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La causa de la prétention en réparation

Hans Peter Walter *

3. Les bases juridiques

3.2. La causa de la prétention en réparation

La responsabilité fondée sur la confiance mène à une « troisième voie » entre contrat et délit18. Ce concept a suscité des controverses dans les ouvrages de référence et semble y être majoritairement rejeté19. Selon la conception domi-nante probablement inchangée, les art. 41 et 97 CO doivent suffire en tant que normes globales de base pour fonder toute indemnisation d’un dommage causé à autrui en droit privé et point n’est besoin de fondements nouveaux de création prétorienne. A mon avis, cette polémique, qui repose sur une confu-sion entre la cause et l’effet, est au fond sans objet.

Les devoirs d’information et de renseigner sont des devoirs de compor-tement, dont la violation peut fonder une prétention compensatoire. La cause du dommage est la mauvaise exécution d’un devoir de comportement en tant qu’obligation primaire. L’obligation primaire, à son tour, peut avoir son fon-dement juridique – dans la mesure intéressante ici – dans un contrat ou dans l’existence d’une autre relation particulière selon la théorie de la confiance.

Elle demeure, dans un cas comme dans l’autre, une véritable obligatio, laquelle découle d’un consentement (contrat) ou de l’injonction d’agir selon les règles de la bonne foi. En d’autres termes, en dehors du contrat, seul l’art. 2 CC dé-termine le rapport d’obligation qui engendre un devoir d’information selon la théorie de la confiance. Dans cette hypothèse, l’art. 2 CC ne régit que la nais-sance de la prétention et de l’obligation, non les conséquences de la violation.

En ce sens, il ne constitue pas une norme de responsabilité mais une norme de protection. La norme de responsabilité doit être cherchée ailleurs.

L’art. 97 al. 1 CO règle les conséquences de l’exécution imparfaite de l’obli-gation20 à travers la notion consacrée de « violation positive du contrat ». Cette

18 Selon la jurisprudence ATF 133 III 449 consid. 4.1, 130 III 345 consid. 2.1.

19 Cf. CR-Werro, 2003, n. 67 sur l’art. 41 CO ; Christine Chappuis, Responsabilité fondée sur la confiance : un tour d’horizon, in : Chappuis/Winiger (n. 1), p. 21 ss, p. 27.

20 Créance et prétention, d’une part et devoir et dette d’autre part découlant de l’obligation sont employés dans le présent contexte dans le même sens ; cf. SPR-Merz, tome VI/1, p. 50.

notion, introduite par Hermann Staub21 au début du XXe siècle dans la culture juridique européenne et qui est aussi entrée dans la terminolo-gie suisse – pour une fois en dépit des objections fondées d’Andreas von Tuhr – prête à malentendus et induit en erreur. Tout d’abord, l’art. 97 al. 1 CO ne constitue pas une norme du droit des contrats, mais, de manière plus générale, une norme relative à l’exécution des obligations. Cette disposition ne s’applique pas seulement aux obligations contractuelles, mais à toute obli-gation, quel qu’en soit son fondement22. L’unique condition est que l’inexé-cution ne porte pas sur une prestation pécuniaire, car, dans ce cas, seules les règles sur la demeure du débiteur selon les art. 102 ss CO sont applicables, parce que les dettes d’argent ne deviennent pas impossibles, ni ne peuvent être mal exécutées23. Ensuite, la violation ne résulte pas nécessairement d’un acte positif mais peut également consister dans une abstention. C’est pour-quoi je préfère la notion de « violation matérielle de la créance » (« materielle Forderungsverletzung ») à celle de « violation positive du contrat ». Elle per-met d’appréhender la mauvaise exécution de toute obligation relative, qui ne consiste pas exclusivement en une dette d’argent. Le champ d’application de l’art. 97 al. 1 CO est ainsi élargi.

Le véritable champ d’application de cette disposition est la mauvaise exé-cution des obligations contractuelles, y compris – à travers sa norme sœur de l’art. 98 al. 2 CO – les obligations de faire et de ne pas faire. Dans ce cadre et selon la conception représentée ici, le fait que le devoir contractuel violé soit un devoir principal, un devoir accessoire accompagnant la prestation (p. ex. le montage de la chose achetée ou la fourniture d’un mode d’emploi pour un appareil technique) ou encore un devoir de comportement (devoir de protection ou de garde, ici en particulier le devoir d’information et de ren-seigner) ne joue aucun rôle. Tout aussi peu décisif est le fait que le débiteur ait effectivement mal exécuté la prestation due ou le comportement requis, ou qu’il manifeste, dès avant le terme, que l’exécution interviendra de ma-nière imparfaite (violation anticipée de la créance). Dans tous ces cas, il existe

21 Hermann Staub, Die positiven Vertragsverletzungen und ihre Rechtsfolgen, Festschrift für den 26. Deutschen Juristentag, 1902.

