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Le développement : une notion qui a évolué avec la pensée économique et la prise en compte de l’environnement

3. Concilier conservation et développement : à quelle(s) condition(s) ?

3.1. Le développement : une notion qui a évolué avec la pensée économique et la prise en compte de l’environnement

Chercher à concilier environnement et développement et en particulier, conservation des forêts tropicales et développement de l’agriculture, est une idée finalement assez récente que l’on peut dater des années 80 avec le courant de l’écodéveloppement (Sachs, 1993), qui a précédé celui du développement durable. Un retour sur ces notions permet de poser les bases d’une réflexion sur la recherche d’une (ré)conciliation entre environnement et développement.

3.1.1. Le développement : approches économiques

La seconde moitié du 20ème siècle a été marquée par des crises environnementales et de récessions économiques qui ont contribué à faire évoluer rapidement les théories sur les interrelations entre développement et environnement et leurs évolutions souhaitables.

Les approches théoriques du développement ont évolué avec l’évolution des perceptions de l’homme sur son environnement.

Du latin « volver » signifiant « faire avancer », étymologiquement le développement sous-tend l'idée d'un plus, d'un progrès, d'une amélioration. Longtemps, il a été assimilé à la croissance économique. Perroux (1974) le définit comme « l’ensemble des transformations

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sociales qui rendent possible une croissance économique autonome et qui se nourrit elle-même ». Cette vision purement économique basée sur le modèle capitaliste a marqué les

politiques nationales et internationales de développement au 20ème siècle. Dans cette vision, l’environnement, au sens de ressources naturelles, est considéré comme un facteur de production ou l’une de ses contraintes dont il faut s’affranchir, au moyen d’actions d’aménagement. La question de sa pérennité ne se pose pas.

Il faut attendre les années 70 pour réaliser que croissance économique et développement, sans s'exclure totalement, ne signifient pas pour autant la même chose.

Les récessions économiques et crises environnementales affectant particulièrement les pays du Sud en ont été les déclencheurs (Assidon, 1992). Les inégalités se creusent et une double contradiction apparait : « «le développement crée le sous-développement et la richesse crée la

pauvreté» (Aydalot, 1983, p.88).

Selon le rapport du Club de Rome7 (Meadows et al., 1972) la tendance à la production et à la consommation ne peut qu'accélérer l'autodestruction de l'humanité. Les ressources naturelles ne sont pas infinies et inépuisables. Un appel à une meilleure prise en compte de l'environnement et à un arrêt de la croissance est lancé. Les Nations Unies créent le Programme de nations unies pour l’environnement (PNUE). L’environnement devient une dimension incontournable du développement (Sachs, 1980).

Les problèmes environnementaux sont rapidement reliés au sous-développement : « c’est en

Afrique sub-saharienne que les relations entre faillite du développement et agression de l’environnement apparaissent le plus brutalement » (Agrasot et al., 1993).

Cet état des lieux ouvre un débat sur les distinctions à opérer entre croissance et développement (voir H. Daly, économie écologique).

La croissance est définie comme un changement quantitatif (mesurable par le PNB ou PIB) tandis que le développement l’est par un changement qualitatif qui fait intervenir des paramètres matériels et immatériels liés à la santé, la culture, l'éducation, la religion, etc. : «C’est la combinaison des changements mentaux et sociaux d’une population qui la rendent

apte à faire croître, cumulativement et durablement, son produit réel global» (Perroux, 1974,

p.191). Ainsi de nouveaux indicateurs sont apparus, tel l'indice de développement humain (IDH) créée par le PNUD en 1990 pour classer les pays plus seulement en fonction de leur croissance économique (PIB et PNB) mais aussi en fonction de la santé, du niveau d’éducation et du niveau de vie.

Bremond et Geledan (1981, p. 338) redéfinissent le développement, «comme un faisceau de

transformations qui modifie les comportements, intègre les progrès des connaissances, l'amélioration des qualifications dans le sens d'une accumulation. Le développement est une mutation (...) repérable par des coefficients (...) et des indicateurs sociaux ». Une importance

croissante est accordée aux changements qui font agir une population dans le sens du progrès social et économique.

