• Aucun résultat trouvé

Conclusion de la section 1

Section 2. Le concept de capacité d’adaptation pour formaliser les processus de changement des activités agricoles en réponse aux dispositifs processus de changement des activités agricoles en réponse aux dispositifs

3. Application du concept aux systèmes agricoles dans une perspective d’aide à la gestion

3.3. Les déterminants des capacités d’adaptation : des leviers d’action

Pour qu’une politique puisse renforcer les capacités d’adaptation des agriculteurs pour faire face à des changements environnementaux ou institutionnels, il est nécessaire de connaitre les facteurs qui déterminent ces capacités et les processus qui relient capacité d’adaptation et nature des changements. Ce type de travaux n’est pas courant dans le nouveau champ de recherche sur l’adaptation. En général, les recherches visent à élaborer des indicateurs, définis

a priori, pour comparer les capacités d’adaptation de différentes exploitations, communautés,

région ou pays afin de cibler des zones prioritaires pour des interventions politiques, ou encore pour mesurer les effets de capacités d’adaptation hypothétiques (O’Brien et al, 2004 ; Adger, 2006). Elles se basent en général sur des données déjà disponibles.

En revanche, il existe une large littérature sur les modes de gestion des ressources naturelles, la gestion des risques et aléas (Marschke 2006), la sécurité alimentaire (Adams et al., 1998) ou encore la durabilité des modes de vie, qui mobilise les notions de « stratégies d’adaptation » ou « pratiques d’adaptation » des agriculteurs (Picouet, 2004) sans que le concept de « capacité d’adaptation » ne soit toujours évoqué ou explicité. Les déterminants des capacités d’adaptation sont identifiés de façon empirique, par observation et analyse des conditions qui semblent importantes pour les agriculteurs pour faire face à des perturbations, des risques, des aléas…

105

Nous présentons ici dans un premier temps les différentes façons dont est abordée la question de l’adaptation des agricultures familiales dans ces travaux ainsi que les déterminants identifiés. Puis nous verrons les possibilités de caractérisation des déterminants d’une façon plus générale, qui soit applicable à différents cas de figure.

3.3.1. Un aperçu des déterminants des capacités d’adaptation des exploitations

Sous les tropiques, la forte dépendance des agricultures aux conditions environnementales et économiques a conduit, dès les années 70, agronomes et géographes à analyser la prise en compte des aléas, des risques et des changements dans l’élaboration des stratégies familiales et l’évolution des systèmes agraires. Les questions relatives aux politiques de conservation des forêts étant longtemps restées aux mains des économistes, écologues et sociologues, les travaux des agronomes sur l’adaptation des systèmes de production aux politiques environnementales sont rares. Selon les objectifs de l’étude, les questions portant sur l’adaptation relèvent de différents niveaux d’étude spatio-temporels. Deux types d’adaptation ont été identifiés :

- l’adaptation des exploitations agricoles à des variations dites normales, cycliques ou saisonnière (cyclone, sécheresse), sur le temps de la campagne agricole ;

- l’adaptation des exploitations vue comme une réaction à un dispositif de gestion contraignant (changement politique, institutionnel, crise économique), à court et moyen terme.

3.3.1.1. L’adaptation à des variations « normales »

Les variations « normales » qui affectent l’agriculture sont des fluctuations selon des rythmes saisonniers ou cycliques, sur l’année ou la décennie. Elles correspondent aux aléas climatiques (sécheresse, cyclone) ou à une variation dans la disponibilité des ressources (période de soudure). Les mécanismes d’adaptation des agriculteurs sont en général appréhendés à l’échelle de la parcelle, du système de culture ou de l’exploitation par l’observation des pratiques mises en œuvre sur le court-terme.

Dans l’étude des adaptations à des variations « normales » de type climatique, Sautier propose de distinguer trois grands types de stratégies qui ont valeur très générale car pouvant s’appliquer à des situations variées de nature différente :

- La dispersion à tous les niveaux, destinée à atténuer les effets des risques

- L’évitement qui consiste à prévenir les risques en empêchant leur manifestation, en agissant directement ou indirectement sur leurs causes ;

- Le contournement, qui sans agir ni sur les causes, ni sur les effets, permet de se situer hors d’atteinte des risques. Autrement dit accepter les risques mais tenter d’en atténuer l’impact ou bien les combattre ou bien encore de s’y dérober.

