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L’ ANCRAGE TERRITORIAL DES CAPACITES D ’ ADAPTATION COMME GRILLE DE LECTURE DES DYNAMIQUES AGRICOLES DANS UN

Section 1. Concepts et outils pour appréhender les dynamiques territoriales liées à l’évolution des activités agricoles liées à l’évolution des activités agricoles

3. Les niveaux spatiaux pertinents pour confronter logiques agricoles et enjeux environnementaux

3.2. Méthodes d’identification d’entités spatiales intermédiaires

3.2.1. Approches paysagères et découpage de l’espace en unités agrophysionomiques

à des entités spatiales plus englobantes significatives pour les enjeux environnementaux ;

- La modélisation spatiale comme démarche d’analyse et de synthèse ;

- Les méthodes participatives mobilisant les acteurs concernés par les enjeux de gestion environnementaux et agricoles et s’appuyant sur les productions des méthodes précédentes.

3.2.1. Approches paysagères et découpage de l’espace en unités agrophysionomiques

Beaucoup d’auteurs insistent sur le fait que les représentations qu’ont les individus et les sociétés de leur milieu conditionnent l’utilisation qui en est faite et l’organisation spatiale qu’elle engendre. Le concept de paysage tient une place particulière dans ces approches car il est défini comme « une apparence, une représentation : un arrangement d’objets visibles

perçu par un sujet à travers ses propres filtres, ses propres humeurs, ses propres fins (…). Il n’est de paysage que perçu » (Brunet et al, 1992). Il constitue un objet d’analyse de « l’espace

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3.2.1.1. Le paysage, facteur et révélateur des activités agricoles

Le concept de paysage

Le paysage connaît des définitions très différentes. Il peut être compris comme ce qu’un observateur perçoit du monde qui l’entoure, d’une réalité matérielle.

A l’origine un concept de la géographie, le paysage est devenu un terme polysémique car repris par de nombreuses disciplines (agronomie, sociologie, histoire, géomorphologie..) et domaines d’activité, en particulier l’aménagement du territoire. Le paysage est bien souvent un support aux actions d’aménagement à des fins environnementales. Les ambigüités sur sa définition permettent de masquer les fondements de la politique menée ou au contraire ses lacunes. Par exemple, les paysages de lisière forestière sur des fronts pionniers sont utilisés pour mettre en évidence l’effet des activités agricoles des petits paysans comme facteur majeur de la déforestation alors que les activités d’exploitation forestière, bien souvent contrôlées par l’Etat, sont en fait prépondérantes. Si une mosaïque de jachères, de recrus forestiers, de champs cultivés peut paraitre un paysage désolé aux yeux de certains, des écologues y verront une source de biodiversité (Randriamala et al. 2007).

Dans le cas des politiques de conservation intégrée, l’utilisation de la dénomination de « paysage harmonieux » comme catégorie de zonage18 masque l’échec des gestionnaires à formaliser concrètement quels agencements d’activités humaines et d’éléments naturels concourent à la conservation de la biodiversité et au développement rural.

C’est finalement la valeur esthétique et symbolique du paysage qui est souvent mise en avant. Pour les naturalistes, qui s’appuient sur la pensée phénoménologique, le paysage est produit par l’action des phénomènes naturels (action des roches de l’eau de l’air) et humains, et forme une entité reconnaissable (Forman et Godron, 1987). Les géomorphologues voient surtout dans les paysages les reliefs et modelés et leurs évolutions sur les temps géologiques. Les écologues vont y repérer des structures spatiales (corridor, haies, parcelles, patches) qui guident, par exemple, les déplacements de certaines espèces animales (oiseaux, insectes…). Luginbhul (1998) constate que ce qui est commun à toutes les définitions du paysage « c’est

de faire intervenir un observateur sujet et un espace objet ». Le paysage est un objet matériel

identifiable et caractérisable, livré à l’observation de notre conscience (Husserl, 1986).

