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Facteurs tenant aux institutions elles-mêmes

Chapitre 4 : Données de terrain

B) Facteurs Institutionnels

1) Facteurs tenant aux institutions elles-mêmes

Nous avons évoqué la nécessité de mener des négociations préalables avec le terrain avant de diffuser une innovation. Ce type de condition est toutefois par essence délicat dans le cas de normes juridiques s’imposant par essence « d’en haut » et n’a par conséquent pas été rencontré en l’espèce. En revanche, nous avons observé que les praticiens ont négocié entre eux, par diverses réunions de cadrage, la manière dont ils allaient caler leurs interventions respectives. Ces réunions ont jeté les bases de manière fiable pour l’avenir et n’ont nécessité que quelques ajustements au fur et à mesure que d’autres difficultés sont apparues. La nature quasiment contractuelle et égalitaire de ces rencontres en a assuré l’efficacité.

Une stratégie de mise en œuvre doit en effet être prévue par la ou les institutions. Pour la LSC, ces stratégies se sont naturellement rencontrées sur le terrain, certaines d’entre elles, notamment celles relevant de l’administration pénitentiaire, devant agir dans un cadre plus contrôlé institutionnellement. La littérature a mis en lumière que des informations de très haute qualité devaient être diffusées avant la mise en œuvre effective, et ce, à temps. La circulaire et la note de cadrage précitées, si elles se sont autorisées des interprétations de la loi osées, comme nous l’avons souligné supra, pour autant, ces deux documents, et notamment le premier, plus précis techniquement, n’en ont pas moins constitué d’excellentes introductions techniques permettant de résoudre certaines difficultés. Nous verrons infra que les magistrats, dont il convient de rappeler qu’ils ne sont pas tenus par les circulaires émises par l’exécutif, dans un contexte de séparation des pouvoirs, ont adopté des positions diverses à l’endroit de leur contenu. La plupart ont toutefois été y piocher des conseils de mise en œuvre utiles. Hélas, toutefois, ces informations sont parvenues trop tard, soit à la fin du mois de décembre, alors que la LSC était en application depuis près de trois mois.

La littérature a également souligné toute l’importance de la formation et d’un coaching clinique par les cadres. S’agissant d’une réforme de nature juridique transmise à un ensemble de praticiens experts (magistrats) ou à tout le moins très confortables (personnels pénitentiaires et de probation) avec les normes juridiques, cette condition traditionnelle dans la diffusion de l’innovation ne nous semble pas aussi pertinente. Les praticiens peuvent en revanche rechercher dans la doctrine juridique, disponible dans les revues généralistes ou spécialisées, des éclaircissements complémentaires, ainsi qu’en échangeant entre eux sur la liste de diffusion Justpeines, ce dernier

point renvoyant à la nécessité de réseaux de diffusion entre pairs, également mise en lumière par la littérature.

Celle-ci a également montré que la mise en œuvre devait être réalisée par des institutions qui donnent à la réforme ou innovation une haute priorité. Côté magistrats, il est clair que les juridictions concernées n’ont pas accordé une priorité quelconque à la LSC. Tous les présidents de juridiction concernés ont certes l’œil sur le nombre total d’aménagements de peine ; qu’ils aient pour origine la LSC ou une procédure de droit commun leur importe peu. Institutionnellement, aucun aménagement de temps particulier n’a été attribué aux magistrats, qui ont dû absorber la LSC en plus de leurs autres charges, nous y reviendrons. Clairement la LSC n’était pas une priorité judiciaire. Pas plus ne l’était-elle en dépit de pressions nécessairement plus importantes dans le contexte très hiérarchisé des SPIP. Leur administration centrale a dépensé l’essentiel de ses efforts managériaux sur la peine de contrainte pénale et n’a véritablement commencé à s’intéresser à la LSC qu’alors que cette procédure était déjà en voie de déliquescence.

