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Nous avons ´etudi´e dans ce chapitre le rˆole jou´e sur la propagation d’ondes de concentration par la dynamique r´eactionnelle non-lin´eaire et non-locale typique des processus de surface. Nous limitant au cas de sph`eres dures sur un r´eseau unidimensionnel, nous avons montr´e que le couplage spatial induit par ce type d’interactions introduit dans le syst`eme des ´echelles de temps et d’espace radica-lement diff´erentes de celles attendues d’apr`es des ´equations de r´eaction-diffusion classiques. En particulier, les exemples choisis ont permis de mettre en ´evidence que la vitesse, le sens de propagation et la forme des fronts de r´eaction peuvent fortement diff´erer des pr´edictions traditionnelles dans le cas o`u la probabilit´e de diffusion des adsorbats est faible ou comparable `a celle des processus r´eactifs non-lin´eaires. Une analyse de l’´equation d’´evolution m´esoscopique tronqu´ee au pre-mier ordre nous apprend que ces d´eviations sont interpr´etables en termes de la cr´eation, par les ´ev´enements r´eactifs, de termes de couplage spatial absents dans les ´equations usuelles : la limite continue de cette ´equation permet de plus une ´etude plus pouss´ee et une estimation analytique de ces effets. Les d´eviations observ´ees entre les pr´edictions de cette approche analytique et les simulations de Monte Carlo s’interpr`etent ais´ement en terme des corr´elations spatiales n´eglig´ees. Des simulations comparable ont aussi ´et´e effectu´ees pour des syst`emes bidimension-nels, o`u les corr´elations sont typiquement moins importantes qu’`a une dimension : dans ces cas, que nous ne pr´esenterons pas ici en d´etail, la concordance entre les pr´edictions de l’´equation DNL et les simulations est alors encore meilleure.

Les extensions possibles de ce travail sont nombreuses. Avant tout, il serait utile de clarifier la nature des ´equations DNL et DNLC du point de vue de la thermodynamique ou de la m´ecanique statistique de non-´equilibre, en ce compris les conditions n´ecessaires `a l’existence d’une fonctionnelle potentielle associ´ee. De plus, l’´etude de syst`emes similaires sur des r´eseaux de plus haute dimensionna-lit´e devrait ˆetre men´ee pour d´eterminer si le comportement du champ moyen est retrouv´e ou si des d´eviations subsistent. L’introduction d’interactions lat´erales plus complexes pourrait se r´ev´eler elle aussi enrichissante dans l’optique de la mod´elisation de syst`emes r´ealistes. Dans ce type de probl`emes, les corr´elations spa-tiales risquent d’ˆetre plus importantes de sorte qu’il serait souhaitable d’´etendre les

´equations dynamiques non-locales de mani`ere `a inclure ces derni`eres, en adoptant une troncation des ´equations d’´evolution exactes d’ordre plus ´elev´e.

Du point de vue des applications, les r´esultats expos´es dans cette section pour-raient servir de base `a la compr´ehension de certains comportements inattendus observ´es dans des exp´eriences ou des simulations microscopiques des r´eactions de surface [3, 26, 27, 32, 54, 128, 132, 140, 141, 142, 159, 160]. Au-del`a de ces syst`emes qui forment notre principal centre d’int´erˆet, il faut noter que la diffu-sion non-lin´eaire et la discr´etisation de l’espace rencontr´es ici interviennent aussi dans la mod´elisation de processus d’int´erˆet biologique. Une d´ependance de co-efficients de mobilit´e en les densit´es des esp`eces apparaˆıt par exemple dans des probl`emes de dynamique de populations tels que les effets de rassemblement et la chimiotaxie [109]. Nos travaux sugg`erent que les ´equations de r´eaction-diffusion habituellement utilis´ees entre autres dans la mod´elisation de syst`emes ´ecologiques ou ´epid´emiologiques [36, 137, 156], de dynamique des populations [4, 80, 105, 147], ou la croissance bact´erienne [14, 99] doivent ˆetre amend´ees lorsque la mobilit´e des esp`eces impliqu´ees est faible. En particulier, la transmission d’information dans les syst`emes compos´es d’unit´es immobiles (tels que neurones ou cellules [22, 88, 134]) pourrait reposer non seulement sur une communication spatiale utilisant la diffu-sion mais aussi sur des interactions chimiques directes et non-lin´eaires [6].

