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5.2 Contexte exp´erimental et construction d’un mod`ele r´eactionnel

5.2.1 Exp´eriences

La r´eduction du NO par H2 sur le platine s’est tr`es tˆot r´ev´el´ee comme un syst`eme r´eactif complexe capable d’engendrer un grand nombre de ph´enom`enes non-lin´eaires. En particulier, une ´etude par microscopie ´electronique `a effet de champ (FEM), publi´ee par le groupe de B. Nieuwenhuys il y a de cela pr`es de 20 ans, r´ev`ele d´ej`a l’existence de transitions explosives r´eactionnelles [85]. En chauffant lentement une pointe de platine pr´e-recouverte de NO, en pr´esence de H2(g), ils observent que l’´etat de la surface reste identique jusqu’`a une cer-taine temp´erature, `a laquelle une zone de r´eaction intense apparaˆıt brusquement au sommet de la pointe et se propage vers les bords de celle-ci. Etant donn´e l’orientation cristallographique de l’´echantillon, il est possible de d´eterminer que la r´egion dans laquelle le ph´enom`ene se d´eclenche correspond `a une face (001) du platine. Puisque la surface n’est pas aliment´ee continuellement en NO, ce dernier est rapidement consomm´e et le syst`eme arrive finalement `a un ´etat inactif. Cette exp´erience de «titrage» ne correspond pas, `a proprement parler, aux condi-tions de non-´equilibre telles que celles rencontr´ees par les catalyseurs r´eels. Elle repr´esente toutefois un premier indice important quant `a l’existence d’instabilit´es cin´etiques pour ce syst`eme.

Quelques ann´ees plus tard, deux groupes de recherche se penchent `a leur tour sur la r´eaction NO+H2, se concentrant cette fois sur la r´eactivit´e de la surface Pt(001) uniquement. Au d´ebut des ann´ees 90, M. Slinko et al et P. Cobden et al proposent tous deux une analyse syst´ematique de ce syst`eme dans des conditions de non-´equilibre, impos´ees par un maintien des pressions des r´eactifs et un pom-page continu des produits [28, 146]. Ces ´etudes sont alors principalement bas´ees sur la mesure de la vitesse de production des principaux produits (N2, H2O et NH3). A nouveau, un ph´enom`ene explosif transitoire est mis en ´evidence. Celui-ci peut ˆetre observ´e en augmentant la temp´erature d’un ´echantillon en contact avec les deux gaz r´eactifs ou en modifiant les pressions relatives de ceux-ci `a temp´erature constante. L’utilisation des diff´erentes techniques d’analyse permet de plus une ca-ract´erisation plus d´etaill´ee de cette transition explosive : durant celle-ci, la surface de platine, initialement dans un ´etat quasiment inactif, connaˆıt une brusque aug-mentation de la vitesse de production de N2 et H2O1. Une ´etude par PEEM, due `a Mundschau et Rausenberger [108], d´emontre de plus que cette transition est ac-compagn´ee par des fronts de propagation de r´eaction. A cette ´epoque n´eanmoins, l’attention des diff´erents auteurs se porte surtout sur des ph´enom`enes oscilla-toires, observ´es dans d’autres conditions param´etriques [28, 29, 67, 76, 146] ; il en va en fait de mˆeme pour les d´eveloppements th´eoriques qui ont suivi au milieu des ann´ees 90 [93, 94, 175]. Il faut de plus noter qu’il n’est pas possible d’´etudier par le biais de ces techniques l’effet ´eventuel des fluctuations de composition : leur r´esolution spatiale et temporelle est en effet trop pauvre. Heureusement, la r´eduction du NO par l’hydrog`ene a aussi ´et´e ´etudi´e quelques ann´ees plus tard par une technique sophistiqu´ees de microscopie : la microscopie ionique `a effet de champ ´electrique (Field Ion Microscopy - FIM). A l’aide de cette microscopie, N. Kruse et al ont analys´e en d´etail les comportements explosifs associ´es au syst`eme que nous consid´erons ici [23, 24, 163, 166, 167]. C’est sur base de leurs r´esultats que nous construirons le mod`ele r´eactionnel stylis´e : nous analyserons donc ceux-ci en d´etail, en commen¸cant par d´ecrire bri`evement le principe de la FIM2.

Dans le cadre de cette technique, l’´echantillon consiste en une pointe conduc-trice dont on met en image l’extr´emit´e. Celle-ci est d’une taille et d’une g´eom´etrie comparables `a celles des agglom´erats m´etalliques pr´esents dans les catalyseurs sup-port´es, le rayon de courbure de l’apex variant typiquement entre 5 et 100 nm. De par cette g´eom´etrie particuli`ere, les ´echantillons pr´esentent comme les particules des catalyseurs r´eels diff´erentes faces cristallographiques de r´eactivit´e distinctes et des configurations sp´ecifiques telles que des marches, des sites de cran, ... . La visualisation par FIM des d´etails morphologiques de la pointe est rendue possible

1La production de NH3reste, dans les alentours de la transition explosive, relativement faible.

