil en placement, et par conséquent, des devoirs d’information plus extensifs41. Deuxièmement, la jurisprudence récente manifeste un intérêt croissant pour l’art. 11 de la loi sur les bourses42. Cette norme forme une base autonome et indépendante d’un accord contractuel pour le devoir d’information en cas de commerce de valeurs mobilières. Elle impose (au moins) un devoir (actif) d’information concernant la structure du risque de certaines transactions43. En d’autres termes, le standard minimal de l’art. 11 LBVM va au-delà des devoirs d’information admis jusqu’à présent par le Tribunal fédéral en cas d’absence d’un contrat de conseil ou de gestion de fortune44. Cependant, le Tribunal fédéral doit encore tirer cette conséquence dans sa jurisprudence. Rappelons en outre que ces dispositions sont de droit impératif et que l’on ne saurait y déroger45.

Finalement, il faut retenir une autre extension possible du devoir d’infor-mation, dont les contours sont toutefois encore vagues. Il s’agit de l’examen dit de la suitability qui provient du droit américain et qui a déjà été introduit dans le droit de l’Union européenne46. La suitability exige un examen de la

38 Parmi d’autres : ATF 133 III 97 consid. 7.1.2 p. 103. Pour un résumé des constellations des cas récents, voir Romy / Bloch, Mélanges Tercier, 657 s.

39 ATF 133 III 97 consid. 7.1.1. p. 102.

40 TF, 4A_301/2007, consid. 2.3, arrêt du 31 octobre 2007 ; TF, 4C.205/2006, consid. 3.4.2, arrêt du 21 février 2007 ; TF, 4C.366/2007, consid. 3.1. Cf. aussi Romy / Bloch,Mélanges Tercier, p. 658.

41 Voir supra III./2 (responsabilité fondée sur la confiance), à la fin.

42 Cf. ATF 133 III 97 consid. 5 p. 99 ss ; TF, 4C.205/2006, consid. 3.3, arrêt du 21 février 2007 ; 4C.385/2006, consid. 4.2.2.2, arrêt du 2 avril 2007.

43 ATF 133 III 97 consid. 5.3. p. 100 ; TF, 4C.205/2006, consid. 3.3, arrêt du 21 février 2007. L’art. 11 LBVM n’oblige cependant pas la banque à renseigner le client en détail sur le fonctionnement de la bourse suisse, cf. ATF 133 III 221 consid. 5.3. p. 228.

44 Cf. Chappuis / Werro, AJP/PJA 2005, 568 s., et réf. cit. ; Sibbern / von der Crone, SZW/RSDA 2007, 183.

45 Pour les conséquences en lien avec les règles déontologiques, notamment l’art. 3 des Règles de conduite pour négociants en valeurs mobilières applicables à l’exécution d’opérations sur titres 1997 (présomption de connaissance des risques usuels (al. 2), renonciation à des informations (al. 5)) voir Chappuis / Werro,AJP/PJA 2005, 570 s. ; Thévenoz, JDBF 2007, p. 44 ; Sibbern / von der Crone, SZW/RSDA 2007, 178.

46 Pour les détails cf. Thévenoz, JDBF 2007, p. 32 ss.

situation financière du client et une évaluation de la question de savoir si une transaction est adaptée à un certain client. Dans un de ses arrêts, le Tribunal fédéral a retenu qu’un devoir à procéder à un examen de suitability ne sau-rait être déduit de l’art. 11 LBVM47. Néanmoins, le Tribunal fédéral a laissé une porte ouverte à cette question en retenant qu’une partie de la doctrine avait soutenu le point de vue selon lequel le négociant devait procéder à un examen et à un conseil de suitability et que ce devoir ne résultait pas directe-ment de l’art. 11 LBVM, mais d’un contrat de conseil conclu implicitedirecte-ment, ou d’une adaptation ultérieure de la loi sur les bourses au droit de l’Union eu-ropéenne48. Ainsi, le sort de l’examen de suitability est encore ouvert en droit suisse49. La question ne reste cependant ouverte qu’en lien avec les rapports Execution-Only. En cas de conseil en placement ou de gestion de fortune, le Tribunal Fédéral exige, de facto, que la banque procède à un tel examen50. b. Conseil en placement

Retenons préalablement par rapport au conseil en placement que le Tribunal fédéral a mis à la base de ce contrat des devoirs qui vont au-delà de l’art. 11 LBVM. Par conséquent, le devoir d’information pour le conseil en placement se distingue clairement de celui qui prévaut dans un rapport d’Execution-Only, où l’on applique les devoirs d’information restreints décrits plus haut.

La situation juridique actuelle régissant le devoir d’information pour les conseils en placement est résumée dans un arrêt non publié de 2007. Cet arrêt contient d’un côté une délimitation avec les devoirs d’information selon la LBVM et de l’autre côté, les points essentiels concernant le devoir d’informa-tion selon la jurisprudence. Ces points sont les suivants :

[…] la banque doit fournir à son client une information véridique et com-plète chaque fois que, dans un cas concret, le client souhaite information et conseil qui lui sont fournis par la banque professionnellement compétente.