Mod´elisation de la r´eaction NO +

H

2

sur platine : bistabilit´e et

ph´enom`enes explosifs pour un

mod`ele stylis´e

Comme nous l’avons mentionn´e dans le chapitre introductif, le d´eveloppement des techniques exp´erimentales durant les trois derni`eres d´ecennies a permis un formidable essor de l’´etude des r´eactions catalytiques. De nombreux ph´enom`enes complexes ont ainsi ´et´e mis en ´evidence, parmi lesquels des auto-organisations, des instabilit´es cin´etiques, des multiplicit´es d’´etats, des oscillations, du chaos, etc [67]. La mod´elisation th´eorique de tels comportements repose le plus souvent sur l’approximation du champ moyen, menant `a des ´equations de r´eaction-diffusion pour les recouvrements en les diff´erents adsorbats. A cause des contraintes spatiales dues au support et de la non-lin´earit´e des processus ´el´ementaires, nous savons toutefois que cette approximation peut se r´ev´eler inad´equate : les fluctuations inhomog`enes de composition qui apparaissent spontan´ement dans le syst`eme sont en effet difficilement amorties et peuvent s’amplifier jusqu’`a fortement influencer la dynamique [7, 122, 152].

Un rapide tour d’horizon de la litt´erature nous apprend que l’´etude de l’in-fluence des fluctuations inhomog`enes sur les r´eactions de surface s’est jusqu’`a pr´esent principalement focalis´ee sur trois aspects : la modification des propri´et´es stationnaires, la propagation de fronts entre ´etats stables et l’´emergence d’oscil-lations coh´erentes. Parmi les ph´enom`enes pass´es sous silence, le cas des transi-tions explosives isothermes n’a, en particulier, pas encore ´et´e ´etudi´e de mani`ere syst´ematique. Il s’agit de ph´enom`enes transitoires caract´eris´es par une longue p´eriode d’induction durant laquelle les concentrations restent quasiment constantes, suivie d’une brusque acc´el´eration de la dynamique et d’un changement brutal

de la composition menant `a un ´etat stationnaire final (voir Figure 5.1). Une telle carence est ´etonnante pour au moins deux raisons, qui sugg`erent l’impor-tance d’une mod´elisation correcte de ceux-ci. Tout d’abord, il nous faut noter que de nombreuses exp´eriences de chimie physique des surfaces d´emontrent la pr´esence de ph´enom`enes explosifs, qui s’accompagnent le plus souvent d’une mo-dification importante de la r´eactivit´e. D’un autre cˆot´e, les transitions explosives sont connues pour ˆetre, de fa¸con g´en´erale, particuli`erement sensibles aux fluctua-tions : la g´eom´etrie restreinte des surfaces, comme nous l’avons mentionn´e, risque de mettre encore en exergue l’effet de celles-ci.

Nous nous proposons dans ce contexte d’´etudier l’effet des fluctuations in-homog`enes sur la dynamique explosive d’une r´eaction se d´eroulant sur support de g´eom´etrie restreinte. Notre d´emarche dans ce sens se base sur l’analyse d’un mod`ele simple inspir´e d’un syst`eme exp´erimental pour lequel des ph´enom`enes ex-plosifs isothermes ont ´et´e observ´es : la r´eduction du NO par H2 sur le platine. Nous ´etudierons la cin´etique g´en´er´ee par le mod`ele, d´eriv´ee dans l’approximation du champ moyen et selon des simulations de Monte Carlo, respectivement, afin de mettre en ´evidence le rˆole jou´e par les fluctuations et le support. Nous aurons aussi pour objectif de comprendre et quantifier ces effets ´eventuels sur base de l’´equation maˆıtresse associ´ee `a la dynamique stochastique.

Le chapitre se subdivise de la mani`ere suivante. Dans la section introductive, nous rappelerons quelques g´en´eralit´es sur la description th´eorique des ph´enom`enes explosifs isothermes. Dans la section 5.2, nous r´esumerons les principales conclu-sions exp´erimentales concernant l’observation de transitions explosives pour le syst`eme consid´er´e et nous en d´eduirons le mod`ele r´eactionnel. La troisi`eme sec-tion sera consacr´ee `a l’´etude du mod`ele dans l’approximasec-tion du champ moyen mol´eculaire, permettant une premi`ere caract´erisation des propri´et´es intrins`eques de celui-ci. Nous nous y attardons en particulier sur les conditions d’existence d’une bistabilit´e et sur les propri´et´es g´en´erales des transitions explosives. La sec-tion suivante se penchera sur la dynamique obtenue par l’interm´ediaire de si-mulations cin´etiques de Monte Carlo. Ces sisi-mulations mettent en ´evidence un d´eplacement des ´etats stationnaires et une modification des propri´et´es des transi-tions explosives, dont nous ´etudierons les origines. Afin de rendre compte de ces d´eviations, nous nous attarderons dans la cinqui`eme section sur une approxima-tion de l’´equaapproxima-tion maˆıtresse (approximaapproxima-tion de Kirkwood) permettant de quanti-fier et comprendre les d´eviations observ´ees. La derni`ere partie de ce chapitre nous permettra de synth´etiser les r´esultats obtenus et de discuter de l’importance de ceux-ci.

