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Facteurs environnementaux et circonstanciels

Chapitre 4 : Données de terrain

C) Facteurs environnementaux et circonstanciels

L’ensemble des recherches en implémentation et diffusion insiste sur la nécessité pour qu’une réforme ou innovation soit mise en place correctement, que les ressources financières et matérielles

soient suffisantes pour faire face. Ceci renvoie tant à l’embauche de personnels, qu’à des financements permettant de réaliser les actions à mettre en place. Dans le cas de la LSC, la mise en œuvre de cette tâche complémentaire dont le propos était de traiter de la totalité des condamnés détenus au titre de la préparation d’aménagements de peine, nécessitait à l’évidence un apport important de personnels au sein des SPIP, afin de donner une épaisseur substantielle en mode reentry à cette réforme, que ce soit pour le volet milieu fermé, ou le volet milieu ouvert, au vu de l’accompagnement promis par l’affirmation de la nécessité d’éviter les sorties sèches. Il était patent qu’à moyen constant, cette procédure ne saurait avoir pour objet la préparation véritable de la sortie des personnes non touchées jusque-là par les aménagements de peine, mais uniquement leur insertion dans un processus juridique et documentaire. De leur côté, les JAP n’ont naturellement pas vu leur nombre augmenter. Pas plus leurs juridictions n’ont-elles réduit la part de leurs tâches autres que celles de la gestion de leur cabinet, comme par exemple en tant que juge correctionnel unique, assesseur au sein de la juridiction collégiale correctionnelle et au sein de la cour d’assises, et, pour certains, des activités de JAF et de juge délégué. Il s’en est suivi que mis à part sur le Site 2, où le nombre de personnes éligibles était suffisamment important pour tenir une CAP LSC mensuelle, dans les trois autres ressorts, ces CAP ont été coincées, pour ne pas dire broyées, après ou avant une CAP normale ou un DC (v. Tableau 13). La crainte d’être écrasés par un surcroît d’activité était au demeurant au centre des échanges entre personnels du SPIP et magistrats, lors de la mise en place de la réforme, les premiers attendant des seconds qu’ils concédassent un certain nombre de souplesses et abstentions, afin de rendre la LSC « viable », mais ceci contribuant plus encore à vider la procédure de sa substance. En pratique, d’ailleurs, pour réduire le poids de la tâche, les praticiens ont usé d’un certain nombre de techniques d’évitement. Nous avons vu que le JAP de l’un des ressorts avait réduit la durée de l’examen des dossiers à trente à quarante- cinq secondes, le premier praticien soulevant une raison de rejeter la mesure étant le seul à s’exprimer ; un autre JAP refusait de s’impliquer de manière active sur ces dossiers :

« En plus je m’y refuse car je considère que c’est quelque chose qu’on nous a donné en plus. Enfin, moi pour moi la libération sous contrainte c’est quelque chose qui nous est imposé à moyens constants. » (JAP 1)

De même et quand bien même nous n’en avons pas été les témoins directs, des condamnés non consentants nous ont expliqué avoir été découragés par le CPIP lors du recueil de leur consentement :

« Le CPIP m’a dit que ça servait à rien de consentir, que le JAP allait refuser donc j’ai suivi leur avis » (PPSMJ n° 10)

Au demeurant, la répétition sur deux des ressorts de situations ponctuelles, notamment dans des périodes de sous-effectifs ou de renouvellement des effectifs, avec quasiment 100% de non- consentant laisse supposer que ceci n’est pas qu’anecdotique.

Il est certain que si les ressources nécessaires avaient été dégagées pour mettre en œuvre la LSC de manière substantielle, ceci aurait offert la possibilité de politiques de reentry particulièrement pertinentes. Les publics touchés par la LSC sont par hypothèse ceux qui ont le plus de besoins criminogènes, que ce soit en termes d’addiction, d’emploi, d’isolement social et familial et d’attitudes et motivation. Un travail approfondi pour traiter de ces difficultés et assurer la transition avec le monde libre pour s’y poursuivre de manière adaptée aurait alors pu être réalisé, lui donnant

169 tout son sens aux yeux des acteurs comme des condamnés, lesquels ont tous témoigné de ce que la préparation de la LSC se limitait à un recueil de leur consentement et à leur demander de produire eux-mêmes des justificatifs.

La recherche insiste également sur l’existence de conditions économiques et sociales adéquates. Nul n’est besoin d’insister ici sur les difficultés économiques chroniques en France, et notamment dans les domaines de l’emploi et du logement, ceci frappant tout particulièrement les personnes condamnées (Liwerant, 2001 ; Kensey, 2012 ; Galbiati et al. – v. aussi pour l’Angleterre: Ministry of Justice, 2013 ; Social Exclusion Unit, 2002 ; Bell et al., 2015).

