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Les causæ des devoirs de comportement

Hans Peter Walter *

3. Les bases juridiques

3.1. Les causæ des devoirs de comportement

Lors de la conclusion du contrat, les devoirs d’information, c’est-à-dire ceux fondés sur un consentement, sont de véritables obligations contractuelles au sens juridique, qu’il s’agisse de devoirs contractuels accessoires ou princi-paux. Ils correspondent à la volonté commune déclarée par les parties et le créancier peut en exiger l’exécution de manière préventive. En revanche, les devoirs d’information non prévus par le contrat se fondent, d’après la concep-tion dominante en Suisse, sur l’injoncconcep-tion d’un comportement loyal confor-mément à l’art. 2 al. 1 CC. De ce fait distincts de la volonté des parties, leur teneur relève d’un rapport d’obligation ou de protection légal qui reste à dé-finir concrètement par la jurisprudence7. Ils échappent certes régulièrement à un contact scellé par un acte juridique ou analogue, ne sont pas orientés en fonction de l’exécution du contrat elle-même ni limités par celle-ci, mais do-minent en outre l’environnement d’une relation spéciale contractuelle, quasi-contractuelle ou généralement fondée sur une relation spéciale de confiance.

Ils doivent être pris en considération dès la préparation d’un contrat, puis durant les pourparlers contractuels (culpa in contrahendo), peuvent perdurer au-delà de l’exécution du contrat (culpa post contractum finitum) et obliger ou avantager également des tiers à un contrat, qui sont impliqués de manière factuelle mais non juridique. Finalement, les devoirs de comportement fondés sur la théorie de la confiance peuvent résulter d’un lien particulier de proxi-mité sans rapport contractuel, notamment dans le contexte des informations

7 CR-Thévénoz, 2003, n. 23 sur l’art. 97 CO.

et conseils professionnels dans le cadre d’actes de complaisance. L’art. 2 CC associe déjà un devoir de loyauté à l’existence d’une relation étroite, et non pas seulement à un contrat.

Les devoirs d’information se présentent par conséquent comme contrac-tuels ou légaux et se fondent soit sur une déclaration de volonté spécifique, effective ou normative, soit sur le principe de la confiance. Pour cette der-nière catégorie, Claus-Wilhelm Canaris a élaboré la théorie du « rapport de protection uniforme » («einheitliches gesetzliches Schutzverhältnis»)8, lequel a trouvé un fondement de droit positif lors de la révision du droit des obliga-tions allemand aux §§ 241 al. 2 et 311 al. 2 BGB9. Selon ces règles, le rapport de protection uniforme débute avec la prise de contact professionnel, se précise tout au long des pourparlers contractuels, puis lors de la conclusion du contrat et de l’entrée des parties dans la phase d’exécution. Il peut même perdurer à travers des devoirs de protection au-delà de l’extinction du contrat10. Quant aux ouvrages suisses, l’on peut se référer notamment à Ernst Kramer11 et Wolfgang Wiegand12 qui se sont très tôt penchés sur ce concept. Le Tribunal fédéral incline également vers cette théorie13:

« Cette solution se dégage encore plus nettement, si l’on adopte la théorie du rapport de protection uniforme (Theorie des einheitlichen Schutzverhältnis-ses), d’après laquelle sont soumises au même régime les relations entre par-ties qui reposent sur un rapport spécial de confiance et de fidélité, qu’elles surviennent avant la passation du contrat, sous l’empire de la convention ou

8 Claus Wilhelm Canaris, Ansprüche wegen „positiver Vertragsverletzung“ und „Schutzwirkung für Dritte“ bei nichtigen Verträgen, JZ 1965, p. 475 ss.

9 § 241 al. 2 BGB : « Das Schuldverhältnis kann nach seinem Inhalt jeden Teil zur Rücksicht auf die Rechte, Rechtsgüter und Interessen des anderen Teils verpflichten. »

§ 311 al. 2 BGB : « Ein Schuldverhältnis mit Pflichten nach § 241 Abs. 2 entsteht auch durch 1. die Aufnahme von Vertragsverhandlungen,

2. die Anbahnung eines Vertrags, bei welcher der eine Teil im Hinblick auf eine etwaige rechts-geschäftliche Beziehung dem anderen Teil die Möglichkeit zur Einwirkung auf seine Rechte, Rechtsgüter und Interessen gewährt oder ihm diese anvertraut, oder

3. ähnliche geschäftliche Kontakte. »

10 Canaris (n. 8), 479 : sa conception a rencontré une large approbation en Allemagne (pour dé-monstration, voir MünchKomm/Kramer, 2007, introduction au § 241 BGB, n. 83). Concernant le droit autrichien, Franz Bydlinski a repris et développé le concept de « Schuldverhältnis ohne primäre Leistungspflichten » (Klang, Kommentar zum ABGB, tome IV/2, 1978, p. 181).