5.1 Introduction aux ph´enom`enes explosifs iso-thermes

Les transitions explosives isothermes forment certainement l’illustration la plus simple des ph´enom`enes complexes associ´es aux r´eactions non-lin´eaires. Elles sont caract´eris´ees par une dynamique particuli`ere que nous pouvons d´ecomposer en trois phases successives (voir aussi la Figure 5.1) : une p´eriode d’induction, ca-ract´eris´ee par une ´evolution lente de l’´etat du syst`eme, une phase de transition durant laquelle cet ´etat change brusquement et finalement unesaturation menant lentement vers l’´etat final du processus.

Temps

Variable de composition

induction transition saturation

Fig. 5.1. Repr´esentation sch´ematique d’une transition explosive, portant l’´etat du syst`eme en fonction du temps.

D’une certaine mani`ere, les conditions n´ecessaires `a l’apparition de tels ph´eno-m`enes sont moins sp´ecifiques ou restrictives que celles associ´ees `a des comporte-ments plus complexes tels que les oscillations, le chaos, etc., de sorte que des tran-sitions explosives peuvent mˆeme ˆetre observ´ees dans un r´ecipient ferm´e pour des r´eactions exothermiques `a haute ´energie d’activation. La simplicit´e du ph´enom`ene se ressent aussi au niveau de sa description math´ematique, puisque des mod`eles `a une seule variable suffisent `a engendrer des transitions de ce type. Des transi-tions explosives sont rencontr´ees donc dans de nombreuses situatransi-tions : explosion thermique ou chimique, nucl´eation et croissance dans une phase m´etastable, dy-namique de populations, etc.

Notre attention se portera toutefois exclusivement sur les transitions chimiques isothermes hors de l’´equilibre, conditions correspondant au mode de fonctionne-ment traditionnel des r´eactions de chimie physique des surfaces. Dans ces

condi-tions, les ph´enom`enes explosifs sont habituellement associ´es `a la pr´esence d’une multistabilit´e d’´etats stationnaires, c’est-`a-dire `a la coexistence simultan´ee (pour une mˆeme valeur des param`etres exp´erimentaux) de plusieurs ´etats stables. Dans de telles situations, le choix de l’´etat stationnaire dans lequel se trouve le syst`eme d´epend alors essentiellement de la pr´eparation de celui-ci, de son histoire en quelque sorte. Les multistabilit´es se caract´erisent par un diagramme d’´etat pr´esen-tant une hyst´er´esis (voir la repr´esentation sch´ematique de la Figure 5.2), `a savoir un domaine o`u coexistent ´etat stables et instables et d´elimit´e par deux points de re-broussement (λ1 etλ2 dans le graphe). Si le syst`eme est initialement pr´epar´e dans des conditions correspondant `a un des ´etats stationnaires, mais l´eg`erement en-dehors de la zone d’existence de celui-ci (voir par exemple la Figure 5.2 :λ < λ1), toutes les conditions sont requises pour observer une transition explosive : dans un premier temps, l’´etat ´evolue peu puisqu’il «ressent » en quelque sorte la proxi-mit´e de sa propre zone d’existence ; toutefois une transition brutale vers le seul ´etat stationnaire existant est in´eluctable et engendre des explosions telles que celles repr´esent´ee sch´ematiquement dans la Figure 5.1.

λ1 λ2 λ

Variable de composition

λ<λ1

Fig. 5.2. Cette figure est une illustration stylis´ee d’une hyst´er´esis pour les ´etats station-naires d’un syst`eme. Entre deux valeurs du param`etre de contrˆoleλ, correspondant aux points de rebroussement de l’hyst´er´esis, deux ´etats stationnaires stables (ligne pleine) et un ´etat stationnaire instable (ligne discontinue) coexistent.

