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Conclusion de la section 1

1. Choix théoriques, points de vue et hypothèses retenues

1.1. Les objets d’étude : exploitation agricole et système territorial local

Le niveau privilégié des analyses est celui des exploitations agricoles, insérées dans des territoires spécifiques et soumises à un dispositif de conservation.

L’inscription des exploitations dans un système territorial local est indispensable pour comprendre les interactions entre exploitations, les modalités d’utilisation des ressources communes du territoire et les interactions avec le dispositif de conservation.

La référence à la notion de système appliquée à une société rurale permet de comprendre comment les agriculteurs organisent l’espace et comment, en retour, cette organisation influe sur leurs décisions.

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1.2. Les outils d’analyse : le concept de capacité d’adaptation des agriculteurs et son ancrage territorial

1.2.1. Approche empirique des capacités d’adaptation

Pour aborder la question de la durabilité des évolutions de l’agriculture dans un contexte de conservation, j’ai choisi de m’intéresser aux capacités d’adaptation des exploitations agricoles.

La revue bibliographique me permet de proposer en première approche la définition suivante des capacités d’adaptation :

- C’est la possibilité pour une exploitation agricole et l’unité familiale associée de maintenir ou développer ses principales fonctions existant avant la mise en œuvre du dispositif de conservation ; et de tirer avantage des opportunités pour développer de nouvelles fonctions ;

- C’est un processus d’exploration des possibilités qui a une temporalité (il peut se faire sur plusieurs années) et qui peut se traduire par un passage par différentes étapes de fonctionnement de l’exploitation.

L’explicitation de la stratégie d’adaptation de l’exploitation à un ensemble de contraintes données doit permettre de rendre compte de ce processus. C’est un artefact conceptuel utile pour une construction externe du fonctionnement du système famille-exploitation. On définit la stratégie d’adaptation comme l’ensemble des décisions de mobilisation et d’affectation d’un ensemble de ressources naturelles, humaines et symboliques en vue de l’adaptation de l’ensemble du système aux mesures de conservation. Ainsi, son analyse doit permettre de comprendre de façon empirique comment se constituent les capacités d’adaptation.

Les stratégies d’adaptation peuvent s’échelonner dans le temps. Sur la base du moment où elles sont initiées, on distingue :

- Les stratégies anticipatrices : elles permettent de réagir à des situations délicates possibles dans un futur proche,

- Les stratégies réactives : elles correspondent à un changement immédiat dans le fonctionnement de l’exploitation en réponse à une contrainte immédiate.

Afin de caractériser la façon dont les dispositifs de conservation affectent les exploitations agricoles, nous avons choisi d’établir un indicateur appelé « sensibilité ». La caractérisation de la sensibilité d’une exploitation s’appuie sur le fonctionnement de l’exploitation en relation avec les ressources forestières avant conservation et sur les contraintes et opportunités que représente le dispositif de conservation vis-à-vis de son type de fonctionnement.

Qualifier la sensibilité consiste en une hiérarchisation des effets des contraintes sur le fonctionnement de l’exploitation en fonction du temps. Nous faisons l’hypothèse qu’il est plus facile pour un ménage de s’adapter si les contraintes ne seront ressenties qu’à long terme (par exemple la perte de terres forestières gardées pour l’héritage des enfants ou encore le besoin de davantage de terres de culture avec l’augmentation d’enfants dans une nouvelle étape du cycle familial). Dans ce cas, la sensibilité du ménage est considérée comme faible. En revanche un ménage qui subit des contraintes immédiates dans son mode de fonctionnement (comme l’arrêt de revenus issus de produits de collecte forestière, ou l’arrêt de la défriche alors qu’il n’a pas suffisamment de champs de culture relativement aux besoins

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de la famille) aura plus de difficultés à trouver rapidement des alternatives et sa sensibilité est considérée comme forte.

Il y a donc un lien entre un niveau de sensibilité de l’exploitation et la stratégie d’adaptation adoptée : une sensibilité forte appelle une stratégie réactive ; une sensibilité faible appelle une stratégie anticipatrice. L’enjeu est d’identifier les différentes stratégies pour caractériser les capacités d’adaptation.