Nous retenons donc l’idée que le développement est vu aujourd’hui comme un processus de changements quantitatifs et qualitatifs des conditions de vie d'une population.

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Ce rapport sera très critiqué pour son pessimisme et surtout pour avoir ignoré les capacités d'innovation au moyen desquelles il est possible d'inverser les tendances lourdes. La thèse de la «pénurie imminente» qui est l'une des hypothèses de base du rapport du Club de Rome, s'avère non fondée en partie (Sachs, 1980).

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3.1.2. L’environnement : un concept plastique

L’environnement est une notion vaste, imprécise (litt. ‘ce qui entoure’) qui englobe l’homme, la nature et leurs interactions. L'utilisation du vocable « environnement » s'est développée à partir des années soixante pour désigner aujourd’hui « les ressources naturelles biotiques

(faune, flore) et abiotiques (air, eau, sol) et leurs interactions réciproques, les aspects caractéristiques du paysage et les biens que composent l'héritage culturel » (Le Grand

Robert, 2001).

La définition proposée par la commission européenne met plus en avant le caractère global de l’environnement, dans ses dimensions sociale, économique et écologique : « l'ensemble des

éléments qui, dans la complexité de leurs relations, constituent le cadre, le milieu, les conditions de vie pour l'homme. » (Veyret et Pech, 1993).

Dans les faits, l’environnement est souvent défini de façon phénoménologique (Weber, 1995a). Bien souvent ce sont que les problèmes qui appellent une action d'urgence qui sont recensés : la surpêche, la destruction des forêts, le recul de la biodiversité, le changement climatique, la pollution de l'air et des eaux, la désertification… Les phénomènes pris en compte sont donc essentiellement des dégradations, ce qui donne lieu à une image catastrophiste de l’évolution de l’état de l’environnement.

Cependant nombre de ces problèmes suscitent des polémiques du fait des difficultés de leur quantification, ce qui maintient une idée vague de la notion d’environnement.

La déforestation en est un exemple éloquent : il n’en existe aucune définition précise et les méthodes utilisées pour les estimations chiffrées sont rarement explicitées. Elle est généralement comprise comme une diminution de la surface couverte de forêt. Pourtant, il n’est pas possible de la définir sans ajouter une référence aux modes d’utilisation du sol et sans prendre en compte les dynamiques de régénération. En effet il existe des formes d’utilisation de la forêt – et des objectifs dominants de gestion forestière – qui peuvent faire momentanément disparaître la couverture forestière, mais assurent son maintien en favorisant la régénération (Lanly, 2003). De façon générale, les informations sont rares sur la nature, les dynamiques et la dimension spatiale des modes d’usages du sol et des processus de déforestation.

Pour évaluer les taux de déforestation, la plupart des auteurs se contentent de faire des suppositions quant à la nature et à l’étendue du couvert végétal antérieur ou de se référer à d’autre études sur le sujet, sans les soumettre à un examen critique (voir Green et Sussman, 1985 pour le cas de Madagascar). Il est notamment devenu acceptable de déduire la nature et l’étendue du couvert forestier d’antan ainsi que sa vitesse de disparition à partir d’observations de la végétation actuelle. Quatre hypothèses classiques sont utilisées (Fairhead et Leach, 1998, p.1) : 1) partout où la forêt peut exister aujourd’hui (conditions édaphiques et climatiques données), elle existait effectivement à l’origine à l’état vierge, jusqu’à ce qu’elle ait atteint son état de dégradation actuelle ou ait complètement cédé la place à la savane; 2) cette perte s’explique essentiellement par l’utilisation des terres faites par les populations, 3) les forêts ne sont habitées que depuis une époque récente (généralement depuis 1900 environ), 4) auparavant les activités d’agriculture ou d’aménagement des terres étaient soit insignifiantes, soit inoffensives pour la forêt. Ajouter à cela les variations de la définition donnée à la « forêt » allant de « un couvert végétal dominé par des arbres, sans sous-étage

d'herbe ou de végétation adventice et n'ayant pas été cultivée récemment » (Hall, 1987) à la

définition retenue dans le cadre de la Convention-cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (accords de Marrakech 2001) qui laisse libre cours à chaque pays de donner une définition à la forêt : « superficie minimale entre 0.05 et 1 ha et une couverture

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minimale de 10 à 30 % de la surface avec des arbres dont la hauteur est comprise entre 2 et 5 m. » (article 3, protocole de Kyoto), ce qui inclut les forêts dégradées, les plantations

d’eucalyptus ou de palmiers à huile...