Les études présentées supra mettent ensuite en lumière que pour diffuser adéquatement les réformes et innovations, les institutions ne doivent pas fonctionner « en silo », soit isolément de la recherche et

des universités. Nous avons déjà évoqué la condition tenant à l’évaluation. Le lien à l’université va

toutefois au-delà, qui permet à la fois d’adosser l’innovation à la recherche empirique et d’éviter autant que faire se peut de faire reposer les innovations sur des théories causales défectueuses (v. supra). Nous avons vu que les universités permettent aussi d’assurer une meilleure fidélité de l’innovation à son modèle théorique. Le lien entre élaboration des réformes et recherche fondamentale comme empirique est notoirement ténu dans notre pays, lequel préfère s’appuyer sur des « boîtes à outils » et « idées neuves » détachées de la science, ou faiblement inspirées par celle- ci – et notamment sa complexité inévitable – ainsi que sur une multitude de rapports publics.

Pour la même raison, mais aussi parce que nous traitons ici non d’innovation institutionnelle ou technologique, mais juridique, la condition de triability, soit la phase de test permettant de tirer ensuite des conclusions sur la phase pilote, est rarement possible et ne l’aura pas plus été dans le cas de la LSC. Il est au demeurant juridiquement impensable de tester une procédure créée par voie législative et censée s’appliquer à tous, à moins que la loi n’en décide autrement elle-même. Rappelons qu’une phase de test avait été utilisée dans le cas du PSES – il est vrai contra legem – ce qui aura contribué fortement au succès de cette mesure, lui laissant le temps de rencontrer un public à l’origine réticent (v. H-Evans, 2016 : 443.81 et s.), et de réaliser une première analyse de sa mise en œuvre (Pitoun et al., 2003 ; Lévy et Pitoun, 2004).

Le succès d’une réforme est mieux assuré par un dépoussiérage des tâches inutiles, paperassières et concurrentes, mais aussi en supprimant les étapes processuelles inutiles. Rien de tel n’aura été perceptible sur le terrain, que ce soit côté magistrats ou côté SPIP et personnels pénitentiaires. Ni la loi, ni le décret d’application, ni les institutions concernées n’ont contribué à un tel dépoussiérage.

163 Au contraire, d’ailleurs, la loi elle-même a alourdi considérablement la tâche des agents de probation en les obligeant à rencontrer la totalité des condamnés, ainsi que celle des magistrats en les contraignant à statuer sur le cas des condamnés refusant de se soumettre à la procédure, et les textes infranormatifs, espérant sans doute leur forcer la main, les contraignant à statuer sur la LSC alors que des DC étaient en cours. Il n’y a pas plus eu de délestage des tâches annexes et chronophages accomplies par ces praticiens et, par exemple pour les JAP, de leurs autres activités en juridiction hors SAP.

L’on rappellera toutefois précisément que les réformes et innovations sont moins bien diffusées lorsqu’elles proviennent du haut et vont vers le bas (top-bottom ou top-down), ce phénomène étant toutefois inévitable en matière de réforme législative. Reste que pour le compenser, nous avons vu que les praticiens se sont organisés au niveau local pour tenter de préparer l’entrée en vigueur de la LSC (souvent dans des réunions communes portant également sur la peine de contrainte pénale), les praticiens étant certes très inquiets au regard de la charge de travail importante qu’ils auraient à endosser, mais faisant néanmoins initialement preuve de bonne volonté pour respecter la loi. Rappelons que le fond culturel commun à la plupart des praticiens est la culture juridique (y compris pour les personnels des SPIP : de Larminat, 2012), en sorte que quelles que soient les critiques formulées le cas échéant contre les réformes, une forme de légitimité intrinsèque leur demeure toutefois attachée.

