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LEROUX, SANDET HUGO

58 Baudelaire,

58 Baudelaire, Les Drames et les romans honnêtesLes Drames et les romans honnêtes, dans , dans L’art romantiqueL’art romantique, Garnier, 1962, p.570., Garnier, 1962, p.570. 59 Baudelaire,

Il paraît un peu difficile de soutenir que Sand et Hugo ne sont

Il paraît un peu difficile de soutenir que Sand et Hugo ne sont pas des auteurs romantiques. C’est pourtant ce que nous ferons, pas des auteurs romantiques. C’est pourtant ce que nous ferons, en tout cas dans la mesure où il est permis d’affirmer que les en tout cas dans la mesure où il est permis d’affirmer que les romantiques ne sont pas républicains. Ils ne le sont pas parce romantiques ne sont pas républicains. Ils ne le sont pas parce que leur royaume n’est pas de ce monde, tout pleins qu’ils sont que leur royaume n’est pas de ce monde, tout pleins qu’ils sont de leur égotisme et de leur dolorisme, et toujours à fuir la vie de leur égotisme et de leur dolorisme, et toujours à fuir la vie commune vers des extrêmes comme l’amour fou, l’art pour l’art commune vers des extrêmes comme l’amour fou, l’art pour l’art ou une conception complètement exaltée de la révolution. Sand et ou une conception complètement exaltée de la révolution. Sand et Hugo sont

Hugo sont a contrarioa contrario des républicains convaincus, continuateurs des républicains convaincus, continuateurs des Lumières façon XIX

des Lumières façon XIXe siècle, ne désespérant pas de l’homme. siècle, ne désespérant pas de l’homme. Ils eurent aussi une relation d’amitié avec Leroux, surtout Sand, Ils eurent aussi une relation d’amitié avec Leroux, surtout Sand, au moins un temps.

au moins un temps.

Célèbre surtout par ses amours, Sand fut la grande amie de Célèbre surtout par ses amours, Sand fut la grande amie de Leroux qu’elle prit comme maître à penser à partir de 1835. Le Leroux qu’elle prit comme maître à penser à partir de 1835. Le philosophe tomba sous son charme mais comprit vite qu’il devait philosophe tomba sous son charme mais comprit vite qu’il devait sublimer sa passion. On trouvera quatre portraits de Leroux dans sublimer sa passion. On trouvera quatre portraits de Leroux dans cette anthologie ; ils concordent remarquablement. On lit dans ce- cette anthologie ; ils concordent remarquablement. On lit dans ce- lui de

lui de Sand : « Enfin, Leroux vint, éloquent, ingénieux, sublime, Sand : « Enfin, Leroux vint, éloquent, ingénieux, sublime, nous proposer le règne du ciel sur cette même terre que nous mau- nous proposer le règne du ciel sur cette même terre que nous mau- dissions. […] Il a la figure belle et douce, l’œil pénétrant et pur, le dissions. […] Il a la figure belle et douce, l’œil pénétrant et pur, le sourire affectueux, la voix sympathique, et ce langage de l’accent sourire affectueux, la voix sympathique, et ce langage de l’accent et de la physionomie, cet ensemble de chasteté et de bonté vraie qui et de la physionomie, cet ensemble de chasteté et de bonté vraie qui s’emparent de la persuasion autant que la force des raisonnements. s’emparent de la persuasion autant que la force des raisonnements. Il était dès lors le plus grand critique possible dans la philoso- Il était dès lors le plus grand critique possible dans la philoso- phie de l’histoire. [...] On se sentait arracher le bandeau des yeux phie de l’histoire. [...] On se sentait arracher le bandeau des yeux comme avec la main. » Leroux initia en effet Sand à la politique comme avec la main. » Leroux initia en effet Sand à la politique et à l’histoire. Pour se limiter, on évoquera la présence de Leroux et à l’histoire. Pour se limiter, on évoquera la présence de Leroux dans l’autobiographie de Sand,

dans l’autobiographie de Sand, Histoire de ma vieHistoire de ma vie et dans son chef et dans son chef d’œuvre,

d’œuvre, ConsueloConsuelo continué dans continué dans La Contesse de RudolstadtLa Contesse de Rudolstadt.