De plus, un devoir d’information marqué existe dans l’hypothèse où la banque recommande au client, même spontanément, certaines dispositions patrimoniales, en particulier des placements de capitaux (…). Le renseigne-ment donné par la banque dans un tel cas doit être juste, compréhensible, donné sur la base des éléments disponibles, précis et exhaustif (…). Selon les circonstances, la banque ne répond des conséquences d’un conseil objective-ment faux que si, au moobjective-ment où elle s’est exprimée, le conseil était

manifes-47 ATF 133 III 97 consid. 5.4. p. 101.

48 ATF 133 III 97 consid. 5.4. p. 101.

49 En ce sens aussi : Romy / Bloch, Mélanges Tercier, p. 651.

50 TF, 4C.68/2007, consid. 7.2, arrêt du 13 juin 2008, commenté par Bensahel / Micotti, Jusletter 15 déc. 2008, en particulier N. 36 ss.

tement déraisonnable. En effet, le spéculateur doit savoir qu’il ne peut se fier sûrement à un conseil relatif à un événement futur et incertain ; en principe, il doit assumer lui-même les risques, s’il suit le conseil de la banque (…).51 Il faut ajouter la remarque du Tribunal fédéral, selon laquelle le renseigne-ment sur les risques doit avoir lieu une seule fois. Si la banque a rendu le client attentif aux risques d’investissements dans le domaine de la technologie de l’information, elle n’est pas obligée de répéter cette mise en garde si le client a exprimé son souhait de poursuivre cette stratégie de placement52. Il faut en outre ajouter que les principes juridiques développés par le Tribunal fédéral en rapport avec la gestion de fortune s’appliquent ici également, tels notam-ment le principe Know-Your-Customer et le devoir accru d’information, au cas où la banque consent au client un crédit pour financer l’investissement53 et au cas où la banque propose des opérations spéculatives et risquées54.

On retiendra que pour le conseil en placements comme pour la gestion de la fortune, l’examen de suitability fait de facto partie des devoirs de la banque55.

c. Gestion de fortune

Lorsque l’on parle de l’étendue du devoir d’information en lien avec la gestion de fortune, il ne s’agit pas tellement de l’information concernant des transac-tions individuelles, mais plutôt de la fixation d’une stratégie d’investissement.

Les devoirs d’information surgissent donc antérieurement à l’exécution ef-fective, et peut-être même avant la conclusion formelle du contrat de gestion de fortune. Cette obligation a toutefois, selon le Tribunal fédéral, la même portée dans le domaine contractuel et précontractuel ; en cas de conclusion du contrat, la responsabilité contractuelle absorbe en outre la responsabilité pour culpa in contrahendo56.

Dans l’ensemble, il existe dans le domaine de la gestion de fortune des devoirs de renseignement, d’avertissement et de conseil étendus, qui se re-coupent pour l’essentiel avec ceux du conseil en placement : une information

51 TF, 4C.205/2006, consid. 3.4.1, arrêt du 21 février 2007.

52 ATF 133 II I 97 consid. 7.2. p. 104.

53 Cela vaut même pour les rapports Execution-Only, voir dernièrement ATF 133 III 97 consid. 7.1.1.

p. 102, et réf. cit. Par conséquence, ce devoir existe e fortiori dans le cas du conseil en placement, qui demande und sauvegarde générale des interêts de la part du mandataire.

54 Cf. TF, 4C.68/2007, consid. 7.1, arrêt du 13 juin 2008. Cela vaut également pour le mandat de géstion, cf. TF, 4C.51/2005, consid. 3.2, arrêt du 5 juillet 2005 ; ATF 124 III consid. 3a p. 163.

55 TF, 4C.68/2007, consid. 7.2, arrêt du 13 juin 2008.

56 TF, 4C.205/2006, consid. 3.2 et réf. cit., arrêt du 21 février 2007.

circonstanciée est exigée au regard du client spécifique. Afin que la banque puisse remplir ses devoirs d’information, elle doit au préalable se renseigner en détail sur le niveau de connaissance et d’expérience du client, l’état de ses revenus et de son patrimoine, ses besoins en matière de placements (y compris l’horizon des placements), ainsi que sa disposition à prendre des risques57. En d’autres termes, la banque est soumise à un devoir de se rensei-gner étendu que l’on peut décrire en trois mots par la formule : « know your customer »58. Ce n’est que si la banque honore son devoir de se renseigner qu’elle peut honorer diligemment son devoir d’information59. Ainsi, l’éten-due des renseignements qu’elle donnera au sujet des placements indivil’éten-duels et de leurs risques, en particulier, dépendra essentiellement du niveau de connaissance du client60. Le devoir d’information est particulièrement mar-qué lorsque la banque propose des opérations spéculatives et rismar-quées. Le client inexpérimenté dans ce type d’affaires doit être clairement renseigné sur le risque de perte. La banque doit s’assurer (par des questions) que le client est effectivement prêt à courir les risques en question. Il ne suffit pas que la banque mentionne simplement le risque de perte et qu’elle recueille formellement, sur cette base, le consentement du client61. Finalement, du de-voir de sauvegarde générale des intérêts du client décole en plus un dede-voir de renseignement extensif lorsque la banque met à disposition des crédits en vue du financement des investissements dans le cadre d’un contrat de gestion de fortune62.