Concernant l’activité de production agricole, ces différentes stratégies sont souvent mises en œuvre conjointement. Morlon (1992) l’illustre à propos de l’agriculture andine au Pérou : face à des risques climatiques sévères, les pratiques adoptées passent par :

- l’aménagement du milieu (infrastructures d’irrigation, bocage, terrasses)

106

- des choix d’espèces et de variétés adaptées (par leur morphologie ou longueur de cycles)

- la diversification du matériel végétal au sein de la parcelle (association de cultures)

- la dispersion de micro-parcelles situées dans des milieux pédoclimatiques différents pour mieux tirer partie de la gamme de conditions offertes par le gradient altitudinal. Il apparait que la lutte contre le risque climatique peut aussi bien résulter de l’artificialisation du milieu que d’une adaptation à ses conditions. En effet l’artificialisation aurait une capacité supérieure à tamponner les effets négatifs des perturbations environnementales.

Ces trois types de stratégies se trouvent en fait fréquemment combinées dans les agricultures locales.

Dans des conditions aussi contrastées que celles des Andes (Morlon, 1992), du Sahel, du Burkina (Milleville, 1989) ou des forêts du Cameroun (Leplaideur, 1989), les pratiques agricoles adoptées pour atténuer les risques climatiques reposent largement sur la dispersion et la diversité (Turner et al, 2003 ; Milleville, 2007). Soit en mettant à profit l’hétérogénéité et les complémentarités du milieu, soit en étant elles-mêmes sources de diversité. La diversification des pratiques culturales et les associations de plantes sur la parcelle, la combinaison des différentes cultures, ou celle de l’agriculture et de l’élevage au sein de l’unité de production demeurent très répandues dans le monde tropical et représentent des facteurs de sécurité face aux risques qui affectent la production agricole.

Pour faire face à la soudure ou aux risques alimentaires, les adaptations reposent généralement sur des pratiques de stockage qui permettent d’étaler la période de consommation et reporter d’une année sur l’autre d’éventuels surplus. Mais le stockage n’est pas toujours possible en fonction de la nature des denrées agricoles et des caractéristiques du milieu. Dans les zones forestières où domine la culture de tubercules, le système cultural résulte en grande partie de la gestion du système alimentaire (Leplaideur, 1989) : les associations de plantes et la mise en place échelonnée des cultures permettent d’étaler les récoltes et faire disparaitre la soudure. D’autres adaptations sont observées en plus des greniers : les migrations saisonnières qui limitent la pression sur les réserves, la cueillette de végétaux pour compléter conjoncturellement une production vivrière insuffisante. Sautier insiste sur les complémentarités alimentaires des différents étages écologiques, sur les techniques de stockage et la recherche de revenus extérieurs à l’agriculture. Cette dernière stratégie relève du « contournement » et prend une importance croissante avec l’intégration progressive de l’économie paysanne au marché. Elle tend peu à peu à prendre le pas sur les stratégies de « dispersion » et « d’évitement » qui dominaient dans la logique d’autosubsistance. Ce recours de plus en plus marqué à la pluriactivité est très répandu ; les stratégies paysannes s’appuient de plus en plus sur des relations à distance, notamment entre la ville et la campagne, concernent des réseaux sociaux plus ou moins étendus et deviennent des niveaux où s’exercent de nouveaux mécanismes régulateurs.

Ainsi, la capacité des ménages à intensifier ou diversifier leur système de culture pour s’adapter aux variations saisonnières ou cycliques, dépend de facteurs endogènes comme les capitaux, leurs atouts et contraintes, et aussi des facteurs externes comme l’intégration dans le marché, leur isolement géographique ou l’état de dégradation des terres (Goldman, 1995; Ellis, 2000).

107

3.3.1.2. L’adaptation comme réponse à des dispositifs de gestion

Récemment en France, c’est à l’occasion de la mise en œuvre des contrats agri-environnementaux dans les années 90 que la notion d’adaptation apparait (Guichard et Michaud, 1994).