Les rencontres interinstitutionnelles ont révélé des difficultés françaises importantes à collaborer, notamment, et surtout depuis la regrettable séparation des SPIP et des juridictions en 1999 (H-Evans, 2013 c et 2015 e) entre ces deux entités (Mouhanna, 2011 ; Cour des comptes, 2016) dont les effets se sont accentués à compter des réformes institutionnelles de 2008 (Dubourg, 2015 – comp. L’huilier, 2007). L’on se situerait dès lors loin des conditions d’une bonne collaboration, soit des rapports égalitaires et non point de nature autoritaire et hiérarchisée, ou disproportionnée, une institution étant plus forte que l’autre ou ayant une forte identité corporatiste (sur ce concept insuffisamment étudié l’on se reportera à Wiarda, 1997), un mal hélas très français (Cavadino et Dignan, 2005 ; Keeler, 1985). Néanmoins, nos propres observations à l’occasion de cette recherche, comme au demeurant d’une précédente (H-Evans, 2013 c), révèlent que la réalité est plus complexe et plus positive, et notamment s’agissant de situations de collaboration directe, celle-ci est moins oppositionnelle qu’on a bien voulu le souligner (Mouhanna, 2011), et le respect réciproque que nous avions relevé voici quelques années (H-Evans, 2013 c) est toujours globalement présent, en dépit de petites querelles ou rivalités. Le principe même de la CAP consiste à permettre à un juge de prendre ses décisions, après avoir recueilli le point de vue d’une multitude de partenaires et l’objet final est rarement perdu de vue. Certes, sur les quatre sites, la dimension « postures institutionnelles » a pu être ressentie sur l’un des sites (Site 3), avec des situations de rétention d’information (v. rapports du SPIP) et une distance relative sur un autre (Site 2) ; dans les deux autres, en revanche, elle était optimale, voire chaleureuse (Sites 1 et 4). A noter toutefois que sur le Site 3, les relations s’étaient fortement améliorées juste à la fin de la recherche avec un renouvellement important des CPIP ainsi que du JAP. Les rapports des nouveaux CPIP étaient bien plus consistants que ceux, souvent d’ailleurs

non transmis, des précédents, pour le plus grand plaisir du JAP et, de son côté, ce dernier manifestait régulièrement sa satisfaction par des félicitations et remerciements.

La dimension sans doute la plus intéressante des recherches sur l’implémentation et l’innovation est celle qui a trait à l’équité des institutions elles-mêmes, entendue dans le même sens que vis-à-vis des justiciables, soit au travers des critères de la « Voix », de la « Neutralité », du « Respect », du « Care » et des « Preuves (v. infra), ce, dans les rapports entre les agents et leur hiérarchie, entre le terrain et la hiérarchie centrale, cette dimension concernant bien entendu surtout l’administration pénitentiaire. Une telle étude ne relevait toutefois pas de l’objet direct de notre recherche. L’on ne trouve au demeurant pas dans la littérature de recherche ayant porté spécifiquement sur l’éthique institutionnelle. Notons toutefois que la LSC, comme au demeurant les CAP ordinaires et, lorsqu’ils sont présents et en sont le témoin au travers de la personne du chef d’établissement ou du DPIP, les DC offrent une remarquable occasion LJ-PJ-TJ inter-institutionnelle. La voix de chacune des personnes autour de la table, qu’il s’agisse d’un chef d’établissement, du parquet, du représentant de la détention ou d’un CPIP, compte de la même manière. Nous émettrons naturellement un avis bien plus défavorable concernant l’équité processuelle au regard des principaux intéressés, soit les condamnés ; reste que pour les rapports interinstitutionnels, il s’agit d’une remarquable occasion de faire circuler la « Voix » et de rendre ostensible le « Respect ».

Lié à l’équité, et dans la recherche elle-même, est l’autodétermination. Nous avons traité supra sur le plan théorique de l’autodétermination et de la motivation des personnes condamnées elles- mêmes. Evoquons rapidement ici celle des praticiens. Nous avons vu qu’une innovation se diffuse si l’autodétermination des praticiens est respectée et ceci implique que soit remplie à leur tour une série de conditions.