Sand dit son admiration pour le Rousseau de l

Sand dit son admiration pour le Rousseau de l’Émile’Émile ( (lele Vicaire Vicaire Savoyard

Savoyard spécialement) et du spécialement) et du Contrat socialContrat social, mais elle oppose sa , mais elle oppose sa conception de l’autobiographie à celle de l’auteur des

conception de l’autobiographie à celle de l’auteur des Confessions Confessions : : « Jean-Jacques était malade quand il voulait séparer sa cause de « Jean-Jacques était malade quand il voulait séparer sa cause de celle de l’humanité et croyait qu’il valait mieux que ses contem- celle de l’humanité et croyait qu’il valait mieux que ses contem- porains. » Elle ajoute : « Nous avons tous souffert plus ou moins porains. » Elle ajoute : « Nous avons tous souffert plus ou moins de la maladie de Jean-Jacques

de la maladie de Jean-Jacques Rousseau » (I, 466)Rousseau » (I, 466) 60 60. Notons le . Notons le balancement de la pensée de

balancement de la pensée de Sand : Rousseau a tort de se croire Sand : Rousseau a tort de se croire entièrement différent des autres, mais il nous ressemble dans cette entièrement différent des autres, mais il nous ressemble dans cette façon même de s’excepter du reste de l’humanité, erreur fort ré- façon même de s’excepter du reste de l’humanité, erreur fort ré- 60

60 Histoire de ma vieHistoire de ma vie est cité dans est cité dans Œuvres autobiographiquesŒuvres autobiographiques, Éd. Georges Lubin, Pléiade, Gallimard, 1971, le , Éd. Georges Lubin, Pléiade, Gallimard, 1971, le tome et la page.

pandue, particulièrement depuis cinquante ans sous le nom de pandue, particulièrement depuis cinquante ans sous le nom de mal mal du siècle

du siècle. .

Sand affirme au contraire : « Toutes les existences sont solidai- Sand affirme au contraire : « Toutes les existences sont solidai- res les unes des autres, et tout être humain qui présenterait la sienne res les unes des autres, et tout être humain qui présenterait la sienne isolément n’offrirait qu’une énigme à débrouiller. […] L’affaire de isolément n’offrirait qu’une énigme à débrouiller. […] L’affaire de la raison et de la conscience humaine, c’est de trouver un

la raison et de la conscience humaine, c’est de trouver un équilibreéquilibre

et une

et une harmonieharmonie entre ces deux termes, l’identité et la diversité » entre ces deux termes, l’identité et la diversité » (I, 307). La question qui se joue ici est vraiment essentielle aussi (I, 307). La question qui se joue ici est vraiment essentielle aussi bien dans la pensée que dans l’action : quelle part faut-il accorder bien dans la pensée que dans l’action : quelle part faut-il accorder à l’individualité, quelle part à la société ? Les sociétés holistes à l’individualité, quelle part à la société ? Les sociétés holistes s’opposent aux sociétés individualistes, et, au sein des secondes, la s’opposent aux sociétés individualistes, et, au sein des secondes, la droite considère que ce sont les individus qui font la société, tandis droite considère que ce sont les individus qui font la société, tandis que pour la gauche, c’est la société qui fait les individus. On voit que pour la gauche, c’est la société qui fait les individus. On voit que Sand, elle, a parfaitement assimilé la dialectique leroussienne que Sand, elle, a parfaitement assimilé la dialectique leroussienne sur cette question fondamentale.

sur cette question fondamentale.

Ce qu’on peut aussi appeler une pensée de l’ambivalence est ap- Ce qu’on peut aussi appeler une pensée de l’ambivalence est ap- pliquée par Sand à la grande question de la filiation. La Révolution pliquée par Sand à la grande question de la filiation. La Révolution a constitué la plus grande coupure dans le fil qui relie les géné- a constitué la plus grande coupure dans le fil qui relie les géné- rations. D’une façon plus générale encore, l’avènement du monde rations. D’une façon plus générale encore, l’avènement du monde moderne distend et déchire le tissu social aussi bien entre les géné- moderne distend et déchire le tissu social aussi bien entre les géné- rations qu’entre les contemporains. « La trame des temps se rompt rations qu’entre les contemporains. « La trame des temps se rompt à tout moment, commente

à tout moment, commente Tocqueville, et le vestige des générations Tocqueville, et le vestige des générations s’efface. On oublie aisément ceux qui nous ont précédés et l’on n’a s’efface. On oublie aisément ceux qui nous ont précédés et l’on n’a aucune idée de ceux qui vous suivront. […] Ainsi non seulement aucune idée de ceux qui vous suivront. […] Ainsi non seulement la démocratie fait oublier à chaque homme ses aïeux, mais elle lui la démocratie fait oublier à chaque homme ses aïeux, mais elle lui cache ses descendants et le sépare de ses contemporains : elle le cache ses descendants et le sépare de ses contemporains : elle le ramène sans cesse vers lui seul et menace de le renfermer dans la ramène sans cesse vers lui seul et menace de le renfermer dans la solitude de son propre cœur » (III, 2).

solitude de son propre cœur » (III, 2).