Dans un contexte d’incitations politiques, de changement de l’environnement socio-économique, d’attribution de nouvelles fonctions à l’agriculture (multifonctionnalité), il s’agit de comprendre comment les exploitations mettent en œuvre de nouvelles stratégies pour répondre à ces nouvelles attentes. Osty et al. (1996) observent en effet que les agriculteurs transforment leur exploitation en organisant de nouvelles cohérences fonctionnelles, au niveau des processus biotechniques et de nouvelles cohérences stratégiques. Ce travail de réorganisation produit des changements plus ou moins profonds et plus ou moins rapides de l’exploitation. C’est un processus d’exploration des possibilités qui peut se faire sur plusieurs années et qui peut conduire éventuellement à la mise en place d’un nouveau système. Il est généralement étudié à l’échelle de la génération qui subit le changement.

Les recherches sont alors clairement orientées vers des objectifs d’intervention pour aider l’adaptation des agriculteurs à ces mesures. Les agronomes de l’exploitation agricole se sont concentrés sur l’analyse des conditions technico-économiques d’adaptation des exploitations vers une plus grande prise en compte d’objectifs environnementaux (Dobremez, Perret, 1998). Ces travaux se sont surtout attachés à analyser les conditions permettant d’associer les objectifs de gestion internes à l’exploitation (revenu, travail, pérennité) et les objectifs, voire les contraintes, externes résultant d’attentes de la société (environnement). Les composantes de l’environnement sont dans ce cadre abordées comme engendrant des surcoûts et/ou des manques à gagner. Les possibilités de changements sont recherchées au travers de l’analyse des marges de manœuvre des agriculteurs, c'est-à-dire les domaines d’activité du système famille-exploitation dont le fonctionnement peut changer. Les conditions effectives de la mise en place d’aides à l’amélioration ou l’utilisation des marges de manœuvre ne peuvent généralement pas être travaillées uniquement par les agronomes, mais en collaboration avec les disciplines de sciences humaines et sociales (gestion, économie,…). Pour être réellement opératoire dans un processus de changement la seule analyse agronomique de l’exploitation n’est pas suffisante.

Conscients que ces changements s’inscrivent dans la durée, agronomes et géographes les replacent généralement dans une approche historique à l’échelle du système rural qui permet d’expliquer la forme prise par les changements (Lericollais et Milleville 1997 ; Rabearimanana et al, 1994).

Mais ces approches ont été très peu appliquées aux exploitations agricoles africaines en autosubsistance, et ce pour différentes raisons (Gafsi et Legile, 2007). D’une part, il est difficile d’appréhender de manière globale les exploitations étant donné leur diversité (structures, systèmes de production). D’autre part, être agriculteur est généralement un état subi plutôt qu’un métier choisi ; cet état d’esprit conditionne le comportement des agriculteurs qui ne se considèrent pas comme des décideurs ayant un projet professionnel. Dans ce contexte, les notions de performance et de gestion sont peu valorisées et difficiles à appréhender. Toute l’attention est portée sur l’objectif prioritaire de nourrir la famille et sur lequel sont concentrés tous les moyens disponibles.

Il s’agit là d’une analyse réductrice ; la prédominance de l’incertitude dans un environnement à fortes contraintes et l’importance des déterminants sociaux dans les modes de prise de décision expliquent les particularités des exploitations africaines. Il est difficile pour un observateur extérieur d’identifier les stratégies mises en œuvre car elles ne reposent pas sur

108

des logiques simples axées uniquement sur la production, ce qui ne veut pas dire qu’elles sont inexistantes (ibid., p. 222).

Le thème des capacités d’adaptation, résultant d’évolutions croisées entre les sociétés humaines et les milieux dans lesquels elles vivent est vaste et complexe. Il existe peu d’analyses sur des mécanismes moteurs applicables à différents types de situation.

3.3.2. Essai de généralisation

On retrouve des essais de formalisation de la constitution des capacités d’adaptation en économie et en écologie politique. La gestion des écosystèmes est abordée comme un enjeu de gestion des risques; les relations de pouvoir entre acteurs et les processus économiques et politiques sont au cœur des analyses (Sen, 1981 ; Walker, 2005). Les auteurs explorent les facteurs qui contribuent aux capacités des acteurs à faire face aux risques.

