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Automatiser les aménagements de peine ?

Chapitre 2 : Revue de la littérature

B) Automatiser les aménagements de peine ?

Nous avons vu que rien ne prouve que les aménagements de peine soient efficaces par nature et qu’ils ne le sont certes pas sous forme de coquille vide de préparation et d’authentique suivi. Pourtant, face à la surpopulation carcérale, en France et en Belgique, et dans le but de surveiller un maximum de personnes détenues à la sortie, en Amérique du Nord ou en Angleterre (v. par ex. Bottomley, 1990), la tentation est grande de systématiser ceux-ci, voire de les rendre obligatoires. Pour y parvenir, les Etats adoptent diverses formes de « probation obligatoire et automatique » et abandonnent le modèle de l’aménagement individualisé et préparé avec l’intéressé. La littérature étrangère qualifie ce dernier de modèle de l’aménagement discrétionnaire, terme que nous utiliserons donc parfois, quoi qu’il ne soit pas tout à fait exact, dès lors qu’il semble suggérer que la décision relève d’un caprice, plutôt que d’un examen en droit et en fait. Nous l’utiliserons toutefois en alternance avec le terme français de mesure « individualisée », qui décrit mieux la réalité. Derrière cette première dichotomie (automatique et obligatoire/discrétionnaire ou individualisée) se dissimule souvent une autre dichotomie entre décision prise dans des conditions administratives (modèle belge pour les courtes peines seulement) ou semi-administratives (par ex. la CAP) et, à l’opposé, une décision prise dans des conditions judiciaires (le JAP ou TAP français, belge, espagnol, italien ou sud-américain, ou les reentry court américaines) ou quasi-judiciaire (par ex. un Parole Board anglais ou américain). D’une façon générale, les mesures automatiques et obligatoires ou quasi automatiques et obligatoires, comme le législateur espérait que fût la LSC et naguère la SEFIP ou PSAP, sont plutôt prises dans un contexte administratif ou quasi-administratif, tandis que les mesures discrétionnaires sont plutôt prise dans un contexte judiciaire ou quasi-judiciaire (pour des définitions de ces divers concepts, v. H-Evans, 2015 g et pour un tour d’Europe : Padfield et al., 2010). Seul le second modèle peut dès lors intégrer le facteur essentiel dans la compliance qu’est le modèle procédural LJ-PJ-TJ.

110 les politiques choisissent un modèle discrétionnaire et peuvent y ajouter des normes très contraignantes visant à réduire le prononcé d’aménagements de peine, dans le but de satisfaire une opinion publique qui leur est très opposée. En d’autres périodes, ils peuvent souhaiter surveiller précisément un grand nombre de sortants de prison ou traiter de la surpopulation. Ces atermoiements expliquent par exemple que la Belgique ait initialement disposé d’un système entièrement administratif permettant à l’exécutif de conserver un contrôle sur les libérations, mais devait passer en 2006 à un système judiciaire et discrétionnaire afin d’améliorer la prise des décisions, système que, toutefois, elle ne devait jamais entièrement mettre en œuvre pour tous les détenus du fait de la surpopulation chronique. Aujourd’hui, seuls ceux purgeant une peine égale ou supérieure à trois ans sont concernés par le système judiciaire, tandis que le système administratif perdure pour les autres dans des conditions épurées qui rappellent d’ailleurs nos grâces collectives. De leur côté, les Pays-Bas avaient initialement un système administratif et automatique qu’ils supprimèrent au profit d’un système discrétionnaire, suite à un retournement de l’opinion publique de plus en plus opposée aux aménagements de peine. Des retournements à 380 degrés ont également eu lieu aux Etats-Unis à plusieurs reprises (v. Reitz, 2015). La nécessité de voir clair sur la pertinence et l’efficacité respective de ces modèles nous avait conduite à diriger un ouvrage publié en 2015 (H-Evans, b – en français et condensé : H-Evans, 2011 c), lequel devait opposer les modèles sous l’angle du droit pénal international, du droit comparé, de la criminologie empirique, de diverses théories criminologiques, mais aussi des pratiques comparées. La diversité de situations devait rendre, de manière prévisible, une conclusion claire et définitive délicate.