Au moment de commencer l’histoire de sa vie en évoquant la Au moment de commencer l’histoire de sa vie en évoquant la figure de son père,

figure de son père, Sand aborde avec la même hauteur de vue la Sand aborde avec la même hauteur de vue la difficile question du singulier et du pluriel sous l’angle de la dia- difficile question du singulier et du pluriel sous l’angle de la dia- chronie. Relisons le deuxième chapitre : « La noblesse de race est chronie. Relisons le deuxième chapitre : « La noblesse de race est un préjugé monstrueux, en tant qu’elle accapare au profit d’une un préjugé monstrueux, en tant qu’elle accapare au profit d’une classe de riches et de puissants la religion de la famille, principe classe de riches et de puissants la religion de la famille, principe qui devrait être cher et sacré à tous les hommes.[...] C’est une idée qui devrait être cher et sacré à tous les hommes.[...] C’est une idée généreuse et grande que d’être le fils de ses œuvres et de valoir généreuse et grande que d’être le fils de ses œuvres et de valoir autant par ses vertus que le patricien par ses titres. C’est cette idée autant par ses vertus que le patricien par ses titres. C’est cette idée qui a fait notre grande Révolution, mais c’est une idée de réac- qui a fait notre grande Révolution, mais c’est une idée de réac- tion, et les réactions n’envisagent jamais qu’un côté des questions, tion, et les réactions n’envisagent jamais qu’un côté des questions, le côté que l’on avait trop méconnu et sacrifié. Ainsi, il est très le côté que l’on avait trop méconnu et sacrifié. Ainsi, il est très vrai que chacun est le fils de ses œuvres ; mais il est également vrai que chacun est le fils de ses œuvres ; mais il est également très vrai que chacun est le fils de ses pères, de ses ancêtres, très vrai que chacun est le fils de ses pères, de ses ancêtres, pa-pa-

tres et matres

tres et matres. [...] Le peuple qui riait des blasons, s’habitua à se . [...] Le peuple qui riait des blasons, s’habitua à se croire uniquement fils de ses œuvres ; le peuple se trompa, il a croire uniquement fils de ses œuvres ; le peuple se trompa, il a ses ancêtres tout comme les rois. Chaque homme doué de quelque ses ancêtres tout comme les rois. Chaque homme doué de quelque distinction naturelle la doit à quelque homme qui l’a précédé, ou à distinction naturelle la doit à quelque homme qui l’a précédé, ou à quelque femme qui l’a engendré » (I, 23-28).

quelque femme qui l’a engendré » (I, 23-28).

C’est jusque dans la forme que la pensée sandienne de l’ambi- C’est jusque dans la forme que la pensée sandienne de l’ambi- valence renvoie à la dialectique leroussienne. Quand Sand écrit : valence renvoie à la dialectique leroussienne. Quand Sand écrit : « Le culte idolâtrique de la famille est faux et dangereux, mais [...] « Le culte idolâtrique de la famille est faux et dangereux, mais [...] le respect et la solidarité dans la famille sont nécessaires. » (I, 28), le respect et la solidarité dans la famille sont nécessaires. » (I, 28), elle fait écho aux longues pages du livre

elle fait écho aux longues pages du livre De l’humanitéDe l’humanité que Leroux que Leroux concluait par ces mots : « La famille est un bien, la famille caste concluait par ces mots : « La famille est un bien, la famille caste est un mal; la patrie est un bien, la patrie caste est un mal; la pro- est un mal; la patrie est un bien, la patrie caste est un mal; la pro- priété est un bien, la propriété caste est un mal » (p.241-243). priété est un bien, la propriété caste est un mal » (p.241-243).

Consuelo

Consuelo est la mise en forme romanesque du grand livre de est la mise en forme romanesque du grand livre de Leroux

Leroux De l’humanitéDe l’humanité. L’idée principale en est que les hommes . L’idée principale en est que les hommes renaissent non dans le ciel mais au sein de l’humanité. Placée au renaissent non dans le ciel mais au sein de l’humanité. Placée au XVIII

XVIIIe siècle, surtout en Bohême, l’action anticipe sur la Révolu- siècle, surtout en Bohême, l’action anticipe sur la Révolu- tion française par un puissant effet de contre-plongée. Albert de tion française par un puissant effet de contre-plongée. Albert de Rudolstadt ouvre à la chanteuse Consuelo une grandiose fenêtre Rudolstadt ouvre à la chanteuse Consuelo une grandiose fenêtre sur l’histoire. Albert est en effet doué du don de seconde vue qui sur l’histoire. Albert est en effet doué du don de seconde vue qui lui permet de revivre les siècles passés comme d’anticiper sur l’ave- lui permet de revivre les siècles passés comme d’anticiper sur l’ave- nir, en particulier la Révolution française et les bouleversements nir, en particulier la Révolution française et les bouleversements européens qu’elle provoquera. Il apprend à la jeune fille la fidélité européens qu’elle provoquera. Il apprend à la jeune fille la fidélité à la meilleure tradition, celle de l’hérésie, unique levier permettant à la meilleure tradition, celle de l’hérésie, unique levier permettant la régénération du présent et l’avènement d’une République libé- la régénération du présent et l’avènement d’une République libé- rale, égalitaire et fraternelle. Mais Consuelo n’apporte pas moins rale, égalitaire et fraternelle. Mais Consuelo n’apporte pas moins à Albert en corrigeant ce qu’elle appelle son

