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Titre Adhérer au réseau international des FabLabs : quelles implications organisationnelles ?

5.2 LE FABLAB COMME OBJET DE RECHERCHE

Notre recherche s’intéresse aux FabLabs, membres du réseau international, dans leur dimension de configuration organisationnelle. Nous proposons dans un premier temps une mise en perspective historique de la construction de ce réseau et des principes qui guident l’organisation interne d’un FabLab.

5.2.1 GENÈSE D’UN RÉSEAU ET D’UNE CHARTE

Les FabLabs poursuivent comme but commun la démocratisation de la fabrication numérique personnelle et la création de communs de l’information et de la connaissance (Hess et Ostrom, 2003).

Le réseau des FabLabs trouve sa source au Center of Bits and Atoms (CBA42) du MIT

(Boston) dans une initiative lancée à des fins pédagogiques par son président, le professeur Neil Gershenfeld (Gershenfeld, 2012). À la fin des années 1990 ce physicien et informaticien créer un cours généraliste sur la fabrication numérique intitulé « How to Make (Almost) Anything » qu’il ouvre à un nombre restreint d’étudiants issus de diverses disciplines et est centré sur la fabrication personnelle. Un laboratoire de prototypage rapide (le MIT MediaLab) est créé pour l’occasion. Il est équipé de modèles peu coûteux des machines présentes dans les différents laboratoires de l’école. Agréablement surpris par les résultats, une partie de l’équipe du CBA reproduit ce format de laboratoire dans une structure sociale du centre-ville de Boston. C’est ce lieu ouvert à tous qui deviendra dès lors le premier FabLab, contraction de l’anglais Fabrication

laboratory, voire de « Fabulous Laboratory » (Mikhak et al., 2002 ; Walter-Herrmann et

Büching, 2013).

42Ce laboratoire explore les frontières entre bits et atoms notamment dans les nouveaux procédés de fabrication permis par les technologies numériques

Il est considéré qu’une des vertus des technologies numériques est leur capacité à « diffuser », « à reproduire » et « propager » (Gershenfeld et al., 2017). Aussi apparait l’intérêt de construire un réseau de lieux connectés entre eux, équipés des mêmes machines, partageant fichiers, savoirs, compétences et process ; le but est de créer des communs de la connaissance dans le domaine de la fabrication numérique, à l’image du monde du logiciel libre (Benkler et Nissenbaum, 2006 ; Troxler, 2010). Au début des années 2000, le format est répliqué en divers endroits du monde (Inde, Norvège, Ghana, etc.) dans des ateliers préexistants ou non. La promesse de ce réseau est de bousculer l’ordre industriel en ce que ces ateliers de prototypage rapide peuvent permettre aux populations de produire et réparer localement les objets dont elles ont besoin (Kohtala et Bosqué, 2014 ; Mikhak et al., 2002) : « un tel avenir représente un retour

à nos racines industrielles, avant la séparation de l’art et de l’artisanat, lorsque la production se faisait pour les individus plutôt que pour les masses. » (Gershenfeld, 2005 ; 8).

Gulati et al. (2012) identifient trois aspects essentiels de la construction des frontières d’un réseau inter-organisationnel : qui choisit les membres ? Sur la base de quels critères ? L’aspect exclusif ou non du réseau. Depuis sa création et à mesure que le nombre d’organisations membres a augmenté43, les modalités d’obtention du label « FabLab » et d’inscription sur la liste officielle ont changé à plusieurs reprises, toujours sous l’égide de l’équipe située au CBA (et notamment de Sherry Lassiter, devenue présidente de la FabFoundation à sa création en 2009). Depuis 2016, l’attribution du titre de FabLab fait l’objet d’une évaluation par trois Fabmanagers de la communauté. L’évaluation est basée sur des critères d’organisation et de gestion des lieux, en référence à des principes forts énoncés dans la charte édictée à la création de la FabFondation. Bien que le champ lexical mobilisé dans celle-ci ne soit pas celui du management, les principes évoqués sont de l’ordre de valeurs et normes de comportement (Grenard, 1996). Ils s’inscrivent de fait dans une problématique managériale concernant l’équipement, l’accessibilité du lieu, la participation au réseau global ainsi que le partage des réalisations – y compris commerciales.