Cette dualité constitutive du paysage est essentielle car d’une part, le paysage est le reflet d’un système en constante évolution qui ne saurait se réduire à une observation faite à un instant t selon des critères subjectifs, et d’autre part la perception qu’en ont les utilisateurs conditionne les pratiques mêmes d’utilisation. Ainsi Blanc-Pamard et Milleville (1985) utilisent les perceptions du paysage par les paysans comme moyen de connaissance des relations entre une société et son milieu. Le paysage « apparait comme une construction paysanne, résultat de

pratiques agricoles basées sur la perception paysanne du milieu » (p. 106).

Parmi les nombreuses approches des paysages ruraux, nous retenons l’approche des géoagronomes pour l’étude des interactions entre activités agricoles et enjeux environnementaux : ils considèrent le paysage comme un résultat d’interactions entre nature et société.

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Le paysage comme moyen de connaissance de l’activité agricole

L’analyse du paysage a été mobilisée assez anciennement dans les travaux d’agronomes (Bonnemaire, 1977). Elle peut être utilisée de deux façons dans le cadre de recherches sur les activités agricoles. Dans le cadre d’une analyse de reconnaissance elle permet de poser des hypothèses sur le fonctionnement des activités agricoles, de préciser une problématique ou des échelles de travail. Ou encore, elle peut être utilisée en complément d’autres analyses et constitue un objet de recherche intermédiaire, dans une démarche plus globale.

Parfois, la place du paysage est centrale : le paysage est objet et outil de recherche, il permet d’analyser l’organisation spatiale des pratiques agricoles, de rechercher des modèles d’organisation de l’espace. Par exemple, Gautier (1995) tente d’expliquer les rapports entre territoire et gestion des ressources par une analyse paysagère de la châtaigneraie cévenole. De la même façon que les écologues, des agronomes ont cherché à articuler faits techniques et faits spatiaux pour comprendre « la façon dont les agriculteurs présents sur un territoire

organisent les occupations du sol et les usages en fonction d’objectifs propres à chaque exploitation et des interactions avec les autres exploitations et avec les autres modes d’usage du territoire » (Deffontaines, 1996). Le concept de paysage a été placé au cœur de cette

recherche de correspondances entre structures agraires et fonctionnement des activités agricoles aux différentes échelles considérées.

Cette approche, dite de géoagronomie, se fonde sur les travaux de Deffontaines (1973, 1996) qui considère que le paysage est à la fois facteur, support et produit des pratiques agricoles. On retrouve ici les statuts donnés à l’espace par Lardon et al. (1990). Le paysage est facteur car il révèle les potentialités du milieu et détermine les pratiques agricoles possibles (la présence de bas-fonds permettra l’installation de rizières), le paysage est support car il détermine le lieu des pratiques (c’est dans le bas-fond que les rizières sont aménagées) et le paysage est produit car les pratiques modifient le paysage (comme l’aménagement de terrasses sur les versants pour agrandir les surface en riziculture). Comme le paysage rural est produit par les activités agricoles passées et actuelles il joue aussi un rôle de mémoire des pratiques anciennes. « Le paysage est une partie d’un pays, portion d’espace, perceptible à un

observateur, où s’inscrit une combinaison de faits visibles et invisibles, d’actions, dont nous ne percevons à un moment donné que le résultat global » (Deffontaines, 1973, p.6).

Le paysage est donc le premier support de diagnostic de l’activité agricole. Sa lecture est riche d’informations sur le système de mise en valeur de l’espace qui s’exprime en partie par des faits observables.

3.2.1.2. Découpage de l’espace pour la caractérisation d’un paysage

Définir un paysage demande de préciser son organisation et sa dimension spatiale. Pour cela, agronomes, géographes ou écologues s’appuient sur un découpage de l’espace en unités spatiales. Ce découpage produit une partition hiérarchisée de l’espace qui repose sur le principe écologique que les écosystèmes sont effectivement constitués d’unités spatiales emboitées. Ainsi ont été définies, en écologie, des entités spatiales correspondant à différents niveaux d’organisation des interactions entre processus biophysiques et humains : la zone19 , la région définie au sein d’une zone par un type de climat (Godron, 1968)20, le secteur

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La zone correspond une entité bioclimatique visible à l’échelle des continents et déterminées principalement par sa latitude

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En géographie, la notion de région n’est pas un concept défini de façon stricte, en dehors de la maille de gestion qui est construite sur deux principes d’unité : l’action coordinatrice d’un centre et le critère d’uniformité des paysages. Les deux notions ne s’excluent pas et se correspondent souvent pour des raisons systémiques

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écologique21 (Manil, 1963) qui correspond en géographie au pays ou quartier, et enfin un paysage caractérisé par une structure répétitive d’éléments.