à Albert en corrigeant ce qu’elle appelle son exaltationexaltation 61 61. Albert . Albert se donne pour une réincarnation de son ancêtre Wratislaw, et se se donne pour une réincarnation de son ancêtre Wratislaw, et se veut, par delà, le continuateur des grands hérétiques, Wyclif, Jean veut, par delà, le continuateur des grands hérétiques, Wyclif, Jean Huss,

Huss, Luther. Il se livre à une dénégation du temps et laisse sa Luther. Il se livre à une dénégation du temps et laisse sa famille dans une mortelle angoisse en disparaissant plusieurs jours famille dans une mortelle angoisse en disparaissant plusieurs jours dans ses catacombes. La question, toute leroussienne on le voit, est dans ses catacombes. La question, toute leroussienne on le voit, est celle de la fidélité au passé mais aussi du surinvestissement dans celle de la fidélité au passé mais aussi du surinvestissement dans ce passé. Consuelo ne considère pas Albert comme un fou mais ce passé. Consuelo ne considère pas Albert comme un fou mais comme un « exalté » (I, 191 et 268 ; III, 407). Écoutons-la : « Le comme un « exalté » (I, 191 et 268 ; III, 407). Écoutons-la : « Le temps du zèle et de la fureur est passé. […] Dieu nous commande temps du zèle et de la fureur est passé. […] Dieu nous commande le pardon et l’oubli ; […] Vous remontez le cours des âges avec un le pardon et l’oubli ; […] Vous remontez le cours des âges avec un orgueil impie ; vous aspirez à pénétrer les secrets de la destinée ; orgueil impie ; vous aspirez à pénétrer les secrets de la destinée ; vous croyez vous égaler à Dieu en embrassant d’un coup d’œil et vous croyez vous égaler à Dieu en embrassant d’un coup d’œil et le présent et le passé. […] Renoncez à vouloir connaître au-delà de le présent et le passé. […] Renoncez à vouloir connaître au-delà de cette existence passagère qui vous est imposée. […] Attachez-vous cette existence passagère qui vous est imposée. […] Attachez-vous 61 Sur l’exaltation, notre livre

61 Sur l’exaltation, notre livre Les Poètes et les économistes. Pour une anthropologie de la littératureLes Poètes et les économistes. Pour une anthropologie de la littérature (Kimé, (Kimé, Paris, 2002) propose de définir le romantisme comme

à rendre féconde et humaine cette vie présente que vous méprisez, à rendre féconde et humaine cette vie présente que vous méprisez, lorsque vous devriez la respecter et vous y donner tout entier, lorsque vous devriez la respecter et vous y donner tout entier, avec votre force, votre abnégation et votre charité » (I, 320-322). avec votre force, votre abnégation et votre charité » (I, 320-322). Wanda, la mère d’Albert dira de son fils : « Il avait pris à la lettre Wanda, la mère d’Albert dira de son fils : « Il avait pris à la lettre ma doctrine sur la transmission des âmes ; il y croyait avec excès » ma doctrine sur la transmission des âmes ; il y croyait avec excès » (III, 411).

(III, 411).

L’intégration de la pensée de Leroux dans celle de Sand est L’intégration de la pensée de Leroux dans celle de Sand est parfaite ici encore. On voit seulement la romancière apporter une parfaite ici encore. On voit seulement la romancière apporter une appréciation psychologique à l’absolutisation que le philosophe appréciation psychologique à l’absolutisation que le philosophe analysait en termes politiques. Qu’il s’agisse de diachronie ou de analysait en termes politiques. Qu’il s’agisse de diachronie ou de synchronie, la question du lien social est pensée par Leroux en synchronie, la question du lien social est pensée par Leroux en procédant à la synthèse de l’altruisme et de l’égoïsme. Chacune de procédant à la synthèse de l’altruisme et de l’égoïsme. Chacune de ces notions est double : excellente en son principe, funeste si elle ces notions est double : excellente en son principe, funeste si elle s’exalte et devient inconciliable avec son complémentaire. Plein s’exalte et devient inconciliable avec son complémentaire. Plein de générosité, le personnage d’Albert s’absente du présent pour se de générosité, le personnage d’Albert s’absente du présent pour se