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Chapitre 4 : Données de terrain

B) Facteurs Institutionnels

2) Facteurs tenant aux personnels

La recherche montre constamment que le cadre idéal en matière de diffusion et implémentation est un leader plutôt qu’un manager, lequel est enthousiaste, charismatique, compétent, participatif et flexible (v. aussi Lee et al., 2010) et n’est ni autocratique, ni, inversement, « laisser faire ». De tels cadres doivent être aptes à mobiliser leurs troupes vers un objectif donné ; ici l’innovation ou changement. Ils doivent pour cela être convaincus eux-mêmes du bien-fondé de l’innovation. Notre étude ne portait pas spécifiquement sur l’observation de l’encadrement en action, ni les relations des praticiens avec leurs hiérarchies respectives, et nous ne pouvons par conséquent nous prononcer sur la qualité des cadres opérant sur les différents terrains observés. Ce qui était en revanche visible était que les praticiens en position de pouvoir (not. JAP, direction et DPIP) observés en action et interviewés ont semblé de moins en moins persuadés de la pertinence de la LSC au fur et à mesure de

sa mise en œuvre, après la bonne volonté initiale liée à la nécessité d’appliquer la loi. Il est vrai que comme le notaient Sabatier et Mazmanian en 1980, les personnes « deviennent en général fatiguées et désillusionnées avec la routine bureaucratique et, après l’enthousiasme initial, sont généralement remplacées par d’autres personnels » et ceux-ci deviennent plus préoccupés par la maintenance de l’organisation (Sabatier et Mazmanian, 1980 : 495). Nous pouvons par ailleurs témoigner que les autorités ayant été chargées de mettre en place la réforme ont joué le jeu de celle-ci, sans toutefois y consacrer une énergie considérable, au regard des résultats obtenus. Côté SPIP, notamment, nous verrons que tant la transmission de rapports complets et en temps et en heure que la production d’accompagnements substantiels susceptibles de favoriser le prononcé d’aménagements de peine a peu ou prou fait défaut sur l’ensemble des sites, et a ainsi traduit que d’autres priorités avaient pris le pas. Au fur et à mesure, il est devenu patent que l’ensemble des personnels ne croyait pas à la LSC et n’en « faisait plus que par obligation ». Voici par exemple les propos échangés entre un CPIP et mes étudiantes, pourtant sur le ressort où le nombre d’éligibles était le plus élevé :

« De toute façon vu le peu d’intérêt que portent les praticiens pour cette mesure... Moi j’ai juste vu un peu les dossiers avant de venir. » (CPIP, Site 2)

La recherche en diffusion montre par ailleurs que les leaders doivent aussi être aptes à partager l’autorité avec une variété d’acteurs (Sabatier et Mazmanian, 1979). Nos observations de terrain confirment qu’au moins sur trois des sites, ceci est accepté dans le cadre de la CAP LSC, lieu unique par essence, dont l’objet même est un tel partage, quand bien même le JAP prend in fine la décision.

Précisément, les personnels de première ligne concernés par la mise en œuvre de la réforme ou innovation doivent eux-mêmes présenter certaines qualités spécifiques pour que celle-ci soit optimale. S’agissant de la LSC, il est difficile de différencier entre cadres et personnels de première ligne. Le JAP peut être analysé en tant qu’autorité, dès lors qu’il prend les décisions. De leur côté, le directeur ou directeur adjoint présent, voire le membre du corps de commandement, ainsi que le DPIP, peuvent de prime abord être analysés comme étant des cadres. Les personnels de première ligne sont ici les greffiers et CPIP, voire le surveillant présent. C’est toutefois forcer quelque peu le trait s’agissant du déroulement des CAP, dont nous avons vu qu’elles offrent l’occasion d’un fonctionnement horizontal et égalitaire. Toutefois, la LSC doit, pour être mise en œuvre, nécessiter des étapes intermédiaires. Crucial est ainsi le recueil du consentement par les CPIP et la mise en état par leurs services, avec l’aide du greffe pénitentiaire, comprenant notamment la production d’un rapport écrit, sur le contenu duquel nous reviendrons. Nous n’avons pas été hélas en mesure de suivre ces opérations, mais nous avons en revanche pu en observer le produit final, tant quant à la présentation orale par les CPIP que par l’analyse de rapports écrits sur trois sites. Nous avons également entendu des personnes condamnées faire état des modalités de recueil de leur consentement.

