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Conclusion de la section 1

Section 2. Le concept de capacité d’adaptation pour formaliser les processus de changement des activités agricoles en réponse aux dispositifs processus de changement des activités agricoles en réponse aux dispositifs

3. Application du concept aux systèmes agricoles dans une perspective d’aide à la gestion

3.4. Essai de formalisation du processus d’adaptation

3.4.1. Cycles adaptatifs et panarchie : mise en évidence des « temps de l’adaptation »

Pour appréhender la dynamique des systèmes complexes, une théorie basée sur la notion de cycle adaptatif a été développée par Gunderson et Holling (2002) dans leur livre intitulé : « Panarchy : Understanding Transformations in Systems of Humans and Nature ».

La panarchie est une structure dans laquelle les systèmes naturels (comme une forêt), les systèmes humains ou même des systèmes combinés (comme les systèmes ruraux) sont reliés par des cycles adaptatifs continus de croissance, accumulation, destruction et renouveau (Gunderson et Holling, 2002). Ces cycles sont dits adaptatifs, car les systèmes considérés sont capables d'innovations grâce à trois propriétés :

• leurs potentialités (ou capital), c'est-à-dire leur aptitude à accumuler des ressources,

• leur connexité (ou connectance), c'est-à-dire le lien entre leurs processus de contrôle interne,

• leur résilience, c'est-à-dire leur aptitude à s'adapter à des perturbations, y compris soudaines et imprévues (Walker et al., 2002).

Selon ces caractéristiques, chaque système a une dynamique propre d’évolution en réponse à des perturbations. Mais toute trajectoire d'un cycle adaptatif comprend deux périodes :

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• l'une correspondant à une lente accumulation des ressources (croissance et conservation du système)

• et l'autre à une destruction créatrice (renouvellement du système), relativement courte et rapide (Carpenter et al., 1999).

D’après Folke et al. (2002), dans les systèmes dits résilients, cette phase de désorganisation, de changement est toujours propice à des innovations.

La panarchie se base sur la théorie de la hiérarchisation des systèmes : un système d'ordre élevé comprend des sous-systèmes qui comprennent eux-mêmes d'autres sous-systèmes. Ainsi un système à un niveau d'échelle supérieur, plus grand et plus lent, impose une contrainte à un système d’un niveau d'échelle inférieur, plus petit et plus rapide. Par exemple, pour comprendre la déforestation il faut s’intéresser à des niveaux d’organisation allant de l’individu au pays. De par cette organisation de type hiérarchique, aucune échelle ne permet, à elle seule, de comprendre les causes et les conséquences de la déforestation, ni d’en prévoir les évolutions. Il faut prendre en compte l'ensemble de ces échelles. Mais il faut prendre en compte aussi le fait que chaque niveau de cette hiérarchie abrite son propre cycle adaptatif et donc, évolue à son propre rythme.

La notion de panarchie apporte ainsi deux nouveautés intéressantes pour aborder des problématiques de développement durable qui cherchent à faire co-évoluer systèmes sociaux, écologiques et économiques, chacun ayant son propre domaine de stabilité, de résilience. Tout d’abord, elle permet de rendre compte de la dynamique interne à chaque système en réponse à une perturbation. En second lieu, elle permet d’envisager la régulation de cette dynamique par des niveaux inférieurs ou supérieurs, grâce à l’analyse de leurs connections.

Par exemple, sur un front pionnier, un système agraire est en constante évolution (les exploitations s’installent, défrichent de nouvelles terres et les systèmes de culture évoluent avec la dégradation progressive des sols) ; or il existe des cas de stabilisation du front pionnier (Arnauld de Sartre, 2006) dans lesquels système agraire et système écologique se maintiennent dans une certaine configuration. Leur capacité à se maintenir dans cette configuration dépend de leur résilience, qui elle, varie au cours de leur cycle adaptatif (Carpenter et al, 2001). Certaines perturbations comme l’intensification de l’agriculture ou l’agroforesterie (Kaimowitz et Angelsen 1998) ou le développement de filières, d’infrastructures (Lee et al, 2001) peuvent augmenter la résilience du système alors que d’autres, comme une augmentation de la pression foncière (Léna, 1992) peuvent au contraire diminuer la résilience du système et l’orienter vers une nouvelle configuration (extension des terres agricoles) qui va perturber le système écologique ; celui-ci entre alors dans un nouveau cycle adaptatif….