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Depuis sa création le réseau affiche une croissance rapide et continue. « Les Fablabs (…) ont doublé en nombre chaque année et demie, ”(Gershenfeld et al., 2017 ; 6). Ils sont plus de 1200 inscrits sur la liste officielle au début

- Concernant l’équipement, la structure (fixe ou mobile) doit respecter une liste commune de celui-ci44 (machines à commande numérique, logiciels open source, outillage,…) ; l’enjeu est de permettre la reproduction des projets d’un FabLab à un autre à partir du partage de fichiers numériques. Chaque FabLab peut par ailleurs avoir des équipements complémentaires liés aux pratiques de sa communauté.

- L’ouverture au grand public est un principe fort : un FabLab est une ressource communautaire. Il doit proposer un accès libre et gratuit (ou presque) au moins une fois par semaine. Cet accès libre peut-être combiné à un accès sur inscription dans le cadre d’activités spécifiques.

- Le principe de participation au réseau international des FabLab porte une valeur mais dès lors aussi, une norme de « comportement » : un FabLab ne peut pas être une structure isolée. L’implication dans le réseau global peut se traduire par des collaborations avec d’autres FabLabs mais aussi par la participation aux programmes co-organisés par la FabFoundation (conférences annuelles, formations distribuées par la FabAcademy, …).

- La promotion du partage et d’une culture de l’ouverture au sein du FabLab, est un troisième grand principe. Un FabLab participe à la création collective de communs de la connaissance. Sa communauté doit partager aux autres la documentation permettant la compréhension et reproduction de projets.

- La charte précise enfin que si les activités commerciales peuvent être incubées dans un FabLab, elles doivent bénéficier à la communauté et se développer prioritairement à l’extérieur. « Designs and processes developed in fab labs can be protected and sold

however an inventor chooses, but should remain available for individuals to use and learn from”.(charte des FabLabs45)

Une grande latitude est laissée aux FabManagers quant à l’opérationnalisation de ces principes d’organisation. Il en est de même pour les évaluateurs.

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http://fab.cba.mit.edu/about/fab/inv.html

Corrélativement à ces principes d’organisation, l’association a développé plusieurs outils et mécanismes de coordination du réseau. La FabAcademy est un cours distribué et encadré selon un modèle pyramidal (chaque étudiant suit le cours depuis un FabLab du réseau et sous l’encadrement d’un alumni de la formation). Ce programme, reconduit chaque année, a vocation à former les FabManagers de l’ensemble du monde afin que ceux-ci partagent une culture et des pratiques communes. Par ailleurs, des rassemblements sont co-organisés chaque année par un FabLab du réseau et la FabFoundation. Ces évènements, qui réunissent un nombre croissant de FabManagers, peuvent être perçus comme des « « field configuring event » » (Lampel and Meyer, 2008) permettant la formation et le partage de bonnes pratiques et de codes communs. Les rassemblements, comme la formation, peuvent être lus comme des outils de standardisation des savoirs et savoir-faire, qui contribuent à diffuser des normes permettant que les FabManagers partagent un même ensemble de données et de croyances.

Pour certains, on assisterait là à une forme d’institutionnalisation des makerspaces avec la diffusion par le CBA d’un modèle d’organisation, renforcé par la réputation internationale du MIT (Lhoste et Barbier, 2016). Par-delà cette hypothèse, reste la question des modes de fonctionnement retenus par les FabLab, tant les principes énoncés dans la charte de la FabFoundation laissent un espace discrétionnaire pour les FabManagers pour l’implémentation concrète de ceux-ci.