22 Demeurent naturellement réservés les leges speciales de la section spéciale, en particulier les règles sur la garantie pour les défauts en matière de contrat d’entreprise et de contrat de vente.

23 Ceci vaut également pour les obligations en monnaie étrangère. Si l’exécution de l’obligation est proposée ou effectuée en monnaie différente de celle stipulée dans le contrat, s’il y a inexécu-tion et non mauvaise exécuinexécu-tion, alors l’obligainexécu-tion en monnaie étrangère doit être exécutée par l’Etat, si le montant en est évalué ou converti en monnaie nationale, nonobstant, les effets de la mauvaise exécution ne peuvent plus se déployer dès lors que selon les modalités de réquisition de poursuite (cf. art. 67 al. 1 ch. 3 LP ; ATF 134 III 151 consid. 2.3 ; 125 III 443 consid. 5a ; 115 III 36 (no8) consid. 3a.

une violation du contrat, dont les conséquences sont réglées selon l’art. 97 al. 1 CO.

Il en va cependant de même lorsqu’une obligation portant sur une chose ou un service est fondée non sur un contrat mais sur un délit, un enrichis-sement illégitime, directement sur la loi ou «ex variis causarum figuris »24. Quiconque est tenu, suite à un acte illicite, à la restitution en nature25 et exécute imparfaitement cette obligation répond du dommage découlant de l’inexécution, non plus directement en application de la norme délictuelle, mais de l’art. 97 al. 1 CO. Il en va de même, lorsque l’enrichi exécute impar-faitement l’obligation de restituer un enrichissement en nature26. La préten-tion en dommages-intérêts qui en découle n’est pas directement fondée sur l’enrichissement illégitime, mais sur l’art. 97 al. 1 CO. Elle englobe notamment le gain manqué relatif à l’utilisation ou l’exploitation de la chose due. D’un point de vue systématique, il en va de même de la violation de devoirs de comportement extra-contractuels, tels que les devoirs d’information fondés sur le principe de la confiance. Il s’agit de devoirs découlant d’une relation juridique relative, d’une obligation, qui sont également soumis à la protection de l’art. 97 al. 1 CO.

Selon la conception représentée ici, l’art. 97 al. 1 CO régit en principe glo-balement les conséquences de la mauvaise exécution d’une norme primaire dans l’ensemble du droit privé, pour autant que la violation ne se limite pas à un retard. Cette disposition est ici intéressante en tant que norme de respon-sabilité à partir de la violation matérielle d’une créance, de la mauvaise exé-cution d’un devoir d’information. La prétention primaire a pour objet l’exécu-tion conforme du devoir de comportement, soit le devoir d’informal’exécu-tion, alors

24 Gai. D 44,7,1 pr ; zur Vielfalt der Entstehungsgründe von Obligationen Eugen Bucher, Vertrau-enshaftung : Was ? Woher ? Wohin, in : Richterliche Rechtsfortbildung in Theorie und Praxis, Festschrift Walter, 2005, p. 231 ss.

25 Selon l’art. 43 al. 1 en relation avec l’art. 99 al. 3 CO, le juge détermine la forme de réparation du dommage ; en principe la restitution en nature garantit au mieux l’intérêt à l’intégrité du patri-moine du lésé et tient compte de manière optimale de l’idée de l’indemnisation du dommage (ATF 129 III 331 consid. 2.2). Exemples de la jurisprudence ATF 107 II 139 et 100 II 134 (remise en état d’un bien foncier dévasté), 110 II 183 (fourniture de lingots d’or), 116 II 441 (libération du créancier de la prétention d’un tiers) ; ATF 129 III 331 consid. 2.2 (nouvelle plantation d’un arbre).

26 Cf. art. 65 al. 2 CO, où il est question de « restitution [de la chose] » (« Rückgabe der Sache »).

L’on peut considérer la restitution de lettres d’amour, d’une déclaration sur l’honneur ou d’une reconnaissance de dette (Alfred Koller, Schweizerisches Obligationenrecht, Allgemeiner Teil, tome 1, 2006, 468, ch. 7), les conditions appropriées dans les cas fortuits (BSK-Schulin, 2007, n. 26 sur l’art. 62 CO), les simples conditions de possession (Andreas von Tuhr / Hans Peter, Allgemeiner Teil des Schweizerischen Obligationenrechts, tome 1, 1979, p. 476), et surtout l’an-nulation de l’exécution d’un acte de disposition abstrait lorsque l’acte obligationnel est vicié (sur la dichotomie des actes de disposition abstraits et causaux Heinrich Honsell, Tradition und Zession – kausal oder abstrakt ?, in : Bucher et al. (Hrsg.), Norm und Wirkung, FS Wiegand, 2005, p. 349 ss).