De façon générale, la capacité d’adaptation est décrite comme une fonction du capital social (incluant les droits de propriété), économique, humain (incluant le niveau d’éducation), de la technologie et des compétences, des infrastructures, des caractéristiques des institutions (mode de prise de décision), et de l’accessibilité aux différentes ressources (équité) (Smit et Pilifosova, 2003). Ces facteurs ont des dimensions à la fois sociale, économique, physique et politique qui correspondent à différents niveaux d’organisation allant de l’individu au pays. Certains sont essentiellement locaux comme les relations familiales qui permettent de l’entraide, des emprunts pour pallier certains manques, et d’autres sont à appréhender à des niveaux d’organisation supérieurs comme les aides institutionnelles ou politiques. Ils sont dépendants du contexte, variables d’une communauté à une autre, d’un individu à un autre, et sont aussi variables au cours du temps.

On retiendra la définition de Sen (1987) qui propose une classification des différents déterminants des capacités d’adaptation applicable à tout type de système (de l’individu, à la communauté, à un pays). La constitution de la capacité d’adaptation dépend de trois facteurs :

- les biens et potentialités possédées qui comprennent les disponibilités en capitaux (capital social, capital économique),

- les caractéristiques intrinsèques du système considéré,

- et les opportunités externes au système considéré.

Cette définition permet de se placer du point de vue du système considéré, ce qui est essentiel dans le cadre d’étude sur les exploitations agricoles. Les décisions des agriculteurs s’expliquent par les objectifs qu’ils poursuivent, par les moyens dont ils disposent et par leur perception de leur environnement, qui est toujours différente de celle d’un observateur extérieur.

Transposée au système de l’exploitation agricole, la définition de Sen permet de classer les déterminants des capacités d’adaptation en fonction de la plus ou moins grande maitrise qu’en ont les agriculteurs (Tableau 3 ci-dessous). Cette classification permet de mettre en évidence :

- ce qui relève de contraintes ou d’opportunités, du point de vue de l’agriculteur ;

- la distinction entre les marges de manœuvres de l’agriculteur, qui correspondent aux facteurs qu’ils peuvent modifier (à court, moyen ou long terme), et ce qui ne peut être modifié que par des interventions extérieures (politiques, institutionnelles…)

109

Tableau 3 : Classement des déterminants des capacités d’adaptation en fonction de leur degré de contrôle et de maitrise par l’agriculteur et sa famille (adapté de Brossier, 2007)

Déterminants des capacités d’adaptation Exemples

Facteurs de l’environnement peu

modifiables par l’agriculteur

individuellement (à court et moyen terme) : atouts et contraintes utilisés ou subis par le système

= Opportunités externes

Conditions pédoclimatiques

Environnement économique (prix, marché, rentes de situation, rapport avec l’amont et l’aval, etc.)

Environnement technique (progrès technique)

Environnement social, politique, culturel, (organisation collective, migration, organisation des services, etc.) Facteurs modifiables à moyen et long

terme par l’agriculteur : la structure du système, l’information

= Marges de manœuvre relevant de caractéristiques intrinsèques

Situation familiale, nombre d’enfants, situation des enfants, succession, migration

Apprentissage, formation, informations Accès à la terre

Situation des ressources financières, financement Force de travail et nombre d’actifs familiaux Facteurs modifiables et contrôlés par

l’agriculteur, à court terme

= Marges de manœuvre relevant des biens possédés

Facteurs de production : équipement, bâtiments, matériels, semences, etc.

Main d’œuvre salariée Surface mise en culture

Il n’existe actuellement aucun consensus sur le rôle et les modalités d’action des différents déterminants des capacités d’adaptation (Smit et Wandel, 2006). Cependant certains modèles permettent d’envisager les processus d’adaptation d’un système complexe, et ainsi de relier de façon fonctionnelle les différents niveaux où s’appréhendent les déterminants des capacités d’adaptation.

Outline

Documents relatifs