Ces entités spatiales ont été recherchés par tous les courants de recherche qui voulaient prendre en compte la réalité complexe du paysage : terroir (Sautter et Pelissier, 1964) ; géofaciès (Bertrand, 1968) ; élément (Forman et Gordon, 1986) ; facette écologique22 (Blanc-Pamard, 1986), unités agrophysionomiques (Deffontaines et Thinon, 2001).

Le paysage est donc un système spatial situé à un niveau d’organisation intermédiaire entre le pays ou le secteur écologique, et l’élément de paysage. Pour Deffontaines (1985) l’étendue d’un paysage correspond en première approximation à l’espace pouvant être perçu par l’observateur et est de l’ordre de 10 à 50 km², ce qui peut correspondre à l’espace d’activité d’une société.

Dans le cadre d’un aménagement du territoire visant à préserver un paysage (une forêt ou une mosaïque particulière d’espaces cultivés et naturels), la question se pose de connaitre les limites du paysage considéré. Puisque le paysage est caractérisé par une structure répétitive où s’assemblent les formes du relief, de la végétation et des structures agraires, Gautier (1995) propose que le paysage commence là où cette structure répétitive apparait et s’arrête là où elle disparait. Les limites peuvent être constituées par des contraintes morphologiques mais aussi des frontières politiques, des limites de territoire entre deux sociétés. Etant l’émergence locale d’un système géographique (Brunet, 1974), on peut considérer que ses limites correspondent à celle d’un système rural. La transition peut être rapide ou longue présentant un continuum au changement, ce qui confère à la frontière une dimension spatiale (largeur) et temporelle (durée) (Gautier, 1995).

Ses formes et son étendue peuvent être modélisées par projection et cartographiées sur un plan horizontal. Les unités élémentaires, définies par leur physionomie, sont également cartographiables par des méthodes d’analyse visuelle ou d’interprétation des photographies aériennes, ou d’images satellites à haute résolution.

3.2.1.3. Superposer des unités agrophysionomiques aux zonages environnementaux

Pour réfléchir à la pertinence d’un découpage de l’espace par zonage à des fins environnementales au regard des logiques agricoles et de ses impacts sur les dynamiques d’évolution des activités agricoles, on retient la notion d’unités agrophysionomiques définies par Deffontaines et Thinon (2001).

Les unités agrophysionomiques (UAP) sont définies comme « des unités de relative égale

apparence du territoire agricole » que l’on peut délimiter à partir des unités agronomiques « des portions de territoire de relative égale organisation spatiale des activités agricoles […] associées à une gamme semblable de pratiques » (Deffontaines et Thinon, 2001 ; Thinon et al., 1999).D’après ces auteurs, cette notion repose sur deux hypothèses : l’existence d’unités

agronomiques dans l’espace rural et l’existence d’une relation de correspondance entre unités agronomiques et unités agrophysionomiques dans un territoire.

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Au facteur climatique sont ajoutés les facteurs géomorphologiques et pédologiques

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Les « facettes écologiques » sont définies comme des unités spatiales de combinaison de données écologiques et de données d’utilisation, homogènes sur le plan du milieu et/ou de l’utilisation, perçues par les agriculteurs et décrites par un terme vernaculaire (Blanc-Pamard, 1986).

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La définition d’unités agronomiques (UA) fait appel à la théorie des champs géographiques : « chaque point de l’espace géographique est placé dans un ensemble de champs qui ont eu

une influence passée ou qui influent aujourd’hui sur une gamme possible d’usages de ce lieu, compte tenu de l’environnement social, technique ou économique de l’époque » (Deffontaines

et Thinon, 2001, p.14). Pour l’activité agricole de production, ces auteurs identifient des champs qui ont une influence prépondérante : le milieu naturel (relief, sol, climat), les statuts fonciers, les réglementations issues des politiques (agricoles, forestières, environnementales), les filières économiques.

