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INTRODUCTION DE LA PARTIE

3.2 DEMARCHE GENERALE

3.2.1 LA DEMARCHE QUALITATIVE ET COMPREHENSIVE

3.2.1.1 Démarche qualitative et phénomène émergent

Le choix d’une méthodologie qualitative est particulièrement indiqué pour étudier un phénomène à la fois récent, complexe (Wacheux, 1996) et peu étudié (Hlady Rispal, 2002). Les méthodes qualitatives fournissent un moyen de développer une compréhension fine et orientée sur les processus en s’appuyant sur les perceptions et perspectives des acteurs au cœur du phénomène étudié (Miles and Huberman, 1994). C’est particulièrement le cas dans le cadre d’une approche compréhensive qui « s’intéresse aux discours tenus par les acteurs, aux

connaissances dont ceux-ci disposent sur les situations qu’ils traversent, à leurs pratiques et routines et à la façon dont elles évoluent. » (Dumez, 2016).

3.2.1.2 Démarche compréhensive et théorisation

Il est souvent admis, en sciences de gestion, que la recherche qualitative est peu efficiente lorsqu’il s’agir de tester une théorie, mais qu’elle s’avère en revanche utile et puissante pour apporter un éclairage nouveau sur des cadres théoriques existants ainsi que pour construire des cadres originaux. C’est ce qu’expliquent Shah et Corley (2006) selon lesquels :

« The primary benefits of qualitative methods are that they allow the researcher to

discover new variables and relationships, to reveal and understand complex processes, and to illustrate the influence of the social context. »

(Shah et Corley, 2006 ; 1824)

La démarche compréhensive peut être décrite comme « constituée essentiellement des

confrontations entre les effets prédits par la théorie et les effets observés dans un matériau empirique » (Dumez, 2016 ; 201). La démarche vise la mise en évidence de faits surprenants et génère de la théorisation par abduction.

Ce travail de thèse dans son ensemble s’inscrit dans une approche compréhensive qui nous a semblé adaptée, nos travaux visant à apporter une compréhension fine d’un phénomène contemporain (depuis son émergence), dynamique et relativement mal connu : les FabLabs comme configuration organisationnelle.

Nos questionnements sont structurés autour de deux enjeux cardinaux :

- cerner les attributs spécifiques de ce « nouveau » modèle organisationnel

- identifier les modes de coordination à même d’être favorables au maintien de la

collaboration dans un contexte d’émergence et de croissance ; et ce, à différents niveaux (inter-organisationnel et interpersonnel).

L’orientation de notre recherche se porte davantage sur la construction que sur le test et accorde plus d’importance aux liens entre les variables qu’à la généralisation des résultats. Pour ce qui est du niveau d’analyse visé, ce travail doctoral a une portée descriptive en ce qu’il vise à identifier les caractéristiques d’un phénomène : les organisations que sont les FabLabs, à travers l’étude de leurs modèles. Nous étudions spécifiquement les mécanismes de coordination qui sous-tendent les formes de collaboration à différents niveaux d’analyse.

3.2.1.3 Positionnement épistémologique

Dans le domaine des Sciences de gestion, une majorité de chercheurs s’accorde à considérer l’existence de deux grandes familles de paradigmes épistémologiques : la première rassemble les approches positivistes. La seconde regroupe les approches constructivistes, qui elles-mêmes se distinguent parmi un foisonnement de propositions dont l’abondance conduit parfois des formes de confusion voire d’antagonisme.

épistémologiques (statut de la connaissance) sur lesquelles il fonde ses travaux, que d’identifier les risques liés à sa démarche de recherche et d’expliciter les moyens mis en œuvre pour les limiter. C’est ce qu’il expose dans son ouvrage de référence sur cette approche :

« notre position est que les questions épistémologiques propres à la recherche

compréhensive ne relèvent pas d’un choix entre des paradigmes épistémologiques, mais de problèmes concrets, quoique difficiles à résoudre en pratique, tels que la circularité, l’équifinalité ou les êtres de raison »

(Dumez, 2016 ; 201). Nous abordons le traitement de ces trois risques dans la section 3.5 de ce chapitre.