En vertu d’une première condition, les personnes doivent se voir offrir un choix authentique entre au moins deux options. Tel n’est hélas pas le cas avec la LSC, dès lors que celle-ci a même été imposée par voie de circulaire – dont les magistrats ne perçoivent étonnamment pas toujours qu’elle n’a pas de valeur normative – une compétition de la LSC sur le DC. Nous avons vu que bien qu’il soit saisi dans le cadre d’un aménagement de peine de droit commun, le JAP se voit prescrire de statuer sur la LSC si la CAP intervient antérieurement. Outre la perte de temps considérable que cela induit, cela traduit une forme de manipulation des magistrats, à l’opposé exact du respect de l’autonomie.

En outre, en vertu de la SDT, les deux options doivent avoir une valeur similaire, ce qui n’est naturellement pas le cas de la LSC comparée au DC, que ce soit en termes de qualité de la procédure, mais aussi de profondeur et de qualité substantielle. De même les agents de probation ont-ils l’obligation de « traiter » de l’ensemble des dossiers des personnes condamnées et de produire des rapports sur tous les éligibles, y compris alors qu’il est patent que rien ne permet de soutenir le dossier en cause et qu’il est voué à l’échec. En pratique, nous avons relevé qu’ils tentaient de retrouver une forme d’autonomie en décourageant les personnes en cause de consentir (« elle m’a dit c’est pas la peine, que j’l’aurais jamais ») ou en étant tout à la fois expéditifs, voire lacunaires dans leurs rapports et présentations orales. La dimension de langage soutenant l’autonomie évoquée supra ne saurait se retrouver dans des dispositions normatives par essence impératives ; il est plus

165 surprenant de ne pas la trouver dans les circulaires dont les JAP, quoi que non destinataires officiels, sont pourtant les principaux destinataires effectifs.

Nous avons déjà traité de la dimension « fondement » de la SDT, ce concept étant assimilable à celui de « théorie causale » des recherches en diffusion de l’innovation.

Les recherches sur la SDT rejoignent ces dernières lorsqu’elles insistent sur le fait que les institutions ne doivent pas être contrôlantes (Deci et Ryan, 1987). Cette condition est relativement bien remplie du côté des autorités judiciaires qui n’ont pas à souffrir d’une hiérarchie autocratique ; il est naturellement plus délicat pour les SPIP et autres praticiens pénitentiaires de conserver leur autonomie par rapport à l’institution, et au demeurant la culture française rejoint souvent cette aspiration à l’uniformité. Sur le terrain d’une région du Nord-Est de la France rarement visitée par les autorités parisiennes, toutefois, l’autonomie est relativement importante ; seule la hiérarchie immédiate ayant un regard continu sur les praticiens, au travers, par exemple, de la validation laborieuse et chronophage de chacun de leurs rapports.

Effectivement, la recherche sur l’implémentation et la diffusion a mis en lumière la nécessité de responsabiliser les praticiens et institutions concernant la mise en œuvre effective des réformes ; celles sur la SDT insistant sur l’autonomie des praticiens. En d’autres termes, si l’autoritarisme et la rigidité institutionnelle sont les ennemis de l’innovation, en revanche, un contrôle réel de l’action des praticiens est nécessaire ; la difficulté étant de trouver un juste équilibre entre liberté totale et autocratisme et entre suivi des pratiques et contrôle. Concernant les magistrats, le contrôle n’est certes pas hiérarchique, mais leurs décisions sont toujours susceptibles de faire l’objet d’un appel tant de la part de leurs destinataires que de la part du parquet. Le contrôle juridictionnel est au demeurant important, puisqu’il porte tant sur le droit que sur l’opportunité et l’analyse des faits. Sur l’un des sites, les décisions du JAP étaient régulièrement contestées et presque systématiquement infirmées par le président de la CHAP. De plus, en tant que juges du siège travaillant sous le regard constant du parquet, les JAP doivent contrôler tant leurs décisions que leurs propos et comportements, sous peine de perdre tout crédit auprès de ce pair-partie. Ces dimensions importantes ne sont hélas pas mentionnées dans les recherches sur l’implémentation et l’innovation, en dépit de leur poids considérable sur l’action des magistrats.