5.2.2 DES PRINCIPES D’ORGANISATION

La littérature est foisonnante de travaux contribuant à mieux comprendre ces espaces émergents en proposant des typologies centrées sur les FabLabs (Eychenne, 2012) ou en les incluant plus largement dans des espaces ouverts de fabrication (Fabbri et al., 2016 ; Morel et al., 2018 ; Schmidt et Brinks, 2017). Ces travaux mettent en avant différentes orientations des makerspaces et plus particulièrement des FabLabs, en termes de mission principale et de publics d’utilisateurs. Ces orientations seraient liées au contexte juridique de la création du FabLab ainsi qu’à la nature de communauté (associative ou éducative) autour de laquelle ils se construisent (Walter-Herrmann, 2013, p42.) Ces différentes typologies invitent à distinguer trois principaux modèles de FabLabs : FabLabs business ou entrepreneuriaux, centrés sur l’innovation ; FabLabs communautaires ou associatifs, centrés sur l’apprentissage par les pairs et la démocratisation ; FabLabs éducationnels ou institutionnels, situés dans des structures éducatives.

Un certain nombre de travaux se centrent sur les FabLabs en tant que structure support de l’entrepreneuriat (Capdevila, 2015b ; Fonrouge, 2018 ; Guerra et De Gómez, 2016 ; Van Holm, 2015 ; Mortara et Parisot, 2018 ; Santos et al., 2018 ; Suire, 2016, 2019 ; Mortara et Parisot, 2016). D’autres les envisagent comme vecteurs d’innovations en sciences de l’éducation (Barton et Tan, 2017 ; Forest et al., 2014 ; Halverson et Sheridan, 2014 ; Sheridan et al., 2014).

Des travaux plus récents s’intéressent aux FabLabs du réseau à une échelle internationale. Dans une étude comparative des FabLabs italiens avec ceux d’autres pays d’Europe (Allemagne, Espagne, Hollande) et des Etats-Unis, Santos, Murmura et Bravi (2018) recensent notamment les technologies mobilisées dans 73 FabLabs. Ils montrent que, quels que soient les pays, les FabLabs respectent la liste des machines établie par la FabFoundation. Ils observent des singularités territoriales à l’échelle des deux continents observés. En matière d’équipement électronique notamment, les européens privilégient la technologie Arduino développée en Italie là où les américains sont plus diversifiés (technologies américaines ou chinoises). Suire (2018), dans une étude menée à un périmètre international, distingue deux catégories de produits réalisés dans les FabLabs : des projets de l’ordre du prototype, documentés et rendus accessibles et reproductibles ; des produits finis dans le cadre de spin-off. Il identifie des facteurs favorisant l’un ou l’autre des types de production selon l’intégration du FabLab dans son écosystème et l’existence d’interactions avec des entreprises de grande/petite taille ou les deux.

Sur la question de la construction de connaissances partagées relatives à la fabrication numérique - qui prend principalement la forme de documentation de projets -, des travaux pointent nombre de difficultés dans sa mise en œuvre (Troxler, 2010). Santos et al (2018) relèvent trois principales barrières rencontrées dans leurs communautés par les FabManagers : motivationnelle, sociale et technologique. Ces difficultés seraient renforcées par l’absence d’outils partagés par le réseau et notamment de plateforme commune et généraliste de communication et de documentation (Osunyomi et al., 2016). Pour être palliées, ces difficultés doivent faire l’objet d’actions managériales, peu étudiées par la littérature. Il en est de même pour les principes d’accessibilité et de participation au réseau.

Les FabLabs apparaissent ainsi comme des structures hybrides en ce qu’ils doivent d’une part répondre aux principes de la charte et d’autre part s’inscrire dans une réalité économique (Acquier et al., 2019 ; Haigh et al., 2015).

Comment ces principes (accessibilité, partage, participation au réseau et gestion des projets commerciaux) sont implémentés dans les FabLabs ?