Fairhead et Leach (1998) ont ainsi montré que l’on tend à exagérer l’ampleur de la déforestation en Afrique de l’Ouest au 20ème siècle. De même que Serpantié et al. (2007) pour Madagascar montrent aussi que des dynamiques très différentes à l’échelle du pays ont été souvent « amalgamées » en un coefficient unique de déforestation justifiant d’intervenir partout sans prise en compte des menaces réelles. Finalement les zones placées en aires protégées ne sont pas forcément menacées, et les dynamiques rapides de déforestation ne sont pas traitées.

Dans ce contexte il est tout aussi difficile de parler de dégradation de l’environnement que d’amélioration. Par exemple, Michon (2003) montre comment les agroforêts en Indonésie, qui résulte d’une « dégradation » de l’écosystème forestier naturel, sont finalement plus riches en biodiversité.

D’après Agrasot et al. (1993), l’absence de clarification du concept d’environnement n’est pas neutre, elle permet d’orienter les discours politiques. Karsenty et Pirard (2007) notent ainsi que la mise en œuvre d’un nouveau mode de gestion environnementale, basé sur les compensations pour « déforestation évitée » dans le cadre des mécanismes de développement propre (MDP) contribuera certainement à une révision à la baisse des discours catastrophistes sur l’ampleur de la déforestation et une nécessaire harmonisation des définitions données à la déforestation.

La plasticité du concept d’environnement laisse ainsi ouvert la possibilité d’une diversité de lecture et d’explication des phénomènes selon les postures et les enjeux défendus par les énonciateurs.

3.1.3. Le développement durable : un projet intégrateur

Malgré son caractère récent, la problématique du développement durable s’inscrit dans des traditions de pensée qui plongent loin leurs racines et dépassent largement le cadre des seules analyses et politiques menées par les grandes institutions internationales qui ont diffusé le concept.

Le concept de développement durable a été diffusé par le rapport de Brundtland (CMED, 1987) qui le définit comme « un développement qui répond aux besoins du présent sans

compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs ».

Il a été forgé pour qualifier la «troisième décennie du développement» (Vivien, 2003) qui vise à dépasser les contradictions précédemment évoquées entre environnement et développement, en cherchant articuler les trois sphères : le progrès économique, la justice sociale et la préservation de l'environnement.

Il trouve ses origines dans deux grands courants : l’écodéveloppement (Sachs, 1980) et l’économie écologique (Norgaard, 1985 ; Daly, 1990).

Selon Sachs (1980), «l'écodéveloppement est un développement des populations par

elles-mêmes utilisant au mieux les ressources naturelles, s'adaptant à un environnement qu'elles transforment sans le détruire» (Sachs, 1980 : 37). Il ne s’agit pas d’une théorie mais plutôt

d’une pratique du développement qui se propose de mettre l'homme et les questions environnementales au cœur de la planification et de la conduite du développement, en tenant

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compte du contexte spatio-temporel des activités considérées. Elle vise à articuler le social, l'écologique et l'économique : les objectifs sont sociaux et éthiques, avec une contrainte environnementale, l'économie n'ayant qu'un rôle instrumental. « Pour l'aménagement de

l'environnement humain, l'écodéveloppement est un processus créatif de transformation du milieu à l'aide de techniques écologiquement prudentes conçues en fonction des potentialités de ce milieu, s’interdisant le gaspillage inconsidéré des ressources et veillant à ce qu'elles soient employées à la satisfaction des besoins réels de tous les membres de la société »

(Sachs, 1980 : 95). La mise en cohérence de ces exigences doit être assurée par une « planification participative », permettant un rééquilibrage des pouvoirs entre le marché, l’Etat et la société civile, au profit de cette dernière. Ce planificateur « apparaît davantage comme

un animateur, un fédérateur, un négociateur, un innovateur qu’un décideur s’appuyant sur les modèles des experts et sur les résultats de leurs calculs économiques » (Godard, 1998, p.224).