3.2.2 DEMARCHE ABDUCTIVE ET OPPORTUNISME METHODIQUE

3.2.2.1 Une démarche abductive

En ce qui concerne le mode de raisonnement adopté, notre thèse de doctorat s’est construite sur une exploration hybride qui consiste à procéder par allers-retours successifs entre le matériau empirique et le cadre d’analyse. Ce cadre étant lui-même bâti sur des savoirs déjà admis. Cette démarche abductive qualifiée d’« échange continuel et rectificateur » entre les théories et l’empirique, présente plusieurs avantages (Dumez, 2016 ; Anderson, 1986). Dans le cadre de l’abduction, la question de recherche est guidée par un cadre général d’analyse, une « orienting theory » ou « Background theory » (Aliseda, 2006). Cependant, tout au long de l’étude, le chercheur peut procéder à un affinement du questionnement central et faire évoluer le canevas de la recherche. L’abduction permet ainsi l’approfondissement des connaissances antérieures, et la modification évolutive du cadre théorique adopté, afin d’aboutir à un cadre le plus congruent possible avec le matériau récolté (Thietart, 2014).

Dans le cadre de cette thèse, nous avons d’abord approché notre objet d’étude sous l’angle de l’innovation ouverte et des communautés épistémiques comme background theory. Nous avons opéré un glissement au cours du processus pour mobiliser la théorie de l’action collective sur la gouvernance des communs, la théorie des réseaux et l’approche par communautés de pratique, comme cadre d’analyse adéquat en lien avec le matériau récolté. Notons ici que nous avons toutefois veillé, au cours des premières phases de recherche, à être principalement centré sur l’exploration empirique, sans chercher à établir des connexions avec la théorie, comme le préconisent les auteurs canoniques de la Grounded Theory.

Il nous semble honnête de parler dans notre cas de démarche abductive et non de théorie ancrée bien que par certains aspects notre démarche de recherche se soit situés à la frontière de ces deux écoles méthodologiques.

3.2.2.2 Une forme d’opportunisme méthodique

Dans cette thèse notre approche qualitative et compréhensive s’est accompagnée d’une certaine flexibilité, soit de la possibilité de saisir et prendre en compte l’imprévu et, le cas échéant, de modifier la direction empruntée ou le terrain retenu : qu’il s’agisse de la structuration des études de cas sélectionnés ou de leur agencement. En cela, la démarche abductive a été combinée à une forme d’opportunisme méthodique tel que Girin (1989) le présente et invite à l’emprunter aux sciences de la nature, particulièrement dans un contexte de recherche-action. Selon cet auteur :

« Dans le domaine de la recherche sur la gestion et les organisations, il est clair que les événements inattendus et dignes d’intérêt sont propres à bouleverser n’importe quel programme, et que la vraie question n’est pas celle du respect du programme, mais celle de la manière de saisir intelligemment les possibilités d’observation qu’offrent les circonstances »

(Girin, 1989 ; 2). L’auteur développe une méthode spécifique basée sur la gestion et le contrôle qui accorde de l’importance à la mémoire. Nous n’avons pas développé ce type de méthodologie. Toutefois, Girin insiste sur l’importance de la négociation du sens de la recherche avec plusieurs acteurs. C’est ce que nous avons fait tout au long de la recherche, non pas en comité tel qu’il le préconise, mais en présentant régulièrement les avancées, résultats et questionnements en cours à un panel d’individus appartenant aux différents sous-groupes identifiés de la structure étudiée, et ce dans le cas des articles 1 (chapitre 4) et 2 (chapitre 5) principalement.