que la prétention secondaire vise la réparation du dommage résultant de la violation de l’obligation primaire. Il convient cependant de distinguer ces deux prétentions. Certes, selon la compréhension pandectiste du droit com-mun, en particulier celle de Friedrich Carl von Savigny et de Friedrich Mommsen, l’obligation est changeante et son contenu exact variable. Elle ne se limite toutefois pas à la relation juridique d’origine, mais englobe égale-ment les violations d’obligations, qui entraînent seuleégale-ment une « métamor-phose du rapport juridique »27. Cette théorie a toutefois suscité une critique justifiée dans la doctrine récente. On lui oppose à raison que la prétention en réparation d’un dommage découlant de la violation d’une obligation ne résulte pas d’un acte juridique mais de la loi et porte, d’un point de vue fonc-tionnel, non pas sur une prestation mais sur la remise en l’état28. Le débiteur n’est pas recherché sur la base de son obligation initiale mais sur celle de sa responsabilité. Le devoir de réparer le dommage n’est pas la continuation de l’obligation primaire mais remplace celle-ci29. Ceci est particulièrement manifeste dans le domaine de l’exécution imparfaite des obligations, en cas de violation matérielle de la créance. Dans cette hypothèse, la prétention en exécution subsiste pour le surplus malgré la violation. La prétention en ré-paration s’ajoute à la prétention en exécution et ne la remplace que partielle-ment. La première complète la seconde en tant que prétention accessoire30. La prétention primaire tendant à l’exécution de l’obligation et la prétention se-condaire en réparation du dommage ont de ce fait chacune un destin propre et ne sont pas conçues comme identiques sur le plan juridique. La prétention en réparation du dommage ne se limite pas à un devoir de prestation trans-formé, qui poursuit sous une forme nouvelle la créance visant à l’exécution31, mais constitue une créance nouvelle, autonome, dont le fondement juridique réside dans la violation d’une autre obligation.

C’est ainsi que se résout la question de la troisième voie : seule la tion primaire à l’exécution de l’obligation emprunte celle-ci, non la préten-tion secondaire en réparapréten-tion du dommage. Si l’on limite la naissance des

27 Cf. Martin Immenhauser, Das Dogma von Vertrag und Delikt, 2006, p. 257 ss (sur Savigny) et p. 288 ss (sur Mommsen). CR-Thévenoz, n. 18 sur l’art. 97 CO évoque lui aussi une « trans-formation ».

28 Immenhauser (n. 27), 261 rem. 1019.

29 Hubert Stöckli, Das Synallagma im Vertragsrecht, 2008, ch. 476.

30 Stöckli (n. 29), ch. 478 ; BSK-Wiegand, 2007, nn. 47 et 52 sur l’art. 97 CO.

31 Ainsi qu’il apparaît dans la doctrine et la jurisprudence encore dominantes : ATF 122 III 53 consid.

4b, 117 II 273 consid. 4c ; BK-Kramer, 1986, Allgemeine Einleitung in das schweizerische OR, n. 89 s. ; BK-Weber, 2000, nn. 205, 262 et 347 sur l’art. 97 CO ; CHK-Furrer / Wey, 2007, n. 127 sur les art. 97-98 CO ; Eugen Bucher, Schweizerisches Obligationenrecht, Allgemeiner Teil, 1988, p. 328 ; Pierre Tercier, Le droit des obligations, 2004, ch. 1109 ; Ingeborg Schwenzer, Schwei-zerisches Obligationenrecht, Allgemeiner Teil, 2006, ch. 4.19.

droits primaires – comme cela fait sens pour la responsabilité fondée sur la confiance – à la dichotomie courante entre contrat et délit, alors le devoir de comportement fondé sur la théorie de la confiance ne relève ni de l’un ni de l’autre. En effet, étant donné l’absence d’un état de fait contractuel, l’admis-sion d’un acte illicite, si l’on veut éviter de transformer l’art. 41 al. 2 CO en boîte de Pandore, se heurte à l’exigence d’une norme de protection fondant la responsabilité au sens de l’art. 41 CO32. La relation spéciale fait cependant naître un rapport de confiance régi par l’art. 2 CC. Les règles de la bonne foi deviennent ainsi la causa du devoir de comportement, ici le devoir d’infor-mation. En d’autres termes, la créance ne se déduit ni du contrat ni du délit, mais –tertium datur– de l’art. 2 CC. Le principe de la confiance fonde le de-voir de comportement dont la violation entraîne la responsabilité fondée sur la confiance.

Que le devoir de comportement soit compris sous l’angle délictuel, contractuel ou de la confiance, il en résulte une prétention en réparation en cas de mauvaise exécution, à l’exclusion de l’hypothèse du retard. Cette pré-tention en réparation trouve son fondement juridique à l’art. 97 al. 1 CO, in-dépendamment du fondement juridique du droit violé, conformément à la conception défendue ici. La créance primaire ainsi diversifiée conduit à une prétention en réparation uniformément structurée. Ceci vaut en tout cas pour la cause de la prétention en réparation. Des modifications peuvent survenir dans l’aménagement de son contenu33.