Si l’on se limite aux données empiriques, l’analyse est rendue plus malaisée encore : très peu d’auteurs ont analysé la question sous l’angle d’une comparaison de systèmes et leurs limites méthodologiques sont aussi importantes que celles des recherches ayant traité de l’efficacité des aménagements de peine dans leur ensemble et présentées supra. Une unique étude, au demeurant déjà citée, celle de Solomon et alii (2005), avec les limites méthodologiques déjà signalées, avait toutefois comparé trois situations : fin de peine sèche ; aménagement automatique ; aménagement discrétionnaire. Elle suggérait que les mesures prises dans des conditions individualisantes étaient un peu plus efficaces que les mesures accordées automatiquement.

Confirment aussi ces résultats les travaux des économistes français (Maurin et Ouss, 2009), lesquels ont comparé les condamnés ayant bénéficié d’une grâce présidentielle et ceux n’ayant pas pu en bénéficier du fait d’une libération intervenue avant la grâce. Leur conclusion est que cinq ans après la libération, la récidive des graciés était supérieure de 12% aux autres. Sous réserve de ce que les chercheurs n’aient pas été suffisamment clairs sur ce qui était concrètement advenu des non graciés (et notamment en distinguant selon qu’ils avaient eu ou non un aménagement de peine et lequel) ou en distinguant selon la durée de leur peine, la recherche semble confirmer que les mesures de libération anticipée non préparées correctement et non accompagnées suffisamment une fois les personnes libérées sont nuisibles. Il serait plus qu’hâtif de considérer que la LSC est quant à elle nécessairement une bonne chose, dès lors qu’à notre sens, et tout au contraire, elle est plus proche de la grâce présidentielle ( : pas de préparation suffisante en amont ni de suivi authentique ou soutien en aval) que d’un aménagement de peine de droit commun. Une voie n’ayant pas été explorée par les chercheurs et qui pourrait au demeurant être évoquée pour la LSC si, en pratique, les magistrats en avaient fait un usage massif, comme le souhaitait le législateur, tient à la théorie du conditionnement opérant sus-évoquée : les condamnés sont dans le cas d’une mesure accordée sans condition récompensés sans avoir réalisé le moindre effort, voire pour s’être mal comportés, ce qui conduit

immanquablement à renforcer lesdits comportements négatifs. Quoi qu’il en soit cette recherche confirme l’inefficacité de mesures de libération anticipée vides de contenu en mode obligatoire et automatique.

La plupart des autres recherches pertinentes pour la question soulevée ici n’ont en réalité pas comparé trois situations, mais deux : les fins de peine sèches et les aménagements de peine discrétionnaires. Tel était le cas de la recherche française de Kensey et Benaouda (2011), dont la méthodologie ne permettait certes pas de conclure de manière définitive, mais qui suggérait elle aussi que les aménagements de peine discrétionnaires à la française étaient plus efficaces que les fins de peine sèches. Quelques années plus tôt, c’était une recherche néo-zélandaise (Schlager et Robbins, 2008) qui avait conclu similairement que les aménagements de peine individualisés (discrétionnaires) étaient plus efficaces sur le nombre de ré arrestation, de re-condamnation et de réincarcération que l’absence totale d’aménagement de peine. En raison de sa méthodologie imparfaite toutefois, reconnue par les auteurs, elle ne permettait pas de conclure si ceci était dû à un biais de sélection, à la dissuasion ou au suivi.

La comparaison entre mesures discrétionnaires et fins de peine sèches a également été menée par l’économiste Kuziemko (2007, 2012) précitée, laquelle avait montré, dans des conditions cette fois méthodologiquement plus solides, que les LC individualisées et prononcées dans un contexte quasi- judiciaire équitable étaient plus efficaces que l’absence totale d’aménagement de peine.

En conclusion, c’est sur la base d’un ensemble encore insuffisant, mais convergent que nous pouvons conclure que les mesures individualisées sont plus efficaces que les mesures automatiques et obligatoires et les fins de peine sèche. Nous suivons en outre entièrement les propos d’Osterman, et considérons que des mesures sans préparation, contenu et intensité suffisants ne sont en réalité pas des aménagements de peine. A notre sens, elles méritent plus le qualificatif de quasi-grâces ou, plus juste sur le plan juridique de fins de peine sèches anticipées.