Dans cet exemple, on perçoit bien comment la notion de panarchie peut offrir une nouvelle lecture de la liaison entre un nouvel aménagement du territoire, la dynamique d’évolution du système agricole qui en découle, et la configuration spatiale des activités.

3.4.2. Vers des modèles de capacités d’adaptation des exploitations agricoles

Olivier de Sardan (1995) montre par ces travaux en anthropologie sur les processus de réaction des paysans à des contraintes ou opportunités externes (en particulier des projets de développement) « qu’au-delà d’un infinie variété potentielle des actions et réactions

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ramener eux-mêmes à l’expression de quelques « logiques » ou quelques stratégies » (ibid.

p.126).

Concernant l’analyse des réponses des exploitations agricoles à une perturbation, les travaux les plus aboutis avec les moyens d’une généralisation sont ceux d’Albaladejo et Duvernoy (1992, 1994). Ils ont cherché à caractériser la dynamique d’évolution d’un front pionnier amazonien en fonction des capacités d’équilibration des exploitations agricoles.

Ils se sont basés sur la théorie de l’équilibration mise au point par un psychologue (Piaget) pour modéliser le développement cognitif de l’enfant, et qui avait déjà été reprise par d’autres agronomes pour modéliser les évolutions des exploitations agricoles (Gras et al., 1989 ; Lemoigne, 1994).

La théorie de l’équilibration repose sur l’idée que le développement cognitif d’un enfant se fait par ouverture sur son environnement (les perturbations l’incitent à s’adapter, à évoluer), et fermeture sur son propre fonctionnement afin d’éviter les contradictions. Le moteur du développement est donc à la fois externe, les perturbations de l’environnement doivent être «assimilées», et interne, les contradictions internes du système entraînent une «accommodation» (Albaladejo et Duvernoy, 2000). Ces auteurs ont ainsi retenu trois types de réponse d’un système face à une perturbation, qu’il a ensuite adapté à l’exploitation agricole : une réponse qui consiste à supprimer ou à nier la perturbation. Le système est inchangé par celle-ci ; une réponse qui consiste en un début d’intégration de la perturbation sous forme de variation à l’intérieur du système. Cette réponse tient compte de la perturbation mais cherche des compromis permettant de conserver une partie de la structure initiale du système ; le dernier type de réponse permet une anticipation des variations possibles. Cette réponse incorpore la perturbation dans le système, dont elle devient une «variation intrinsèque», en réorganisant la structure de celui-ci après construction de nouveautés structurales.

Ces trois types de réponse ont été assimilés aux capacités de stabilité, de transformation et d’évolution de l’exploitation agricole sur un front pionnier :

• Stabilité : le ménage ignore les perturbations et ne change pas la structure du système famille- exploitation. Cependant, pour garder sa « stabilité », des changements que les auteurs considèrent comme minimes se produisent : la consommation de réserves (alimentaires, financières ou décapitalisation) ou le « découplage » (travail à l’extérieur de l’exploitation) en attendant que la perturbation cesse.

• Transformation : le ménage prend en compte la perturbation et cherche un compromis qui permet de conserver une partie du fonctionnement de son système. Il peut s’agir de l’ajout d’une nouvelle culture, l’augmentation de la surface cultivée, sous réserve de disponibilité de terres ou de main d’œuvre, sans modification du système de culture qui conduirait à une évolution du système.

• Evolution : le ménage intègre l’ensemble des perturbations, réorganise ses activités et anticipe ainsi de futurs changements. Il s’agit d’un véritable changement de la logique de fonctionnement avec par exemple le passage d’une agriculture d’autosubsistance à une agriculture de rente.

Si la perturbation dure, les auteurs font l’hypothèse que, idéalement, l’exploitation passe nécessairement par ces trois phases. Or selon le contexte local qui fait intervenir des facteurs extérieurs à l’exploitation (pression foncière, accès aux marchés, etc.), certaines exploitations installées depuis longtemps ne présentent pas de capacités de stabilisation. Les quatre principaux facteurs identifiés par Albaladejo et Duvernoy (2000) qui contribuent à ces capacités sont le mode d’appropriation des terres, la force de travail, les objectifs de

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production et les opportunités de commercialisation. Mais les auteurs reconnaissent qu’ils sont certainement spécifiques au contexte de la zone d’étude (en Amazonie) et à la nature des perturbations considérées (recul de la lisière forestière et dégradation des ressources naturelles).