11 BK-Kramer, 1986, Allgemeine Einleitung in das Schweizerische OR, n. 142 ss.

12 Wolfgang Wiegand, Von der Obligation zum Schuldverhältnis, recht 1997, p. 85 ss ; cf. le même, Die Verhaltenspflichten. Ein Beitrag zur juristischen Zeitgeschichte, in : Stolleis (Hrsg.), Die Be-deutung der Wörter, Festschrift Gagnér, 1991, p. 547 ss ; et parmi les ouvrages plus récents BK-Weber, 2000, n. 67 ss. sur l’art. 97 CO ; et, suivant la même orientation, CR-Thévenoz, Introduc-tion aux art. 97-109 CO, n. 7.

13 Arrêt du 8 juin 1998, publié dans la SJ 1999, p. 133 ss, et, suivant la même orientation, un arrêt du 23 juin 1998, publié dans Pra. 1998, no155.

après son extinction. Cette théorie permet d’indemniser la confiance déçue à tous ces stades (…), dès l’instant où la responsabilité fondée sur la confiance, qui est omniprésente, impose immédiatement de réparer le dommage provo-qué par la confiance justifiée qui s’est trouvée trompée ultérieurement (…). » Les avis sont partagés, spécialement en Allemagne, sur la question de savoir si ce rapport de protection uniforme a une destinée légale propre et continue, même pendant que le contrat déploie ses effets (théorie dite de l’uni-formité, « Einheitstheorie »)14, ou si les différents devoirs de comportement sont transformés en devoirs contractuels durant cette phase (« Umschlag-theorie »)15. Pour le droit suisse, je suis un partisan résolu de la seconde théo-rie et je conçois les devoirs de comportement lors de l’exécution d’un contrat valide comme uniformément contractuels, indépendamment de leur qualifi-cation dans le système des prestations et des manquements à ceux-ci. Le prin-cipe de la confiance détermine certes toujours leur teneur, mais ne constitue plus leur causa, car celle-ci se trouve désormais dans le contrat16. Selon la conception défendue ici, la classification demeure cependant sans effet sur le principe et les conséquences de la responsabilité, qui s’apprécient toujours selon les directives de l’art. 97 al. 1 CO.

Par ailleurs, je pars du principe, avec la jurisprudence du Tribunal fédé-ral, que la responsabilité fondée sur la confiance est subsidiaire à la respon-sabilité contractuelle17:

« Soweit die Klägerin ihren Haftungsanspruch auch auf erwecktes und ent-täuschtes Vertrauen stützen will, ist ihr entgegenzuhalten, dass die Rechts-figur der Vertrauenshaftung nur zum Zuge kommen kann, wenn es darum geht, einen vertragsfremden Dritten zu belangen, nicht aber, wenn – wie vor-liegend – der Ansprecher mit dem Belangten vertraglich verbunden ist und die Haftung aus dieser Vertragsbeziehung abgeleitet wird (…). »

Cela signifie en conséquence que la violation des devoirs d’information ne peut tomber sous le coup de la responsabilité fondée sur la confiance que si elle intervient en dehors d’une relation contractuelle, ou bien émane d’un tiers extérieur à cette relation juridique ou nuit à un tel tiers. Sur ce point,

14 En ce qui concerne le droit suisse, cf. notamment Wiegand (n. 12, recht), passim ; Wolfgang Wiegand / Bernhard Berger, Zur rechtssystematischen Einordnung von Art. 11 BEHG, RJB 1999, p. 713 ss, p. 736.

15 Sur la controverse théorique voir MünchKomm/Kramer, 2007, introduction au § 241 BGB, n. 83 ; Grigoleit (n. 6), p. 281 ss ; Staudinger / Löwisch, 2001, remarques préliminaires sur les §§ 275-283 BGB, n. 32.

16 Hans Peter Walter, Auf dem Weg zum Schuldverhältnis – wo weiter, recht 2005, p. 71 ss, pas-sim ; également 5C.45/2004 du 9.7.2004, consid. 2.2.

17 Arrêt 4C.194/2004 du 17.9.2004, consid. 1 ; dans le même sens ATF 131 III 377 consid. 3 et 5C.267/2004 du 21.6.2005, consid. 5.3 ; indéterminé 5C.45/2004 du 9.7.2004, consid. 2.2.

la formule du Tribunal fédéral, qui tend à limiter la responsabilité au « tiers recherché » (« belangten Dritten »), à mon sens, prête quelque peu à confusion.

Il convient de retenir, à titre de bilan intermédiaire, que la violation des de-voirs d’information ne peut tomber sous le coup de la responsabilité fondée sur la confiance que si elle a lieu en dehors d’une relation contractuelle entre l’auteur et le lésé. Comme je tente de le démontrer dans ce qui suit, la contro-verse théorique n’a guère de signification pratique, dans la mesure où le de-voir de réparation est réglé quoi qu’il en soit toujours par l’art. 97 al. 1 CO.