L’existence de partenaires locaux et d’une culture de la collaboration peut partiellement compenser les difficultés économiques et sociales. Toutefois, sur les quatre terrains observés, si de tels partenariats existaient – lesquels étaient particulièrement collaboratifs sur le Site 1 – leur activation concernait essentiellement les aménagements de peine de droit commun à l’exclusion de la LSC, celle- ci, nous l’avons déjà vu à plusieurs reprises, consistant essentiellement en une coquille juridique vide. En tout état de cause nous verrons que le temps imparti tant pour la préparation des mesures que pour le suivi qui leur fait suite est si réduit que les partenariats en cause n’auraient pas le temps de s’instaurer et a fortiori de produire le moindre effet. Nous avons également signalé que, dès lors, les PE destinés aux personnes à besoins psycho-sociaux et criminogènes multiples ne peuvent tout simplement pas être utilisés pour la LSC.

La recherche a révélé que le système juridique en tant que tel devait également être prêt à recevoir l’innovation. Dans le cas de la LSC, nous l’avons vu supra, les valeurs véhiculées par le système normatif, renvoyant à un double impératif de « sens » et d’équité processuelle, sont certainement malmenées par la LSC. Toutefois, celle-ci n’est pas non plus authentiquement nouvelle, puisqu’elle renvoie peu ou prou à un système déjà connu avant la juridictionnalisation (sur cette époque, v. par ex. Staechelé, 1995), la CAP, sur laquelle elle s’appuie, existant déjà, ainsi que tous les acteurs concernés, et les aménagements de peine possibles, déjà prévus en droit positif. Enfin, notre droit a déjà connu deux précédentes tentatives de simplification de l’octroi des aménagements de peine et les acteurs sont donc habitués à l’existence de procédures parallèles à la procédure de droit commun. En d’autres termes, sur le plan technique, le système juridique était prêt à recevoir la LSC et de ce simple point de vue, la mise en œuvre n’a pas soulevé de grande difficulté.

Nous avons toutefois souligné que les normes juridiques étaient incomplètes et que les deux textes infranormatifs susceptibles d’apporter des détails complémentaires furent transmis avec presque trois mois de retard. Le facteur temps est précisément un élément crucial en matière d’implémentation. A l’heure où nous écrivons ces lignes, la campagne des élections présidentielles bat son plein et, notamment suite aux attentats terroristes des années 2015 et 2016 et de la persistance de l’état d’urgence, le discours politique est en grande partie populiste et répressif. La situation géopolitique de l’Europe (crise des réfugiés, Brexit…) n’est pas plus de nature à favoriser des politiques publiques raisonnables et raisonnées. Déjà la loi n°2016-731 du 3 juin 2016 renforçant

la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale36 et la loi n° 2016-987 du 21 juillet 2016 prorogeant l'application de la

loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence et portant mesures de renforcement de la lutte antiterroriste37 ont impacté de manière très forte et très stricte l’exécution des peines. L’heure n’est

clairement déjà plus à l’octroi quasi-gratuit d’aménagements de peine. Or la recherche révèle combien il est important que de nouvelles politiques (pénales) ou des changements dans le contexte politico- économique ne viennent pas entrer en conflit ou renverser la réforme. Le risque quant à la LSC est fortement présent. Rappelons toutefois que la volonté de simplifier et fluidifier la sortie anticipée de détention a été présente des deux côtés de l’échiquier politique (2004 ; 2009 ; 2014) et qu’elle n’a pas été incompatible avec le durcissement inverse des aménagements de peine pour les personnes ayant commis des faits graves (not. Lois du 12 décembre 2005 ; du 10 mars 2010 ; du 10 août 2011). Les systèmes juridiques modernes se traduisent en effet de plus en plus par une

« bifurcation » selon le mot de Pratt (Pratt, 2002) empruntant à Bottoms (Bottoms, 1977, 1980: 6), soit un traitement sévère des longues peines auteurs de faits graves – dont Bottoms pronostiquait qu’ils seraient désignés par le terme aujourd’hui si pertinent en France de « dangereux » (v. par ex. Lazerges, 2012) – et un traitement industriel et non exigeant des courtes et moyennes peines (v. par ex. pour la Belgique : Scheirs et al., 2015) – que Bottoms appelle les « ordinaires » ou « lambda » (run-of-the-mill). Cette polarisation est réalisée sans égard pour les besoins criminogènes propres aux individus en cause, les courtes peines ayant souvent précisément de multiples besoins criminogènes. Pour ces derniers, hélas, Bottoms pronostiquait là encore très justement dès 1980 que l’on abandonnerait l’idéal de réinsertion préférant des mesures expéditives non coûteuses (Bottoms, 1980 : 18).