La notion d’écodéveloppement a été marginalisée par les « onusiens » au profit de celle de développement durable plus consensuelle et ayant moins de conséquences politiques car celle-ci ne se positionnant pas par rapport au sous-développement, au mal-développement et au sur-développement. Le courant de l’écodéveloppement affirmait en effet qu’il n’y aurait pas de sortie du sous-développement tant qu'il n'y aurait pas de frein au sur-développement et que la dégradation de l’environnement est une cause du mal-développement.

L’écologie économique est un courant de pensée qui se donne pour objectif de faire dialoguer économie et écologie et définit l’enjeu du développement durable en termes de «coévolution» des dynamiques sociales et naturelles (Norgaard, 1985). Il s’agit d’appliquer des impératifs écologiques aux objectifs traditionnels du développement, car une croissance infinie est impossible et est la cause majeure des maux socio-économiques et écologiques. Mais en l’état des connaissances, il apparait impossible de traduire cette idée en des termes plus opérationnels.

Daly (1990) définit alors trois principes : 1) les taux d’épuisement des ressources naturelles renouvelables doivent être égaux à leurs taux de régénération, 2) les taux d’émission de déchets doivent être égaux aux capacités d’assimilation et de recyclage des milieux dans lesquels ils sont rejetés 3) les taux d’utilisation des ressources naturelles non renouvelables doit se faire à un rythme égal à celui de leur remplacement par des ressources naturelles renouvelables. Cette conception de la durabilité s’appuie sur des notions d’irréversibilité, d’incertitude et de principe de précaution. A l’inverse de la théorie néoclassique on retrouve là l’idée d’une complémentarité entre le capital naturel et les autres facteurs de production, et dès lors sur la nécessité de conserver un stock minimal de « capital naturel » pour que la biosphère puisse continuer à évoluer en interaction avec les sociétés humaines, en assurant certaines fonctions vitales. Mais « le capital naturel » reste à définir (Vivien, 2003).

Plutôt qu’un concept aux contours mal définis, le développement durable se présente comme une approche, un projet (Zaccaï, 2002). Il reconnaît l’articulation nécessaire entre les trois sphères économique, sociale et environnementale sans pour autant s’appuyer sur une seule théorie ni en définir les modalités de mise en œuvre. Ainsi des idées ou des projets très différents concernant le développement, peuvent être greffés à la notion de durabilité sans trop de difficulté. Lascoumes (2000) s’interroge : « le développement durable n’est-il qu’une

affaire de marketing, un affichage moderniste qui laisse l’essentiel des pratiques destructrices et polluantes inchangées ? Il relève d’un mythe pacificateur occultant des tensions réelles et toujours actuelles entre enjeux et acteurs ».

Mais au-delà de ces critiques, il importe de comprendre comment cette référence peut permettre des changements fondamentaux dans l’élaboration et la mise en œuvre des

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politiques environnementales et de développement. L’émergence de cette notion n’est qu’une première étape d’une démarche plus ambitieuse qui cherche les conditions de l’évolution harmonieuse entre environnement et développement (Boidin et Zindeau, 2006).

En cela, les définitions données aux principes d’écodéveloppement et d’écologie politique offraient une approche plus claire pour l’action en plaçant le développement au cœur des approches, mais un développement compatible avec l’environnement qui nécessite des changements sociaux et technologiques, les principes de prudence et de précaution devant faire partie intégrante de l’action. Le succès de la notion de développement durable sur ces deux principes dans la « compétition sémantique » s’explique ainsi par son aspect fédérateur et consensuel.

3.2. Les implications temporelles et spatiales d’une conciliation des objectifs de

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