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Chapitre 2 : Revue de la littérature

B) Autodétermination des condamnés

La loi de 2014 prévoit qu’une mesure ne peut être accordée dans le cadre de la LSC que si la personne condamnée y consent. Initialement, toutefois, le projet de loi avait envisagé de ne point demander l’avis des personnes condamnées et de rendre la procédure automatique quoi qu’il en fût. La personne condamnée n’élabore cependant pas un projet, mais se borne à cocher une croix

indiquant de quel aménagement de peine elle souhaite, ou ne souhaite pas, bénéficier. Inversement, dans le cadre des demandes d’aménagement de peine de droit commun, la personne condamnée est actrice, dès lors qu’elle doit déposer une requête, dont elle aura élaboré le contenu avec divers interlocuteurs, sa famille, son avocat, le SPIP, le milieu associatif, voire les institutions de la société civile (Pôle Emploi par ex.). La requête inclut donc nécessairement un projet, non seulement du fait des conditions de fond des aménagements de peine, mais du fait de la procédure elle-même, laquelle suppose un engagement substantiel et autonome. En d’autres termes, la LSC réduit donc l’implication de la personne à un simple accord en vue de quelque chose à l’élaboration duquel elle n’a pas participé, là où le droit commun recherche l’engagement substantiel de l’intéressé. Cette différence fondamentale devait être explorée tant sur le plan empirique que sur le plan juridique.

1) Fondement empirique de l’autodétermination

Dans la littérature, deux sources peuvent être trouvées. Dans le champ criminologique s’est ainsi développée assez récemment une littérature relative à la « compliance », étant noté qu’il existe également une littérature médicale sur la compliance à laquelle il sera de temps à autre fait allusion. En criminologie, celle-ci est cependant seulement essayiste ou sociologique et si elle a élaboré des typologies intéressantes, et mis en lumière certaines difficultés propres aux auteurs d’infraction, pour autant, elle n’a pas su élaborer une authentique théorie de la volonté et de la motivation, reposant sur des bases empiriques incontestables. C’est du côté de la psychologie, mais en dehors, pour l’essentiel, des populations délinquantes, qu’une telle théorie a été élaborée, en s’appuyant cette fois sur des démonstrations authentiquement empiriques. Cette Self-Determination Theory (théorie de l’auto- détermination : SDT) est essentielle pour mieux mesurer les différents niveaux d’implication des personnes, et, surtout, envisager ce que cela peut générer en termes de compliance.

a) Etudes sur la compliance

C’est depuis le début du 21e siècle qu’a émergé une littérature essentiellement britannique de la compliance, dont les auteurs sont habituellement rattachés au champ de la désistance. Avant de présenter toutefois les typologies qu’ils ont élaborées, il est important de souligner qu’en médecine, une très abondante littérature existe également, montrant que la prise de médicaments et le respect des consignes des médecins (par ex. en matière de tabac, d’alcool, d’alimentation) sont au moins aussi peu observés en pratique (v. par ex. Maichembaum et Turk, 1987) que les mesures imposées aux délinquants par la justice pénale. En d’autres termes, l’âme humaine ne se plie pas volontiers à des contraintes extérieures qu’elle n’a pas elle-même générées ou intégrées, comme le confirme, nous le verrons, la SDT. Inévitablement, la médecine, comme la criminologie, distingue plusieurs niveaux de compliance : la compliance proprement dite, qui « renvoie au degré avec lequel le patient est obéissant et suit les instructions, interdictions et prescriptions des praticiens de santé » et, par ailleurs, l’adhésion, qui renvoie « à une implication collaborative plus volontaire du patient » (Maichembaum et Turk, 1987 : 20). Cette dichotomie, sans doute trop simple au regard de ce que l’on rencontre en réalité en pratique, renvoie néanmoins au cœur de notre problématique : la

86 soumission sans adhésion d’une personne au contenu même de la prescription ou obligation versus l’adhésion et collaboration avec la mesure ou le traitement.

Par tradition, les sociologues proposent fréquemment des typologies et c’est donc dans la criminologie britannique, essentiellement sociologique, que l’on peut trouver des typologies plus détaillées. Le sujet de la compliance a été mis en avant par des auteurs traitant habituellement de la désistance et ceci est d’un intérêt tout particulier pour notre recherche, dès lors que nous nous situons au stade de l’octroi d’aménagements de peine, dans un temps où la justice pénale et ses acteurs espèrent que des aménagements de peine pourront précisément contribuer au processus de désistance. L’article qui a lancé la recherche dans ce domaine émanait d’Anthony Bottoms (2001 – v. aussi 1999) ; il est cité par tous depuis lors. Partant d’une interrogation sur l’efficacité des peines et mesures en milieu ouvert, celui-ci proposait notamment de distinguer entre, en premier lieu, l’absence de nouvelle infraction tout court, puis l’absence de nouvelle infraction durant le suivi, preuve étant alors à faire qu’une autre mesure n’aurait pas obtenu le même ou un meilleur résultat ; puis, en deuxième lieu, le fait de tenir une mesure sans violation et ; en troisième lieu, le fait d’avoir réalisé les objectifs intermédiaires de la peine en matière de traitement (par ex. avoir réduit sa consommation d’alcool). Sur la base de cette première approche, il devait ensuite proposer une typologie des différentes formes de compliance, en s’inspirant notamment de la théorie de l’ordre social de Cohen (1968). Sa typologie se présente comme suit :