Dans l’espace d’un système agraire, les systèmes de culture ne s’agencent pas de façon aléatoire ce qui induit une organisation de formes induites par chaque système de culture en motifs. La répétition d’un motif ou une combinaison récurrente de motifs définit des entités de relative égale apparence, les UAP (Deffontaines et Thinon, 2001).

Le croisement des UAP avec le territoire des exploitations permet d’introduire la répartition des UAP dans le territoire des exploitations critère de typologie de ces dernières. On peut préciser les types d’exploitations concernés par telle ou telle UAP.

Les UAP sont reconnues comme opératoires pour aborder les problèmes environnementaux liés à l’agriculture car elles permettent de relier des processus au niveau des exploitations à des entités spatiales plus englobantes significatives pour les enjeux environnementaux.

Le concept de système de culture permet de mettre en correspondance UA et UAP : la mise en œuvre d’un système de culture est associée à une certaine organisation de l’espace et produit un ensemble particulier de formes. Par exemple, le territoire d’une exploitation dans les Pyrénées centrales présente en fond de vallée près des habitations un système de culture à base de maïs où les terrains plats favorisent les travaux mécanisés et la proximité des bâtiments permet de faire de l’ensilage ; sur les versants, un système de culture de prés de fauche basé sur des techniques traditionnelles permet de valoriser des parcelles plus petites, irrégulières et dispersées aux abords peu entretenus (Toillier, 2002).

La superposition entre des UAP et une aire protégée, des zonages de conservation permettrait

ainsi « de repérer des faits et les lieux de complémentarités ou de conflits potentiels et peut

aider au dialogue entre les acteurs concernés » (Deffontaines, 2006, p. 71).

Ainsi définies, les UAP lorsqu’elles sont croisées avec les zonages environnementaux vont nous permettre d’identifier des incohérences, des conflits d’usage et participent de cette volonté de croiser enjeux environnementaux et enjeux agricoles.

3.2.1.4. Utilité du concept de paysage dans une problématique d’aménagement du territoire

Dans une problématique d’aménagement, Deffontaines (2006, p.70) met en avant « la

nécessité de s’intéresser aux deux volets propres au paysage : la connaissance objective de la production du paysage et la perception qu’en ont les acteurs ». C’est à la fois un objet de

connaissance, de représentation et de communication. En tant qu’espace d’expression intentionnelle ou non, il permet de croiser les points de vue des différents usagers d’un territoire et de comprendre leurs logiques. Sautter (1993) expliquait : « le paysage est

structuré comme l’expression toujours plus ou moins brouillée des logiques qui ne sont qu’exceptionnellement paysagères : logiques des forces naturelles, logiques de la société ».

Dans une démarche d’analyse des dynamiques territoriales, les modèles d’organisation spatiale s’appuyant sur les représentations paysagères permettent ainsi d’intégrer les points de

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vue des acteurs, les facteurs sociaux, en plus de facteurs physiques, naturels (Gautier, 1995 ; Cheylan et al 1990).

De plus, dans des démarches concertées d’aménagement du territoire, le paysage peut servir de médiateur entre acteurs, en particulier entre agriculteurs et gestionnaires. Le découpage du territoire en unités paysagères intermédiaires, les unités agrophysionomiques, permet de mettre en relation les logiques agricoles et les formes produites observables par tous dans l’espace rural ; cette méthode contribue à rendre intelligible par tous les relations entre logiques agricoles et enjeux environnementaux.

Nous retiendrons donc l’approche des paysages développée par les géoagronomes, qui met en relation pratiques agricoles, territoires d’exploitation et paysage; la lecture du paysage sera utile à la reconnaissance du terrain et des pistes de travail.

C’est en croisant organisation du paysage, informations sur les pratiques et les représentations qu’on peut attribuer un système de pratiques à une unité spatiale d’égale physionomie et ainsi identifier les éléments de paysage (Gautier, 1995). Les éléments de paysage permettent ensuite d’étudier les relations entre pratiques d’utilisation des ressources et organisation du territoire.

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