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L analyse multicausale et complexe va être systématisée par Wilkinson à travers la mise en relief d éléments constitutifs des systèmes productifs. La reconnaissance de l incertitude qui résulte de ce processus va à l encontre « d un raisonnement a priori sur la manière dont les économies devraient fonctionner ». La négation d un système économique prédéterminé et universel se fait dans l optique de souligner la pertinence d une approche empirique permettant de mettre en relief la combinaison de forces économiques, politiques et sociales. De cette façon, toute tendance vers un univers en équilibre est réfutée (Wilkinson, 1983). L inclusion d autres phénomènes plus larges et non exclusivement économiques permet en effet une compréhension plus étendue et réaliste du fonctionnement des économies.

Fidèle à la vision dynamique de l IWPLMS, Wilkinson explore les possibilités de changements au sein des systèmes productifs, par le biais de facteurs susceptibles de modifier les rapports de force ou les relations de marché tels que les conditions économiques, la technologie, la structure de la demande ou les politiques de l Etat. Les possibles résultats de ces transformations (le système peut changer une fois pour toutes ou, au contraire, générer une réponse subsidiaire qui prolonge le processus antérieur) vont dépendre du cas étudié et des éléments qui impulsent les modifications.

Cette approche empirique, proposée dans l optique de dépasser une analyse orthodoxe univoque appuyée sur les conditions d équilibre du système, peut trouver ses faiblesses dans

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l indétermination qu impose sa propre méthodologie. Pour Fine (1998), tandis que cette approche « désapprouve la notion prédéterminée, l unicausalité et la théorie abstraite ; l alternative d une analyse ad hoc en réponse à chaque sujet de rechercher historiquement contingent est également inacceptable »139. Dans sa critique aux travaux de l IWPLMS, Fine va jusqu à comparer leur démarche à celle de la théorie néoclassique dans le sens où leur approche consiste en l analyse de l interaction de plusieurs éléments. La différence réside évidemment dans l incorporation par les premiers d institutions et d autres éléments sociaux. Mais, dans les deux cas, aucune explication concrète n est donnée sur « les forces plus générales en jeu et comment elles interagissent pour arriver à des résultats spécifiques ». Pour l auteur la faille réside dans l impossibilité de construire une structure théorique qui se déplace de déterminants abstraits vers des déterminants concrets qui reflètent des forces économiques et sociales correspondant à des développements historiquement contingents.

Par exemple, Blueston et Stevenson (1981) étudient les transformations de l industrie du commerce suite aux transformations de ses structures (augmentation de la concurrence, plus grande concentration de la propriété, technologie, publicité) aux Etats-Unis à partir des années 1950. Leur conclusion leur permet de comprendre l augmentation des inégalités de revenu par des moyens différents aux caractéristiques individuelles (en effet, les évolutions signalées modifient la structure de l emploi), mais aussi de signaler que la segmentation du marché du travail « requiert l exploration approfondie des conditions spécifiques des transformation de l industrie au cas par cas »140.

Face à cette conclusion on a le droit de s interroger sur les capacités de généralisation et de la stabilité d une telle théorie qui se modifient selon l objet étudié. L étude empirique des particularités de chaque situation ne risque-t-elle pas de négliger les forces qui, en amont, structurent le processus de manière générale ? L instabilité du cadre théorique est signalée par Wilkinson (1983) en faisant référence à la méthodologie utilisée pour analyser les systèmes productifs. Une des caractéristiques de celle-ci, nous dit-il, est que le « cadre d analyse doit être testé et modifié si nécessaire à partir des résultats empiriques »141.

139 Fine (1998), p. 128. 140 Bluestone et Stevenson (1981), p. 45. 141 Wilkinson (1983), p. 414.

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De cette façon, face à une méthodologie hypothético-déductive proposée par l analyse néoclassique qui a comme axiome de départ l individualisme méthodologique, l IWPLMS propose une analyse inductive susceptible de mettre en évidence l interaction conjointe de multiples facteurs qui modifient en continu les structures du marché du travail. L observation empirique détermine le contenu du cadre théorique car il ne peut avoir de cadre a priori qui indique le fonctionnement de l économie. Fine (1998) signale donc que des tendances générales peuvent être mises en évidence, mais sans que les forces générales qui les déterminent soient révélées. Selon cet auteur, une des lacunes majeures est l absence d une vision globale du capitalisme mondial en tant que système. L inclusion du capitalisme mondial et des formes qu il prend au niveau national permet de considérer la nature de l accumulation du capital et les particularités d une économie donnée, ce sont des éléments qui structurent la globalité.

L utilisation de cette approche pour étudier les systèmes productifs des PED ne nous semble pas problématique dans la mesure où il s agit d une méthodologie assez large qui s appuie sur l observation empirique des phénomènes en jeu dans le mécanisme de segmentation. Cependant, il sera nécessaire d introduire des facteurs structuraux pour ne pas négliger la nature du capitalisme et ces effets structurants sur le système productif. Cette conclusion partielle rejoint celle faite lors de l étude des premières théories de la segmentation, concernant l analyse du marché du travail des PED étant donné leur fonctionnement selon des lignes situées entre la formalité et l informalité.

En conséquence, nous proposons une approche multidimensionnelle du marché du travail dans les PED, mais en considérant la caractéristique distinctive de ces économies, à savoir leur condition de dépendance. On verra que, dans le but d analyser les structures de l emploi et leurs déterminants, l approche dépendantiste permet de donner un ancrage théorique à l analyse de la segmentation selon les lignes présentées de l IWLPMS. Mais en même temps, la méthodologie dynamique et complexe est un complément idéal qui permet de dépasser les implications unicausales signalées par la théorie de la dépendance sur les relations de travail. L utilisation conjointe de ces deux théories complémentaires va donc permettre d enrichir les analyses sur ce sujet.

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