Précisément, les personnes condamnées sont elles aussi principalement concernées par la LSC. Les recherches sur l’implémentation oublient au demeurant souvent qu’il existe en réalité deux publics pour nombre de réformes : en médecine tant les patients que les médecins ; en matière pénale, tant les praticiens que les prévenus ou condamnés. Précisément, et nous le verrons infra, la proportion de non- consentants était chaque fois importante, allant d’un tiers à deux tiers, voire plus selon les ressorts et séances. Ainsi la JAP 3 nous expliquait-elle qu’elle avait deux tiers de non-consentants, ce que nous avons effectivement constaté, et indiquait :

« Et sur ceux qui restent, la plupart ne donnent pas les documents. Donc d’utiles vraiment à étudier, avant de dire oui ou de dire non, qui c’est-à-dire ont rendu un minimum, au moins un papier qui dit qu’ils sont hébergés à un endroit, enfin un justificatif d’hébergement, la dernière fois j’en avais vingt-deux mais j’avais que deux avec des trucs utiles. »

Se référant à la stupéfaction de mes étudiantes face au vide abyssal des dossiers des personnes passant en LSC, elle devait ajouter :

« elles ont halluciné hein quand elles ont vu les gars en face d’elles, mais même moi hein…on en a un, il est arrivé « qu’est-ce que vous faites, etc. ? » « Moi je fais rien hein ! Ils sont venus me voir, ils m’ont dit ça ; moi je peux sortir je sors ! » « Et pourquoi vous ne voulez pas travailler ? » « Non mais attendez je vais pas travailler gratuitement pour la prison ! »

171 Une métaphore appréciée des magistrats a été celle que je leur ai proposée :

« Le débat contradictoire c’est ceux qui réussissent en juin et les autres on sait tous, parce que nous c’est pareil, les sessions de rattrapage c’est une déperdition totale. On sait tous qu’on devrait supprimer la session de rattrapage, mais elle nous est imposée. »

Clairement les personnes condamnées éligibles pour la LSC s’étant abstenues de déposer une requête en aménagement de peine de droit commun étaient, dans leur vaste majorité, sans aucune motivation ni implication, tout en présentant pour beaucoup d’entre elles, de lourdes problématiques psycho- sociales, dont le traitement n’était ni en cours ni envisagé. Leur propre contribution au succès de la réforme a donc été purement et simplement nulle.

Au vu de l’ensemble des éléments que nous venons de traiter, il était patent que la mise en œuvre de la LSC ne pourrait être un franc succès. Une très rapide exploration conclusive inspirée des travaux de Proctor et alii (2009, 2010) achèvera d’en dresser le portrait en forme de résumé.

Tableau 12

Résumé partiel des résultats inspiré de Proctor et alii

Cadre théorique de la mise en oeuvre par les praticiens

Mise en oeuvre par les praticiens

Résultats sur les services concernés (SPIP, JAP,

greffe pénitentiaire)

Résultats sur les PPSMJ

Rogers, 2003: Complexité

+ avantage ou

désavantage de la

nouveauté

Acceptabilité: Les

praticiens pensent-ils que la LSC est satisfaisante? NON

Efficience

NON : Ajoute beaucoup de travail, ralentit le reste des activités, pour un résultat très pauvre. Satisfaction (des PPSMJ). Sont-elles satisfaites de la LSC ? Seulement lorsqu’elles ont été entendues et respectées Rogers, 2003: adoption et Triabilité Adoption: L’intention ou la décision initiale, ou l’action, d’essayer ou de mette en oeuvre… la procédure

Intention initiale: Oui Avec le temps: RESISTANCE

Sécurité. Non applicable. Fonction (quels objectifs

cela sert-il). En théorie l’insertion des détenus et

la réduction de la surpopulation. Rogers, 2003: Compatibilité (valeurs, etc.) Approprié. La perception que ceci est approprié et compatible avec les pratiques, les lieux, les personnels, les PPSMJ, et va véritablement traiter des problèmes posés NON

Efficacité. Cela produit-il des résultats adéquats ? NON : Ni sur la réinsertion Ni sur la surpopulation Symptomatologie (cela règle-t-il le problème de la réinsertion des sortants de prison, particulièrement les courtes peines?) NON : ni l’un ni l’autre

Rogers, 2003:

Compatibilité et triabilité

Faisabilité. Dans quelle mesure cela peut réussir

Equité. Réponse

dans le contexte de l’institution/actuel Unanime: NON processuel. Rogers, 2003: Compatibilité : suffisamment de ressources…

Taxman & Belenko:

Charges de travail…

Coût: coût de la mise en oeuvre financier ou autre.

Clairement perçu comme coûteux en temps et en énergie pour pas grand’ chose

Focalisé sur les PPSMJ. Ils sont l’objet de la réforme. Mais sont-ils vraiment au cœur du processus?

Théorie sur la probation dans le monde réel

Fidélité. Est-ce mis en oeuvre conformément à ce qu’avaient

prévu/voulu ses promoteurs. NON

Bon moment. NON

compte tenu des

problèmes de ressources matérielles et en personnel. Rogers, 2003 : c’est le principe même de la diffusion Pénétration. Intégration (et degré de) dans un service ou système. OUI par obligation. NON: pas d’adhésion + résistance passive/active

Rogers, 2003: facteur

temps ou

« confirmation »

Durabilité. Dans quelle mesure la nouveauté est

maintenue comme

faisant partie des

pratiques en cause. OUI par obligation: Mais a décru avec le temps.