2La description donn´ee ici est bien entendu succincte et simplifi´ee : pour plus de d´etails, le lecteur pourra se r´eferer aux ouvrages [24, 110].

en pla¸cant celle-ci `a un potentiel positif ´elev´e (∆V 220 kV) par rapport `a un ´ecran luminescent faisant office de contre-´electrode, situ´e `a quelques cen-tim`etres de l’´echantillon. A cause du champ intense cr´e´e dans les alentours du sommet de la pointe, les mol´ecules d’un ou plusieurs des gaz environnants (ap-pel´e(s) gaz r´ev´elateur(s)) peuvent ˆetre ionis´ees en c´edant par effet tunnel un ou plusieurs ´electrons en faveur du m´etal. Les ions positifs ainsi form´es sont projet´es vers la contre-´electrode o`u se cr´ee l’image, qui correspond en premi`ere approxi-mation `a une projection st´er´eographique de l’apex. Grˆace `a la divergence des trajectoires ioniques, une r´esolution spatiale pouvant aller jusqu’`a 0,2 nm peut ˆetre obtenue `a basse temp´erature. Ceci permet une caract´erisation `a la fois de la morphologie g´en´erale et de la structure atomique des pointes. De cette mani`ere, il est possible de mettre en ´evidence d’´eventuelles reconstructions structurelles de l’´echantillon durant la r´eaction. Un exemple de telle reconstruction est donn´e dans les Figures 5.5a et 5.5b prises `a basse temp´erature, respectivement avant et apr`es r´eaction, avec une cam´era CCD de haute r´esolution. La pointe, initialement h´emisph´erique, peut se reconstruire sous une forme polyh´edrique quasiment pyra-midale. Ce r´earrangement atomique du substrat n’est toutefois pas pr´esent dans toutes les observations et n’est pas un pr´erequis `a l’observation des instabilit´es cin´etiques sur lesquelles nous allons `a pr´esent nous concentrer [24].

Fig. 5.5. Micrographies FIM a) pour une pointe de platine propre (meilleures conditions de mise en image avec Ne sous un champ ´electriqueF = 35 V nm1et b) apr`es r´eduction de NO par H2 (pNO = 2,5×103 Pa, pH2 = 4,0×103 Pa). Les indices de Miller des principales facettes sont aussi indiqu´es.

Une ´etude de l’´etat de la surface est en effet aussi possible en conditions r´eactionnelles. Le microscope est alors habituellement utilis´e selon un mode de

«r´eacteur ouvert», de mani`ere `a maintenir constantes les pressions des r´eactifs (voir [24, 51, 163] pour plus de d´etails). Typiquement, pour les exp´eriences dont nous d´ecrirons les r´esultats, les gaz r´eactifs de haute puret´e (99,8 % pour le NO(g)

et 99,999 % pour l’H2(g)) sont d’abord introduits en l’absence de champ ; lorsque les pressions sont stabilis´ees, le champ est alors mis en place jusqu’`a obtention d’une image. Grˆace au syst`eme vid´eo de haute r´esolution temporelle (20 ms) dont est ´equip´e le montage, une analyse dynamique des ph´enom`enes se d´eroulant en conditions de non-´equilibre est possible : les ´etudes ainsi effectu´ees d´emontrent `a nouveau l’existence de ph´enom`enes explosifs.

Un exemple du type de ph´enom`enes observ´es est donn´e dans la Figure 5.6. Pour celle-ci, les pressions des gaz r´eactifs sont respectivement pNO = 2,5×103 Pa et pH2 = 4,0×103 Pa, la temp´erature ´etant de 525 K et le champ ´electrique en surface, fixe, de 8,7 V nm1. Notons que la pointe mise en image dans cet exemple pr´esente un apex de rayon de courbure de l’ordre de 19 nm, mais des ph´enom`enes semblables peuvent ˆetre observ´es sur des ´echantillons plus larges ou plus fins. Etant donn´e le faible champ ´electrique appliqu´e et la temp´erature ´elev´ee, la structure atomique de la pointe n’est pas directement accessible durant l’exp´erience. La situation initiale correspond plutˆot `a une image pr´esentant une r´egion de brillance mod´er´ee dans les zones situ´ees entre le pˆole (001) et les plans p´eriph´eriques (111). Cette r´egion forme un motif entourant la partie centrale du cristal, qui apparaˆıt quant `a elle comme une zone sombre en forme de tr`efle. Bien que cette configuration pr´edomine la plupart du temps, il arrive qu’un change-ment brutal de la brillance prenne place, comme illustr´e dans la Figure 5.6b. Une luminosit´e intense apparaˆıt et se propage ensuite vers le centre de l’apex (Figures 5.6c-e) ; le ph´enom`ene s’estompe finalement (Figure 5.6f) pour redonner naissance `a une configuration semblable `a celle de la Figure 5.6a. Cette instabilit´e, d’une dur´ee variant entre 100 et 200 ms, se reproduit r´eguli`erement (mais de fa¸con non-p´eriodique), de sorte que plusieurs heures d’enregistrement ont pu ˆetre effectu´ees. Il est important de remarquer que le temps s´eparant deux ph´enom`enes explosifs cons´ecutifs n’est pas constant, mais est statistiquement distribu´e. Notons finale-ment que ces transitions sont observ´ees pour de vastes gammes de pression et de temp´erature.