3.2.3 LE CHOIX DE L’ETUDE DE CAS COMME STRATEGIE DE RECHERCHE : DEMARCHE ET IMPLICATIONS METHODOLOGIQUES

3.2.3.1 Un cas général étudié selon plusieurs cas enchâssés

Yin (2013) identifie cinq principales méthodes de recherche qualitative : l’expérimentation, l’enquête, l’analyse d’archives, l’histoire et l’étude de cas. L’étude de cas, qui peut prendre des formes variées, est l’une des méthodes les plus répandues dans la recherche qualitative en sciences de gestion (Langley et Royer, 2006). Parmi les définitions de l’étude de

d’« une enquête empirique qui explore un phénomène contemporain, le cas, en profondeur dans

son contexte de vie réelle, spécialement lorsque les frontières entre le phénomène et le contexte ne sont pas évidentes. » (Yin, 2013, p16)

Yin différencie les études de cas unique des études de cas multiples. Il distingue également les cas caractérisés enchâssés de ceux définis comme holistique, ces derniers « portant sur une entité considérée en tant que telle, une sorte de réalité systémique dans

laquelle le tout et ses parties entretiennent des relations étroites et interdépendantes » (Dumez,

2016 ; 212). Or, selon Hervé Dumez « Il n’existe pas (…) de description exhaustive possible

d’un cas. Il faut donc déterminer ce qui va constituer l’intérêt du chercheur à l’intérieur du cas » (Dumez, 2016 ; 213). Notre démarche compréhensive à visée exploratoire repose sur

l’analyse du cas général des FabLabs à travers plusieurs cas à l’intérieur desquels nous avons choisi des niveaux d’analyse spécifiques.

3.2.3.2 Analyses processuelles fondées sur une approche longitudinale

Une analyse longitudinale est l’étude de l’évolution (ou de la non-évolution) d’un phénomène au cours du temps.

« D’un point de vue général, les études longitudinales visent à comprendre le déroulement d’un phénomène à partir de trois grands ensembles réunis au cours de l’analyse : le contexte, les actions des individus, et l’interconnexion temporelle entre les actions (Pettigrew, 1997) »

(Thietart, 2014 ; 408 ). Van de Ven et Poole (2005) distinguent deux principales approches de l’étude longitudinale. Les approches séquentielles (principalement basées sur des méthodes quantitatives) qui visent à observer la variance, soit le changement d’état entre deux (ou plus) périodes données. La seconde est l’approche processuelle pour laquelle Thietart (2014) propose la définition générale suivante :

« L’analyse processuelle traditionnelle recouvre un champ de la littérature où le phénomène est considéré au travers d’une succession d’état dont il convient de comprendre l’enchaînement et les mécanismes d’évolution »

(Thietart, 2014 ; 408). Les analyses de processus figurent parmi les méthodes qualitatives d’étude longitudinale souvent mobilisées en sciences de gestion (Van de Ven et Poole, 2005). Elles peuvent poursuivre une visée descriptive (comment ?) ou explicative (pourquoi ?). On distingue ainsi les études processuelles descriptives qui permettent de comprendre l’émergence d’un

phénomène, des études processuelles explicatives qui visent une compréhension des modifications d’un même objet dans le temps. Dans le cadre des études explicatives, il s’agit d’étudier comment l’évolution de l’objet étudié (ex : une organisation) peut être liée à l’évolution d’autres variables (ex : le nombre de membres dans l’organisation).

La conduite d’une étude longitudinale fondée sur une approche processuelle peut se faire au moyen de diverses méthodes. Nous avons combiné des méthodes de recueil de données dites

en temps réel (entretiens, observations) à d’autres rétrospectives (entretiens rétrospectifs, étude

de données secondaires). Nous avons cherché à construire des stratégies de récolte de données qui utilisent et tirent parti de la complémentarité possible entre ces deux types de méthodes afin de réduire leurs biais respectifs (Leonard Barton 1990) et d’obtenir un matériau certes hétérogène (Dumez, 2016) mais le plus complet possible.