La contribution de cet ensemble de concepts à la caractérisation des capacités d’adaptation est synthétisée par la Figure 16 ci-dessous.

Figure 16 : Concepts mobilisés pour appréhender les capacités d’adaptation des exploitations agricoles à un dispositif de conservation

1.2.2. Ancrage territorial des capacités d’adaptation

Afin d’identifier des leviers d’action mobilisables dans le cadre d’un aménagement du territoire, nous nous intéresserons en particulier à l’ancrage territorial des capacités d’adaptation.

Par ancrage territorial des capacités d’adaptation, on entend :

- la façon dont les caractéristiques du territoire participent à la constitution des capacités d’adaptation,

- Et vice versa, la projection sur un espace des stratégies d’adaptation et leur participation à la construction territoriale.

Les caractéristiques (ou facteurs) qui influent sur la constitution des capacités d’adaptation sont appelés les déterminants des capacités d’adaptation. Parmi ces déterminants on distingue :

- ceux qui peuvent être modifiés par l’agriculteur à court, moyen ou long terme et qu’on appelle les marges de manœuvre ; ils correspondent à des caractéristiques intrinsèques du système famille-exploitation, ou aux biens et potentialités possédés;

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- ceux qui sont extérieurs au système famille-exploitation, des facteurs non modifiables par l’agriculteur et pouvant constituer des opportunités, ou des contraintes.

On cherchera à avoir une lecture « territoriale » de ces déterminants, c'est-à-dire en s’appuyant sur les différentes dimensions du territoire, sociale et spatiale. Une analyse en termes d’ancrage territorial s’inscrit dans les analyses de compréhension des relations entre espace et société qui s’appuient sur trois points de vue de l’espace : l’espace structuré qui correspond à la dimension matérielle du territoire ; l’espace perçu qui correspond à la dimension identitaire du territoire ; et l’espace géré qui correspond à la dimension organisationnelle du territoire.

L’analyse bibliographique a montré que les déterminants des capacités d’adaptation peuvent s’exprimer à différents niveaux d’organisation : au niveau de l’exploitation (caractéristiques intrinsèques du système considéré), au niveau du système territorial local (entraide, informations, accès à la terre) ou du système régional de référence (infrastructures, présence de marchés, etc.). C’est donc une articulation des différents niveaux d’organisation qui me permettra de rendre compte de l’ancrage territorial des capacités d’adaptation des exploitations.

1.3. Une entrée privilégiée pour les analyses : la composante spatiale des activités agricoles

Nous intéressant au fonctionnement et à l’évolution des systèmes agricoles, sous contraintes d’un dispositif de conservation territorial à forte composante spatiale, je privilégie le point de vue suivant : l’empreinte spatiale du fonctionnement des systèmes porte des informations sur ces systèmes. Mais les autres dimensions du territoire (sociale, politique, etc.) seront prises en compte dans les analyses. La façon dont les acteurs se représentent l’espace influence nécessairement la façon dont ils l’utilisent et le construisent.

De plus, dans les espaces de colonisation agricole en zone forestière tropicale, la composante spatiale du processus de production est très importante : les défriches et les cycles culture-jachère en sont la marque principale. Les systèmes de culture sont des indicateurs du fonctionnement de l’exploitation et de ses relations à l’espace.

Enfin, de nombreux travaux ont montré la spécificité du contexte malgache où l’adéquation entre organisation sociale et organisation spatiale des activités agricoles est particulièrement forte (Sautter et Pélissier, 1970 ; Blanc-Pamard, 1986).

Les outils et concepts développés en agronomie pour appréhender l’organisation spatiale des activités agricoles sont basés sur deux principes d’ordre méthodologique qui ont guidé les choix des méthodes d’analyse développées dans cette thèse:

• L’analyse des changements d’organisation spatiale des activités agricoles permet de révéler les processus fonctionnels, dont ils sont à la fois facteurs et produits (Bonin, 2003).