Par analogie avec la structure de la pointe en conditions propres (Figure 5.5a), il semble que ce processus est initi´e au niveau des plans{012}de la surface. Cette comparaison est toutefois rendue difficile par le fait que la pointe peut subir des reconstructions importantes de sa structure, comme nous l’avions mentionn´e. De r´ecentes analyses ont d’ailleurs d´emontr´e que cette instabilit´e cin´etique n’est pas li´ee `a une facette cristallographique particuli`ere, mais plutˆot `a n’importe quel groupe d’atomes m´etalliques dans la zone [100] [23, 24]. Dans certains cas, la brillance importante peut ˆetre d’ailleurs initi´ee dans le plan (001), de mani`ere comparable aux observations de Nieuwenhuys : un anneau brillant apparaˆıt alors initialement dans cette face et se propage vers l’ext´erieur de la pointe. Dans tous les cas, n´eanmoins, le ph´enom`ene se propage ensuite le long de la zone [100] en direction du plan (001) central `a une vitesse de l’ordre de 0,5 `a 1µm s1.

Fig. 5.6. Cette s´equence de micrographies illustre le ph´enom`ene d’explosion de surface observ´e `aT = 525 K pour des conditions identiques `a celles de la Figure 5.5b avec un champ ´electrique F = 8,7 V nm1. Le temps est respectivement de 0, 20, 60, 100, 140 et 180 ms.

Une interpr´etation de ces r´esultats est possible grˆace `a l’´etude de la brillance locale et `a l’utilisation de sondes atomiques permettant d’analyser la composition de la surface en conditions r´eactionnelles. Celles-ci nous apprennent tout d’abord que le gaz r´ev´elateur, g´en´erant donc la brillance de l’image, n’est autre que l’un des r´eactifs : le NO(g). L’anisotropie dans la brillance de la situation initiale (Figure 5.6a) peut sur cette base s’interpr´eter comme une cartographie de la probabilit´e d’ionisation du NO(g). En analogie avec le cas de la r´eaction CO+O2 ´etudi´ee par FIM sur le platine, il a ´et´e conclus que les zones de brillance mod´er´ee correspondent donc `a une surface localement recouverte partiellement en oxyg`ene3 et que les zones sombres sont des r´egions de haut recouvrement en NO. La forte brillance caract´erisant le ph´enom`ene d’ignition s’accompagne d’une brutale augmentation du courant ionique en esp`eces NO+, correspondant donc `a une surface quasiment exempte d’adsorbats (la probabilit´e d’ionisation du gaz r´ev´elateur sur une surface vide est en effet plus ´elev´ee). De plus, il est possible d’associer `a cette transition

3Certains mod`eles th´eoriques pr´evoient en effet la possibilit´e d’ionisation `a travers une couche de mol´ecules adsorb´ees.

la formation de grandes quantit´es d’eau ; en contrepartie les sondes atomiques utilis´ees ne d´etectent pas la formation d’oxydes d’azotes ou d’ammoniaque en quantit´es importantes. Il faut finalement noter que, durant le processus explosif, des quantit´es variables d’oxyg`ene sont d´etect´ees sur les diff´erentes zones de la surface.

Pour r´esumer, nous pouvons conclure de ces ´etudes que les ph´enom`enes explo-sifs observ´es pour le syst`eme NO+H2/Pt correspondent `a de brusques transitions entre un ´etat de surface fortement recouvert par NO et un substrat quasiment vide. Ces transitions explosives sont accompagn´ees d’une importante production d’eau et d’azote suivies, dans le cas de l’analyse par FIM, d’un retour graduel vers la situation initiale. Sur base de ces informations, nous tenterons `a pr´esent de construire un mod`ele minimal pour la dynamique r´eactionnelle.