Un ph´enom`ene explosif peut ˆetre caract´eris´e par quelques grandeurs repr´esenta-tives. Le temps d’induction tind, tel que repr´esent´e dans la Figure 5.3, indique le temps n´ecessaire `a l’enclenchement de la transition explosive. Le temps d’ignition

tign est lui d´efini comme le temps n´ecessaire `a la transition proprement dite, que nous d´efinissons au point de changement de courbure de l’´evolution de l’´etat du

syst`eme. Finalement, le temps de transitionttr repr´esente le temps n´ecessaire pour atteindre l’unique ´etat stationnaire final. A l’aide de ces grandeurs, une propri´et´e importante peut ˆetre analys´ee, l’explosivit´e de la transition, ε = tind/(ttr −tind) repr´esentative du degr´e de s´eparation des ´echelles de temps durant le processus : lorsque εÀ1, la transition est brusque et peut ˆetre consid´er´ee comme explosive.

Temps Variable de composition tign ttr tind xf xi

Fig. 5.3. Cette figure sch´ematise la d´etermination des temps d’inductiontind, d’ignition

tign et de transitionttr pour un ph´enom`ene explosif. Dans celle-ci,xi etxf repr´esentent les compositions initiale et finale du syst`eme, respectivement.

De mani`ere g´en´erale, la th´eorie des bifurcations pr´evoit que tous les syst`emes homog`enes capables de g´en´erer des comportements explosifs peuvent se r´eduire, dans les alentours du point de bifurcation (par exemple λ1), `a une ´equation du type [113]

d

dtz = (λλ1)q2z 2

dans la limite d´eterministe (en absence de fluctuations), o`uz est une combinaison des variables du syst`eme, λ le param`etre de contrˆole et o`u q2 est une constante d´ependant de la forme des ´equations d’´evolution. De cette forme normale d’une bifurcation du type point limite, il est possible d’extraire la d´ependance du temps d’ignition en la distance par rapport au point de bifurcation :

tign(λ−λ1)1/2 (5.1) Ce dernier est invers´ement proportionnel `a la distance par rapport au point de bifurcation, selon un exposant critique insensible au mod`ele initial. Nous devons

donc nous attendre `a ce que tout syst`eme explosif pr´esente une augmentation im-portante du temps d’ignition pour des conditions initiales de plus en plus proches de la criticalit´e : ce ph´enom`ene est connu sous le nom de ralentissement critique. Il faut noter que, dans le cas de syst`emes inhomog`enes, il n’existe actuellement pas de r´esultat analytique connu comparable `a celui pr´esent´e ci-dessus (5.1) ; nous pouvons toutefois nous attendre `a ce que la tendance soit comparable.

Comme nous l’avons bri`evement mentionn´e plus haut, de pr´ec´edentes ´etudes th´eoriques nous indiquent cependant que les propri´et´es de tels syst`emes sont par-ticuli`erement sensibles aux fluctuations. Baras et al ont ainsi mis en ´evidence que le temps d’ignition n’est pas, en pr´esence de fluctuations, une grandeur fixe mais bel et bien distribu´ee [9, 112, 122] : le temps d’explosion peut changer d’une transition explosive `a une autre, pour des param`etres externes strictement iden-tiques. De plus, la largeur de la distribution de tign augmente fortement avec l’ap-proche d’un point de bifurcation. En d’autres termes, les transitions explosives deviennent, dans les alentours de la criticalit´e, des ´ev´enements essentiellement al´eatoires. Dans le cas de syst`emes spatialement ´etendus, nous devons nous at-tendre `a un ph´enom`ene comparable de distribution du temps d’ignition. Il a de plus ´et´e montr´e dans ce cas que les fluctuations de composition impliquent que les transitions explosives peuvent se d´erouler de fa¸con inhomog`ene, c’est-`a-dire selon un m´ecanisme de nucl´eation de «points chauds» qui croissent jusqu’`a envahir le syst`eme.

La plupart de ces ´etudes correspondent `a des syst`emes chimiques en solu-tion, o`u la mobilit´e des mol´ecules impliqu´ees est souvent importante. Dans le cas des r´eactions sur surface, la g´eom´etrie restreinte du support r´eactionnel diminue fortement l’efficacit´e du m´elange par diffusion, ce qui engendre la possibilit´e d’im-portantes fluctuations inhomog`enes de composition. On pourrait donc se poser la question de savoir comment ces fluctuations particuli`eres peuvent influencer le d´eveloppement de transitions explosives pour le cas sp´ecifique des r´eactions de surface. Pour r´epondre `a cette question, nous nous proposons tout d’abord de construire un mod`ele simple repr´esentatif de la r´eaction NO+H2[32] sur le platine, pour laquelle de nombreux ph´enom`enes explosifs ont d´ej`a ´et´e observ´es.