• La formalisation de ces processus permet une généralisation des correspondances entre organisation spatiale des activités agricoles et fonctionnement des exploitations aux différentes échelles considérées (Deffontaines et Thinon, 2001 ; Bonin et Houdart, 2008).

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L’entrée spatiale a ainsi été privilégiée, non seulement pour rendre compte de l’ancrage territorial des capacités d’adaptation, mais aussi comme méthode d’analyse des capacités d’adaptation.

1.4. Hypothèses

Sur la base de ces conclusions, nous avons construit notre objet de recherche qui explore des aspects encore peu analysés du fonctionnement des exploitations agricoles et de leurs relations au territoire, dans un contexte où ces dernières sont soumises à des enjeux environnementaux et de développement.

Il s’agit d’analyser les capacités d’adaptation des exploitations aux contraintes de la conservation, et de mettre en évidence les ancrages territoriaux de ces capacités.

Dans le cadre d’une recherche finalisée pour le développement, il s’agit d’apporter des éléments de connaissance et un mode opératoire qui aideraient à élaborer une politique d’aménagement visant à accompagner les adaptations des exploitations agricoles dans un contexte de conservation. Il s’agit donc d’identifier les modifications qui peuvent être faites individuellement par les agriculteurs et celles qui nécessitent d’être soutenues par une politique d’aménagement intégré des territoires.

L’hypothèse centrale de cette recherche est la suivante :

 Il est possible d’accroitre les capacités d’adaptation des agriculteurs à la conservation par un aménagement intégré des territoires qui utilise comme leviers d’action certains déterminants de ces capacités d’adaptation.

Mon hypothèse se décompose en trois parties :

1) Hypothèse sur la sensibilité des exploitations face aux avantages et contraintes d’un dispositif de conservation

Dans une zone de colonisation agricole, les moyens, objectifs et projets des agriculteurs peuvent être différents ; tous ne dépendent pas des ressources forestières au même degré. Il est donc possible d’identifier différents types d’exploitation sur la base de leur sensibilité face aux mesures de conservation.

Cette distinction est essentielle car on ne peut envisager l’accroissement des capacités d’adaptation qu’au sein de groupes d’exploitations présentant la même sensibilité.

2) Hypothèse sur l’effet différencié des déterminants sur l’accroissement des capacités d’adaptation

Les capacités d’adaptation des différents types d’exploitation sont « territoire-dépendantes » : elles dépendent des caractéristiques du système territorial local et du système régional de référence, niveaux auxquels s’appréhendent « les opportunités externe » qui peuvent contribuer aux capacités d’adaptation.

L’hypothèse est que les « opportunités externes » ne contribuent pas de la même façon aux capacités d’adaptation des différents types d’exploitation, mais leur effet n’est pas aléatoire ; il est lié à la spécificité des stratégies d’adaptation mise en œuvre par chaque type d’exploitation.

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De ce fait, il est nécessaire de comparer la constitution des capacités d’adaptation des types d’exploitation dans des systèmes territoriaux locaux différents pour pouvoir généraliser les processus d’adaptation. Il s’agit de tirer parti d’une diversité de situation constatée afin d’identifier des invariants dans les déterminants identifiés.

3) Hypothèse sur la modélisation spatiale comme outil de connaissance et de généralisation

Il est possible, à partir d’une démarche de modélisation spatiale, de généraliser la typologie des exploitations et les processus d’adaptation associés à chaque type, c'est-à-dire les stratégies d’adaptation et les déterminants mobilisés.

Nous rechercherons donc si les différences entre exploitations concernant leurs capacités d’adaptation peuvent être mises en correspondance avec des empreintes spatiales spécifiques au niveau des exploitations (les configurations spatiales comme définies plus haut) et au niveau du territoire local (organisation des activités agricoles et structures spatiales associées). Nous aurons alors un moyen de généraliser la caractérisation des capacités d’adaptation des exploitations.

Ces hypothèses appellent une approche globale, intégrée et systémique qui permette à la fois d’analyser les interactions entre le dispositif de conservation et les dynamiques des activités agricoles, et de caractériser la constitution des capacités d’adaptation des exploitations aux différents niveaux d’organisation.

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