Les bases théoriques du modèle sont particulièrement intéressantes car elles permettent de rendre compte de différents processus d’adaptation d’une exploitation face à une perturbation. On retrouve l’idée de cycle adaptatif : le maintien à l’identique de la structure et du fonctionnement d’un système n’est pas nécessaire pour assurer son existence.

En revanche l’ensemble des mécanismes, ou stratégies, qui permettent aux exploitants d’acquérir ou de conserver leurs capacités d’adaptation à la perturbation ne sont pas abordés. Or ce sont justement ces mécanismes qui pourraient être transposables d’une situation à une autre, et non pas la nature des facteurs qui contribuent aux différents types d’adaptation. De plus, les perceptions des agriculteurs n’étant pas prises en compte, on ne peut savoir si les adaptations réalisées sont liées directement à la perturbation considérée (recul du front pionnier) ou à d’autres événements. Enfin, le temps de mise en place des changements est également un aspect qui n’est pas abordé mais qui est essentiel dans une problématique d’aide à la gestion. Si les mesures de conservation sont mises en place à un moment donné, les besoins des agriculteurs continueront à évoluer au cours du temps avec le passage aux différentes étapes de leur cycle de vie. L’environnement socio-économique et physique continuera également à se modifier. L’enjeu est donc bien d’identifier les processus de changement et leur temporalité.

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Conclusion de la section 2

Benoit et al. (1989, p.11) définissent le développement comme « une capacité accrue

d’adaptation aux changements, prévus ou imprévus, de l’environnement social, économique, un élargissement du champ des possibles ».

Cependant, concevoir des méthodes d’accompagnement et d’accroissement des capacités d’adaptation des agriculteurs nécessite une vision renouvelée des exploitations agricoles familiales. Il s’agit de réussir à prendre en compte les évolutions futures des exploitations, dans des contextes contraignants, et d’identifier les leviers d’action qui puissent favoriser les évolutions souhaitées. Or, l’analyse du fonctionnement des exploitations agricoles et de leur processus d’adaptation à des perturbations ou des contraintes est peu développée dans les travaux récents sur le développement rural. Les principales publications de référence sur les exploitations agricoles datent essentiellement des années 70. C’est essentiellement dans les pays du Nord que sont apparus à partir des années 90 de nouveaux cadres d’analyse de la dynamique des exploitations et les modalités d’élaboration des stratégies dans des situations d’incertitude et de changements des contextes socio-économique et politique. Cependant la complexité et les particularités des exploitations agricoles familiales africaines ne permettent pas de transposer simplement ces travaux. En Afrique, les projets des agriculteurs sont intimement liés à ceux de la famille, les revenus ne sont pas différenciés en catégories (salaires, profit, rentes) et la limitation des risques est souvent primordiale pour survivre et pour préserver une certaine autonomie. Le poids de la communauté villageoise est aussi très important : si un agriculteur se dégage du conformisme local en se différenciant, il risque de s’isoler ; l’enrichissement d’un individu peut également être source d’inégalité. La prise en compte de ces dimensions complexes nécessite l’élaboration de cadres d’analyse spécifiques.

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Si les travaux d’Albaladejo (1992) en Amazonie permettent de décrire différentes étapes dans le processus d’adaptation des exploitations agricoles à une perturbation, il existe peu de modèles permettant de relier chaque processus d’adaptation à ses déterminants.

Les développements théoriques issus des sciences sociales autour du concept de capacité d’adaptation offre de nouveaux cadres d’analyse qui paraissent tout à fait adaptés aux exploitations agricoles familiales africaines, compte tenu de i) leur forte dimension familiale, la famille devant assurer l’alimentation du groupe familial autour de plusieurs activités avec plusieurs centres de décision, ii) leur dynamique d’évolution en lien étroit avec l’évolution du milieu dans lequel elles opèrent (milieu écologique, économique et politique). En effet, on ne peut dissocier le fonctionnement de l’exploitation agricole de celui du système territorial local, du système régional et du système écologique. L’identification des déterminants des capacités d’adaptation et la référence à la théorie de la hiérarchisation des systèmes permettent de relier de façon fonctionnelle ces différents niveaux d’organisation.

Section 3. Accroitre les capacités d’adaptation des agriculteurs à la

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