Le constat général est que la préparation des dossiers LSC constitue essentiellement une forme de « routine bureaucratique », pour reprendre les termes de Sabatier et Mazmanian. Cette activité est essentiellement documentaire (recueil du consentement écrit ; demande de production de justificatifs ; écriture d’un rapport) et ne porte pas sur la préparation même de la sortie (v. infra à reentry), ce, d’autant plus que la circulaire et la note de cadrage précitées invitent précisément à vider les aménagements de peine de leur contenu substantiel. Les avis oraux des CPIP sont plus souvent favorables que ceux des autres praticiens présents ; les avis favorables ne sont pas pour autant

167 fréquents. En dépit de l’évolution des SPIP à la fois vers un futur à moyen terme plus criminologique, imprimé par leur administration centrale (v. par ex. Direction de l’Administration Pénitentiaire, 2015 a et b), leur évolution récente a essentiellement été bureaucratique et juridique (de Larminat, 2012) ainsi que managériale (Dubourg, 2015) et c’est largement de cette réalité-là dont nous avons été les témoins. Sur ce plan au moins, la LSC semble avoir rencontré une réalité compatible avec ses pratiques et valeurs professionnelles actuelles qui tendent de plus en plus à faire de l’aménagement de peine plutôt que de l’accompagnement social de la sortie (Conférence de consensus, 2013 : 270).

La « routine bureaucratique » constitue au demeurant un trait partagé par l’ensemble des praticiens, lors des CAP LSC, si ce n’est lors de l’arrivée d’un nouveau JAP, lequel tend dans un premier temps à tenter l’expérience de manière neutre. La condition de « sens profond du service public » au cœur de la recherche en innovation, est présente chez la plupart des acteurs, mais prend de manière visible une dimension « McJustice » (Berman, 2000: 80, citant le Chief Justice Kathleen Blatz) au vu de ce que les logiques de flux (Dubourg, 2015) ont fini par imprimer dans l’exécution des peines, quand bien même les flux en cause dans la LSC sont finalement assez maigres, seul le débat contradictoire échappant encore à ce courant (H-Evans, 2013 c).

La LSC n’a pourtant pas manqué de promoteurs sous la forme de prises de position publiques en faveur des aménagements de peine automatiques (v. par ex. Raimbourg et Huygues, 2013) et par une enquête menée par le TGI de Créteil en 2014. Sur le terrain, toutefois, les praticiens sont au mieux neutres, au pire, hostiles à la LSC et nous n’en avons pas rencontré un seul qui en fasse la promotion, alors même qu’il s’agit là d’un élément absolument crucial sur le moyen et long terme, la tendance la plus courante étant, sur la distance, à ce que le soutien de l’innovation ou de la réforme s’atténue, tandis que l’opposition augmente progressivement (Sabatier et Mazmanian, 1980). Parmi les opposants, les JAP observés étaient généralement neutres au départ, mais rapidement désappointés et pour certains franchement hostiles. Selon le mot précité de Sabatier et Mazmanian (1980 : 499) : « les juridictions fortement opposées à la loi ont l’autorité nécessaire pour l’émasculer » et c’est clairement ce à quoi nous avons assisté sur deux sites de la part de deux des JAP au bout de quelques mois de sentiment de perdre leur temps face à des situations de condamnés non motivés et n’ayant nullement été préparés à la sortie et à des mesures purement bureaucratiques et vides de contenu. Il est vrai que les facteurs environnementaux étaient eux aussi quasiment tous négatifs.